Retour à la Maison de la Grève

Maison de la Grève2 décembre 2010. 6h30. A l’heure où dans la rosée et le petit matin blafard, le CRS crie « chargez ! », les forces de l’ordre ont délogé manu militari les habitants de la Maison de la Grève, sise rue de la Barbotière à Rennes. Pas de heurts, mais quelques arrestations, du matériel et de la nourriture balancés à la poubelle. Par ce geste fort, la municipalité et la Préfecture entendaient mettre fin à l’occupation illégale de bâtiments municipaux. On peut imaginer que c’était aussi une manière de juguler les ambitions « révolutionnaires » de quelques illuminés. Trois mois après ce coup de force, que reste-t-il de cette utopie contestataire ? Rencontre.

Souvenirs. Au printemps 2006, lors de la lutte  contre le CPE, quelques énervés avaient planté leurs tentes place du Parlement. Bientôt rejoints par d’autres, ils avaient occupé un village de bric et de broc dit « autogéré » en plein centre ville de Rennes et cela  pendant presque deux mois. Et puis, la mairie de Rennes avait sonné la fin de la récré, disaient-ils dans les rangs de la majorité municipale. Et aussi de l’opposition. La justice avait condamné quelques « leaders » venus s’exprimer en conseil municipal à une astreinte financière quotidienne puis, finalement, après une manifestation qui s’était terminée en échauffourées, les CRS avaient fait place nette. Fin de l’histoire.

Le 2 novembre dernier, l’histoire ne s’est-t-elle pas répétée lorsque gendarmes mobiles et policiers (des membres du GIPN étaient également présents !) ont vidé les bâtiments de la rue de la Barbotière ? Manque de discussion entre la municipalité et les occupants de la Maison de la Grève, absence de proposition alternative de la part des pouvoirs publics, l’évacuation a eu lieu au petit matin du 2 décembre. Selon Daniel Delaveau, les squatteurs avaient été mis devant leurs responsabilités : « Conformément à l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de grande instance, la Ville a demandé l’évacuation de ce squat. » Mais d’autres voix se font entendre au sein des élus d’opposition : Europe Ecologie Les Verts déplore le recours à la matraque : « Nous aurions souhaité qu’à l’occasion de l’ouverture de la Maison de la grève, la Mairie ouvre le débat concernant les infrastructures associatives et syndicales, au lieu de cela elle aura préférer la force au dialogue. » Rien d’étonnant, donc. Rien qui n’ait étonné les occupants même si la majorité municipale s’était largement prononcée en faveur du soutien du mouvement contre la réforme des retraites : « On savait bien que la Mairie n’allait pas être de notre côté, explique l’un des participants, et cela au nom d’un réalisme politique comme ils disent. »

L’histoire se répète. Et elle bégaierait même presque ! La mairie a à nouveau à faire avec une installation illégale : samedi 12 février, des opposants à la Loi Loppsi 2 se sont installés sur la place du Parlement sans aucune autorisation préalable. A suivre.

Prolongement de la lutte contre la réforme des retraites

Maison de la grèveProlongement du mouvement contre la réforme des retraites, la Maison de la grève est présentée par ses animateurs comme le lieu de rassemblement de différents acteurs, tous animés par la même volonté de repenser le rapport aux institutions, à la société de consommation et plus globalement de s’opposer au capitalisme. Selon les habitants, « la grève contre la réforme des retraites a ouvert une brèche. Pendant trois semaines nous avons vécu un moment d’exception ». Pour eux, il s’agissait de s’organiser sans attendre la prochaine réforme qui fera descendre les gens dans les rues et qui poussera les salariés à créer de nouveaux piquets de grève : « Les mouvements de grève sont les moments forts d’un processus plus long de création et de coordination de liens, de solidarités et de formes de lutte », reconnaît l’Assemblée Générale Interprofessionnelle (AGI) de la Maison de la Grève. Des assemblées et commissions se sont réunies. Différents groupes de travail se sont mis en place, certains affichant parfois des noms quelque peu romantiques : Liaison-action-conspiration, Présence en ville et visibilité, Solidarité matérielle et vie de la Maison de la Grève. Pourtant, on reconnaîtra que les grands mots ont vite fait place à l’action : des ateliers hebdomadaires d’autodéfense, de forge et soudure, d’informatique, de mécanique vélo, de sérigraphie et de vidéo avaient pour ambition de développer cette solidarité entre les « habitants ». Une cantine collective (un maraîcher de Saint-Grégoire faisait don de ses invendus) mais aussi des salles de réunion et des dortoirs étaient également censés permettre la vie et le travail en commun.

3 Maison de la grèveL’hypothèse communiste

Ça c’était pour la logistique. Mais quid de l’idéologie qui sous-tendait une telle entreprise ? On soulignera d’abord que trouver des interlocuteurs au sein des « habitants » qui acceptent de parler au nom du collectif de la Maison de la Grève revient bien souvent à résoudre la quadrature du cercle. La méfiance à l’égard des média, et même des média les moins institutionnels, semble un postulat de départ systématique. Chat échaudé craint l’eau froide, concédera-t-on. Et c’est parfois de bonne guerre tant le traitement des mouvements sociaux par la presse dite « dominante » est souvent une longue suite de raccourcis oscillant entre mépris et peur de la fameuse insurrection à venir. C’est en tout cas le sentiment des ex-habitants : « La presse discrédite toujours nos actions en nous réduisant à des catégories : chômeurs, étudiants, une façon de nous identifier et de nous diviser », explique Antoine, l’un des anciens de la Maison.

