Gardenia, c’est d’abord un visuel sur le programme du TNB dévoilé en juin : une série de portraits en noir et blanc, d’hommes âgés, aux lèvres rouges et aux cils maquillés. Gardenia, c’est ensuite sur les affiches placardées dans tout Rennes il y a quelques semaines, une profusion de couleurs, de plumes et de paillettes.
Gardenia, au final, c’est un spectacle très émouvant, oscillant entre théâtre, danse et cabaret, rires et larmes, douceur et cruauté, tendresse et violence.
Gardenia, le dernier soir
Gardenia, c’est l’histoire d’une dernière revue, celle de la troupe de Vanessa Van Durme, transsexuelle. C’est elle qui en a eu l’idée et l’a proposée à Alain Platel, metteur en scène. Le chorégraphe belge accepte le défi avec Frank Van Laecke, metteur en scène d’opéra, et c’est au sein des Ballets C de la B, collectif d’artistes éclectiques, que le projet va aboutir.
C’est donc naturellement que Vanessa van Durme mène la danse sur scène, sublime meneuse de revue. Autour d’elle, dans ce spectacle mi-fiction mi-réalité, elle a regroupé d’anciens amis, travestis et transsexuels, Griet Debacker (une « vraie » femme) et Hendrick Lebon, jeune danseur-acteur. Librement inspiré d’un film documentaire de Sonia Herman Dolz « Yo soya si » qui raconte le destin d’un cabaret barcelonais de travestis qui ferme ses portes, Gardenia débute le soir de sa dernière représentation…
Travestissement en pointillés
Tout commence sur une scène étrangement inclinée, vieux parquet ciré d’une salle de bal éculée. La troupe l’investit, tous sont vêtus de costumes de ville sombres et classiques. On se croirait dans une maison de retraite ; les personnages ont une démarche tremblante et des attitudes de vieillards. Mais ces hommes âgés et ordinaires vont tour à tour et au fil du spectacle retrouver leurs gestes d’antan, sur scène, costumés et maquillés pour le cabaret. Face à nous, ils se mettent à nu, malgré le poids des années ; il y a d’abord leurs corps, puis leurs âmes. Un miroir triste incarné par le jeune et beau Hendrick, qui leur rappelle combien ils furent désirés et admirés dans leur jeunesse. Et puis, il y a cette minute de silence, demandée par Vanessa Van Durme, en hommage aux artistes travestis du cabaret barcelonais aujourd’hui disparu. Le TNB entier se lève et fait silence. Poignante minute. Puis, le fil du spectacle reprend, follement… pour une série de tableaux comme dans une revue où les numéros se succéderaient.
© Christophe Raynaud de Lage
Certes, il y a tous les poncifs du genre ; les chaussures à talons, les maquillages outranciers, les faux-cils exhubérants, le strass, les plumes et les paillettes ; les blagues sur les homosexuels. Et puis, finalement, il y a ce je-ne-sais-quoi très troublant qui vient gripper la machine enthousiaste et les rires : la solitude de ces travestis, leurs souffrances, leur jeunesse et les illusions perdues. Entre rires et larmes, on ne sait que choisir.
Cabaret musical
La bande-son, créée par Steven Prengels, ne nous aide pas non plus à choisir : elle se déroule allégrement de Claude François à Dalida, en passant par Aznavour et Puccini ; elle nous offre un «Forever Young» de Jay Z et un magnifique Bolero de Ravel, magiquement chorégraphié. Et puis, ces artistes de cabaret chantent également : les «Cucurucucu, paloma» , «Sag mir wo die blumen sind» de Marlène Dietrich et «Over the rainbow» du Magicien d’Oz sont vibrants.
© Christophe Raynaud de Lage
Une identité questionnée
Ces clowns tristes jouent leur propre spectacle, celui qu’ils ont joué cent fois auparavant : ils se maquillent, se parent de leurs plus belles tenues, déambulent sur scène d‘une démarche assurée. Et pourtant, on les sent hésitants parfois, comme si jouer son propre rôle, même des années après, était plus difficile qu’on ne se l’imagine. Comme si la pudeur les rattrapait. Eux qui ont incarné Dalida, Zizi Jeanmaire, Gina Lolobridgida, Joséphine Baker ou Liza Minelli. Et si la métaphore du travestissement est facile, parce que ces costumes de ville sont abandonnés au sol pour des tenues bien plus affriolantes, elle n’en reste pas moins violente. Parce qu’elle questionne ce masculin-féminin trouble, parce qu’elle nous met face à cette singularité.
Quand le théâtre remue les tripes
C’est poignant, attendrissant, violent, émouvant. J’ai eu les larmes aux yeux à la fin du spectacle et la gorge nouée.
Touchée par cette présence invraisemblable des artistes sur scène, par leur tendresse et leur mise à nu. Par leur professionnalisme : le travestissement se fait sous nos yeux, comme par magie, sans que nous en apercevions les ficelles.
Touchée également par cette histoire, la leur, dans sa narration la plus drôle mais aussi la plus triste et la plus violente. Et les remarques fort désobligeantes des quelques vieux bobos rennais entendues à la sortie de la salle m’ont fait mal au cœur… Mais il ne me restera que ces regards emplis d’émotions chez certains spectateurs, debouts, dès la tombée du rideau, applaudissant à tout rompre, touchés durablement par ce beau bouquet de Gardenias.
bouleversant, touchant