Grâce à une programmation riche et des plus soignées, entre découvertes, soutien à la scène locale et artistes confirmés, cette 18ème édition des Embellies viendra conforter une fois encore du 2 au 5 mars la place devenue incontournable que tient le festival dans l’agenda culturel rennais. C’est intelligent, malin, ouvert et surtout diablement excitant ! On commence par vous présenter la programmation du jeudi 3 mars à l’Antipode MJC avec Fragments, Evening Hymns et Louise Roam.
Evening Hymns
On est toujours ému au souvenir de notre découverte d’Evening Hymns en live. C’était à la Bascule, en septembre 2010, et on s’était pris une mandale gantée de velours direct dans l’estomac. Jonas Bonnetta (guitare, chant, quelques samples) y jouait seul avec Sylvie Smith (basse, voix) lors d’une tournée de poche présentant son premier album sous le nom d’Evening Hymns (Spirit Guides) enregistré avec l’aide de 18 copains musiciens. Paru fin 2009 au Canada, l’album a ensuite été édité en France en 2010 par le label aux pochettes cousues mains, Kütu Folk Records.
Ce soir-là, à la Bascule, la qualité des morceaux et surtout l’intensité que les deux musiciens y mettaient avaient imposé silence et frissons aux happy fews massés en rangs serrés à quelques centimètres des Canadiens. La voix de Jonas, chaude et intense, trouvait son contrepoint parfait dans les graves de Sylvie Smith. Une pédale de boucles utilisée notamment sur des chœurs habités (de Jonas avec lui-même), de la reverb’, un clavier-sample, parfois pour quelques boucles rythmiques, parfois pour des accords plus ambient, des bruits d’orages, la fender jazzmaster -quelques fois avec un peu de disto, souvent seulement avec un peu d’écho- : tout s’était directement (et durablement) infiltré au cœur des épidermes. Et notamment la ferveur habitée dont les jeunes gens avaient fait preuve durant tout le set.
On a ensuite revu Evening Hymns sur scène (notamment à Top of the Folk) mais pas depuis la parution de leur second album, Spectral Dusk sorti en 2012. Ce disque d’une folk contemplative et vaporeuse, pour dire le deuil d’un père (celui de Jonas Bonnetta décédé durant l’enregistrement du premier album) et la peine, a une nouvelle fois été composé d’abord seul, puis étoffé par l’apport d’une grosse dizaine d’amis musiciens. D’abord pensé comme un album talisman, avec partout planqués des enregistrements d’ambiance captés dans des endroits qui comptaient pour Jonas et son père, le disque est autant marqué par le manque que l’apaisement et a su lui aussi susciter moult frissons sous les peaux.
Avec Quiet Energies sorti l’an dernier (2015), on a d’abord pensé que les Canadiens avaient abandonné la douce aridité folk pour lui préférer le foisonnement, l’adresse directe et l’électricité. Mais, rapidement guidé par la voix-phare de Jonas Bonnetta, on a très vite retrouvé les rivages d’une folk toute aussi délicate et sensible, aux atours certes moins ascétiques, mais toujours aussi émouvante. Et quant on sait la ferveur et l’intensité que les Evening Hymns insufflent à chacune de leur prestation, on n’a aucune crainte quant à la qualité de leur set aux Embellies. Même : on l’attend avec impatience.
Et pour les curieux, on les avait interviewés là en 2010.
Fragments
En accord avec le soutien sans faille que les Embellies apportent à la scène locale, la programmation du trio Fragments fait un peu figure d’événement dans le paysage rennais. Il faut dire que le trio, formé en 2012, nous a longuement fait attendre son premier album.
Fragments, nous les avions découverts à l’automne 2012, avec quelques titres postés sur la toile, bluffants par leur étonnante maturité. On n’était pas vraiment tombé dessus par hasard puisqu’on suivait depuis un moment le projet de Sylvain Texier, The Last Morning Soundtrack. Pourtant, si le duo fondé par Sylvain Texier et Benjamin Le Baron (F.Hiro) avait mis tout le monde d’accord avec ses premiers morceaux, on s’inquiétait pour le passage au live. Car la musique de Fragments, complètement instrumentale est de celle qui prennent le temps des silences, des respirations.
On a très vite été rassuré lors de leur première date à Rennes au printemps 2013 pendant le Premier Dimanche Electroni[k] aux Champs Libres: Fragments sait en effet tout autant distiller en live ses comptines électroniques mélodiques et délicates avec un beau talent d’orfèvre. D’autant que le duo originel a eu la bonne idée d’inviter Thomas Beaudouin (chanteur/guitariste de Pirhana) à le rejoindre (définitivement). A chacune de leur prestation, les trois compères réussissent avec une insolente indécence à créer l’intensité et les montées, en jouant sur l’épaisseur évanescente des silences, par petites touches.
