Récemment traduit et sorti chez Phébus, « Millénaire à Belgrade » de Vladimir Pistalo, est une chronique magnifique et étrange des dernières décennies du XXe siècle par un narrateur qui vit la guerre au milieu de son cercle d’amis d’enfance: radiographie d’une ville malade, fiction passionnante, portrait érudit et désabusé d’une ville aimée et construction littéraire autour d’une forte amitié bouleversée par la tragédie yougoslave.
4 mai 1980: cinq jeunes amis belgradois écoutent Dire Straits et boivent du riesling slovène en regardant un match de foot sans le son, pendant que le maréchal Tito expire. « Qu’est-ce qu’il va arriver, maintenant?« , lance Milane, le narrateur, fils et petit-fils de peintres surréalistes serbes. Les quatre amis, eux, sont chanteur de Rock, passionné de judo ou de l’architecture de Gaudi… Le portrait d’un groupe d’amis presque banal, enthousiaste et insouciant à l’entrée des années 80. Leur amitié va souffrir pendant que la Yougoslavie explose: la guerre s’immisce et transcende leurs différences: l’un s’exile, un autre devient un nationaliste opportuniste, une autre s’insurge contre le siège de Sarajevo…
Construit comme une chronique autour de cette amitié, le narrateur ajoute au récit des éléments de sa propre histoire familiale, singulière et marquée par le surréalisme, et nous conte l’histoire heurtée de la capitale serbe, au moyen de références érudites (il est historien). On le lit comme l’oeuvre étrange d’un écrivain du réalisme magique, mais au détour d’une page, le texte devient alors un document passionnant, la témoignage intelligent et distancié de la disloquation yougoslave (« Quelqu’un avait changé les étiquettes sur les flacons de la pharmacie et nous ne savions plus ce qui était un poison et ce qui était un médicament » ou « comment la guerre est arrivée en Yougoslavie? Je réponds toujours que, dans la salle de séjour, chaque famille de ce pays avaient un fasciste aggressif: son téléviseur.« ) ou la voix plus politique d’un écrivain serbe insurgé contre le régime (celui de « Tarquin le superbe« ) mais qui observe ses amis passés au nationalisme en essayant de comprendre.
Le livre est sorti en Serbie en 2000, à la chute de Milosevic, il y a huit ans. Vladimir Pistalo avait quarante ans, et, à la lecture de son livre, on se demande la part autobiographique du récit: c’est en tous cas à la fois une belle fiction originale et un document passionant.
Vladimir Pistalo, Millénaire à Belgrade, Editions Phébus, Paris, 2008.
257 pages, 20,90euros.
j’ai envie de le lire, …