Rennes: les Transmusicales, le marché des Lices, le Parlement, la rue St Michel et… le nouveau-né de La Tour. À moins d’avoir une mémoire visuelle de poisson rouge, vous l’avez vu: on en a même fait un porte-clés, un timbre ou des publicités. Ce nouveau-né là est un ambassadeur, on l’envoie partout. Mais saviez-vous qu’il y a tout juste cent ans, son auteur avait été littéralement effacé de l’Histoire, tombé dans des insondables oubliettes… On donnait tous ses tableaux à d’autres: « voilà un beau Velasquez, tiens, un Le Nain! »…Aujourd’hui, Georges de la Tour est un artiste mondialement célèbre. La nouvelle exposition du Musée des Beaux-Arts revient sur cette fameuse redécouverte, par un jeune historien de l’art allemand, à Rennes (et Nantes), il y a un siècle.
1912: un jeune et brillant spécialiste de la Renaissance, Hermann Voss, est en voyage à Rennes. Au Musée des Beaux-Arts, dans la grande galerie inondée de tableaux et sculptures, il repère parmi les centaines de toiles accrochées une belle oeuvre de Mathieu Le Nain, une « nocturne »: deux femmes veillant un nouveau né, dont le crâne reflète subtilement la lumière que diffuse la main de la plus âgée.
Il en imprime l’atmosphère et le dessin dans un coin de la rétine. Quelques jours plus tard, en admirant un Velasquez et un Ribera dans le musée voisin de Nantes, il a une révélation: les trois « nocturnes » sont du même artiste. Il relève alors une petite signature, sur l’un des tableaux, dans un coin, à droite: Georges de la Tour, un illustre inconnu.
Par chance, Voss exhume ensuite une courte notice biographique, assez récente, due à un chercheur lorrain ayant trouvé trace de ce peintre obscur, au XVIIème siècle. Obscur? pas tant que ça… On y apprend que Louis XIII lui-même vantait ses tableaux de nuit. L’historien écrit: « un jour ou l’autre on découvrira peut-être, sur les parois de quelque église de campagne, une toile délabrée de cet artiste! ». Voss écrit alors un petit article dans un journal spécialisé, et à tirage très limité, en pleine guerre, en 1915. D’abord assez secret, l’article traduit en français circule dans le milieu des amateurs. Georges de la Tour, miraculé, renaît.
La suite est une ascension vertigineuse: La Tour est redécouvert par le public en 1934, alors qu’on s’intéresse à ces peintres réalistes, suiveurs de l’italien Caravaggio, capables d’inventions diaboliques dans le traitement de la lumière. On retrouve une soixantaine d’oeuvres, pas toutes nocturnes, d’ailleurs.
Aujourd’hui, l’artiste lorrain est l’un des rares peintres a avoir connu plusieurs expositions monographiques. La dernière, en 1997 au Grand Palais à Paris, a même attiré plus de 500 000 visiteurs! À l’occasion du centenaire de cette découverte, le Musée des Beaux-Arts consacre à La Tour une « exposition-dossier », où sont réunies pour la première fois les trois fameuses nocturnes de Rennes et Nantes observées par l’allemand en 1912, et où l’on comprend l’effet de son article. Cette exposition vient compléter celle de nombreux dessins français anciens, exposés parfois pour la première fois en ce printemps 2014.
Envie d’aller jouer à l’historien de l’art et découvrir un nouveau La Tour? c’est au Musée des Beaux-Arts de Rennes, du 18 avril au 18 août!
« Georges de la Tour, Trois nuits pour une renaissance », Musée des Beaux-Arts de Rennes.