On les avait rencontrés peu après leur succès aux Champs Libres (lire l’interview), où ils évoquaient notamment leur EP à venir. Après le magnifique single Off the Map, rehaussé par l’ajout d’un bugle (Flugelhorn) au son profond, le EP de 4 titres, Landscapes, est une véritable réussite, délicat équilibre entre le côté immédiat de la pop et les variations d’intensité du post-rock. Un inédit (December Sun, deptembre 2014) et un single (Lighthouse, radio edit – novembre 2015) plus loin, Fragments sort enfin son premier long format, intensément attendu, dont ils nous avaient parlé il y a quelques temps (interview à venir). Et c’est une belle réussite. Nos trois garçons confirmant haut la main les attentes qu’on plaçait en eux.
On est d’ailleurs heureux que des structures comme Patchrock (l’asso qui organise les Embellies), le Mapl, l’Echonova ou l’Antipode MJC (entre autres) donnent la possibilité à des groupes prometteurs comme celui-là de prendre le temps de gagner en épaisseur et de mûrir leur projet. Résultat : Un Imaginary Seas de dix titres aussi dense qu’aérien, aussi fluide qu’émouvant, et une maîtrise toujours plus affirmée de l’exercice live. C’est en effet un joli tour de force que de réussir à insuffler une énergie réjouissante à ses concerts, tout en conservant la belle fragilité qui rend ses compositions si touchantes. On gage que la prestation du trio pour la release party de l’album aux Embellies devrait sans peine rassembler le public (les garçons étant particulièrement attendus). On a en tout cas bien hâte.
Louise Roam
Aurélie Mestre qui se cache derrière le projet solo de Louise Roam (le prénom d’une arrière grand-mère auréolée de mystère et un patronyme d’errance) a entre autres été remarquée par Jean-Louis Brossard qui lui a ouvert les portes de l’Aire Libre pour trois jours de prestation durant les toutes dernières TransMusicales. Avec deux eps à son actif, la jeune violoniste de formation pose sillon après sillon les jalons d’un univers qu’elle prend le temps de construire petit à petit, mais qu’elle souhaite avant tout reflet d’une expérience onirique et personnelle.
Marquée par une formation classique et académique, après un passage par le rock (ou le ska !) à l’adolescence, mais surtout par sa découverte de l’électro au Rex (dont le pied 4/4 sans variation la stupéfie « un bpm qui ne bouge pas » à l’inverse du tempo classique, qui fluctue en fonction de l’intention du chef d’orchestre) et de Gui Boratto écouté sur les plages de l’Hérault, Louise Roam se tourne vers la production et les machines. Son premier 4 titres Raptus (juin 2015), conçu à partir d’une immersion en Suède, mêlait ainsi voix éthérée et mélancolique à la XX (Solsken), paysages sonores très produits, tout en superpositions de couches et d’idées, tour à tour magmatiques (les montées de Raptus), épurés (l’intro contemplative d’Oppning) voire taillés pour le dancefloor (une pincée de Misc.-vakuum audio– en moins gras pour Oppning), ou marche hypnotique (The Walk) au pas de Thoreau (« Une citation de Thoreau peut résumer cet EP : « Si un homme marche à un autre pas que ses camarades, c’est peut-être qu’il entend le son d’un autre tambour. Laissons-le suivre la musique qu’il entend, quelle qu’en soit la cadence.» »)
Le second ep aux consonances helléniques Avaton (novembre 2015), conçu très rapidement (en trois semaines aux dires de l’intéressée) a pour sa part été inspiré par un voyage en Grèce dont la lumière particulière, les trésors antiques et les souffrances d’un peuple brisé mais fier et beau mêlés tout ensemble ont particulièrement marqué la musicienne. Après une intro particulièrement réussie (Isagogi) où la jeune femme ose en quelque sorte mélanger ambient et pop, mélodies et textures, Aurélie Mestre se concentre moins sur le foisonnement et les superpositions (comme sur Raptus), mais choisit plutôt une certaine épure sur laquelle se détache notamment sa voix. En effet, forte de son travail autour du chant pour la collaboration avec Saycet, Louise Roam ose mixer le chant plus en avant sur ce deuxième ep. Mais surtout se permet des instrumentations tout aussi efficaces, mais beaucoup plus minimalistes. Se dégage surtout de ce dernier ep en date une réelle homogénéité, de belle augure pour, qui sait, un premier album ? Et pour ceux, qui comme nous l’ont manquée aux Trans, voilà l’occasion rêvée de se rattraper grâce aux Embellies.
L’Antipode MJC et Patchrock, dans le cadre du festival Les Embellies présentent Louise Roam, Fragments et Evening Hymns en concert le jeudi 3 mars 2016 à partir de 20h à l’Antipode MJC (2, rue André Trasbot, Rennes).
Tarifs : Sortir ! : 6 € / Membres ADMIT : 13 € / Prévente : 15 € / Sur Place : 17 €
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