Expérience utopique ou mise en acte d’une pensée gauchiste (encore que le terme gauchiste ne soit pas forcément accepté par les membres de l’AGI), la Maison de la Grève reprenait certaines idées développées par des philosophes tels qu’Alain Badiou, Jacques Rancière ou même Slavoj Zizek. Selon eux, un grand cycle réactionnaire s’achèverait tous les vingt ou vingt-cinq ans : aujourd’hui on assisterait au début de la fin du capitalisme financier apparu dans les années quatre-vingt.

5 Maison de la grève« Personnellement,  ce que disent Badiou ou Rancière, ça me nourrit, reconnaît Antoine. Mais on ne peut réduire la pensée et l’action de la Maison de la Grève à des écrits, c’est bien plus vaste ». Ainsi, un de ses camarades, lui aussi à l’origine du mouvement, réfute totalement une quelconque paternité même intellectuelle avec les penseurs de la gauche extrême : « L’action est plus intéressante que les écrits théoriques : de toute façon, le capitalisme récupère toujours ce genre de choses. Il n’y a qu’à voir le nombre de tee-shirts Che Guevara vendus, ou les millions de livres de Marx imprimés ! » Dans son livre L’Hypothèse communiste, Alain Badiou se pose la question de savoir pourquoi la droite est toujours prête et les révolutionnaires jamais ? La Maison de la grève visait-elle à combler ce manque de préparation ? En partie, sans aucun doute. La volonté de créer de nouveaux types de rapport entre les gens, sans aucun doute dégagés de toute contrainte institutionnelle participait de cette idée. Car la nécessité d’expérimentation est à l’origine d’un tel rassemblement : « On entre en lutte parce qu’on fait le constat de la pauvreté des possibles mais aussi parce que l’expérimentation en commun en est un formidable moteur. » La naïveté et l’utopie bien souvent dénoncée par les média est battue en brèche par les ex-habitants : « Vivre en commun des expériences, ce n’est pas se couper du monde : on sait qu’il n’y a pas d’en-dehors à ce système, ça serait une erreur d’aller vivre dans le Larzac et de se contenter de ça. Nous, nous vivons ici et maintenant. »

Un collectif subsiste

Que reste-t-il à présent des ces rêves de changements ? Rue de la Barbotière, les locaux ont subi quelques dégâts. De qui ? Pourquoi ? Nul ne le sait. Quoi qu’il en soit, ils laisseront vraisemblablement la place à une association, Sauvegarde de l’enfant à l’adulte (SEA 35). Après l’expulsion de la Maison de la Grève, la destruction de l’exposition au Couvent des Jacobins qui présentait le futur Centre des Congrès, et peu après une tentative d’intrusion à l’Hôtel de ville ont fini de remiser les « habitants » au rayon largement fantasmé d’une ultragauche violente. Daniel Delaveau s’empressa de dénoncer des « agissements totalement irresponsables », le maire de Rennes tenant ainsi parfaitement son rôle. Pour autant, on s’est rapidement aperçu du peu d’importance des dégâts et de la légèreté du traumatisme.

4 Maison de la grève okApparemment, certains des expulsés de la Maison de la Grève sont restés groupés et les citations de cet article tendraient à prouver qu’un collectif subsiste puisque les réponses se veulent collectives. Malgré cette réticence à l’égard des média, une rencontre stimulante intellectuellement a eu lieu avec trois anciens de la Maison. Si le nombre des participants au collectif n’est pas forcément très important, une pensée de l’insoumission existe. Et les ateliers continuent ici et là, tant bien que mal. L’atelier d’informatique se déroule désormais au bar La Bascule, rue de la Bascule à Rennes. Des recherches ont été également lancées pour trouver un autre lieu. Squat ou location, les deux possibilités sont discutées au sein du collectif.

Alors, on peut être pour ou contre la vision politique et les moyens de lutte mis en œuvre par ces jeunes énervés. Cependant on notera deux paramètres essentiels à la compréhension de tels rassemblements. D’abord, c’est une manière d’expression dans un espace public (Rennes et plus globalement, la société française) qui n’offre pas le droit de cité à certaines personnes – les jeunes ex-occupants de la Maison de la Grève, mais de nombreuses autres catégories sociales sont aussi privées du droit de s’exprimer. Et cela malgré un discours officiel proposant soi-disant de nombreuses possibilités de prise de parole.

Et puis, l’expulsion de la Maison de la Grève (ou du Village du Parlement) peut être comprise comme l’incapacité de certaines organisations de gauche (partis et syndicats) à nouer un dialogue avec une partie de la jeunesse.

Et pas seulement de sa jeunesse. Ce qui, à terme, risque de créer des antagonismes sociaux de plus en plus difficile à combler.

2 commentaires sur “Retour à la Maison de la Grève

  1. Robert

    « peu d’importance des dégâts et de la légèreté du traumatisme » pour aller à l’encontre de cette phrase, je vous conseil d’aller interroger les employés de l’office du tourisme qui travaillaient au Couvent des Jacobins. Leur traumatisme n’a rien de « léger », eu égard à la violence physique qui s’y est déversé, sans que ces personnes aient aucun lien avec l’expulsion de la Maison de la grève. L’amalgame est dans ce cas présent dans les deux camps.

    Pour ce qui est de la couverture des médias, des journalistes de Ouest-France ont tenté de couvrir ce mouvement, en assistant à des AG. Ils s’y sont vu refusé l’accès, bien qu’ayant été invités par des membres du collectif. Difficile de parler de quelqu’un avec qui on ne peut échanger…

    On final, malgré ces nombreux mouvement récents, impossible de savoir qui sont ces « autonome » et quel est leur « message » politique. Si tenté qu’il y en ait un…

  2. Luc

    « Pour en savoir plus sur la maison de la Grève :
    http://maisondelagreve.boum.org« 

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