Fragments : Beckett par Brook au TNB

Va et vient, un fragment de Beckett

« Philippe est allé hier soir, il a trouvé ça super ! magnifique ! »

D’abord, il y a l’effervescence feutrée du grand hall du TNB, on attend, on s’attend, on scrute sa montre, on s’excuse pour le retard qui n’en est pas encore un, on perçoit l’impatience à peine dissimulée des « scolaires » reconnaissables à leur déplacement typique en banc, on s’émerveille d’avance : « Philippe est allé hier soir, il a trouvé ça super ! magnifique ! »

Un plateau, un violon, une béquille ?

A peine m’étais-je interrogé sur la confiance accordable à Philippe que j’étais installé dans un confortable fauteuil, salle Jean Vilar. Depuis sa rénovation, les toiles disposées sur les murs latéraux et au dessus du cadre de scène qui occupaient mon regard en attendant le début de la représentation ont disparues. Heureusement, des éléments savamment disposés sur le plateau et mis en valeur par quelques éclairages ponctuels captent mon attention : un violon, deux plots, une béquille ? deux sacs de toile blanche, une chaise à cour, un banc en fond de scène et l’intelligence des choses simples : ce praticable haut de 15 à 20 centimètres, territoire de jeu.

Quand la langue de Beckett vient.

Dans le premier mouvement Rough for theatre I, un des deux protagonistes aveugle descend du praticable et inquiet, demande où il est, il se perd ensuite hors champ. Son compagnon assis sur un tabouret roulant, qui palie une jambe absente, est, lui, prisonnier de l’espace.

Rockaby, le soliloque qui vient ensuite, d’abord m’effraye. La berceuse chaotique, que j’ai du mal à suivre en anglais, m’oblige à jeter des coups d’œil sur le surtitrage et puis « more », encore, la ritournelle reprend, c’est la troisième fois et d’une façon incroyable, la langue de Beckett me vient, me parvient, la tragédie ponctuée d’humour, l’image de cette femme assise, mains sur les cuisses, racontant, ce n’est plus un monologue intérieur, c’est à nous qu’elle raconte « more », encore.

Entre les mouvements, une respiration de silence avec retour sur l’espace, éclairé, géométrique. Je regrette presque la spontanéité joyeuse du public qui applaudit après chaque fragment et rompt cette suspension mais après tout, c’est aussi l’expression d’un théâtre populaire, d’un public actif et responsable, libéré des codes (les mêmes que je juge désuets à l’opéra).

Act whitout words II (comme son nom l’indique) est une pantomime qui donne une raison à la présence des sacs de toile : en réalité ce ne sont pas des sacs, ce sont des maisons et dans chacune, il y a un homme. Peut-être dort-il ? La piqûre du réveil vient du ciel, le deus ex machina déclenche le numéro de clown d’une finesse et d’une justesse rares. « Etre » plutôt que jouer dira Khalifa Natour, un des comédiens lors de la rencontre organisé à l’issue de la représentation.

Thank you Mister Brook.

Je ne peux qu’exprimer mon enthousiasme pour ce théâtre intelligent, drôle, au service du texte, interprété remarquablement. Marie-Hélène Estienne, assistante de Peter Brook, parle de l’humour chez Beckett, il est là, je l’ai vu, n’en déplaise à mes voisins de gauche outrés par ce spectacle intelligible, populaire, (Oh le vilain mot !), qui plus est sans perdre une once d’exigence. Merci Monsieur Brook.

 

FRAGMENTS textes de S. Beckett
au TNB du 14 au 23 mai 2009

Mise en scène Peter Brook
En collaboration avec Marie-Hélène Estienne
Lumières : Philippe Vialatte
Avec Hayley Carmichael, Marcello Magni, Khalifa Natour

Site officiel de Peter Brook
Site du TNB

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