Les Embellies ont eu l’excellente idée d’offrir à nos chers Fat Supper une soirée en formule « buffet à volonté ». C’était samedi 7 mars au Jardin Moderne, et en fins gourmets, les lascars nous ont concocté un festin tout aussi roboratif pour les oreilles que pour les yeux.
C’est bien tôt que nous arrivons route de Lorient au Jardin Moderne. Ce n’est pas tant que nous craignions le bazar autoroutier lié à la rencontre entre le Stade Rennais et le FC Metz (1-0, on est content d’avoir choisi la musique ce soir là), mais nous avions calé une interview avec les diserts Fat Supper. Pas avares en secret de fabrication, nous avons longuement causé avec eux des arcanes de la création de leur épatant second album, le vibrant et indomptable Academic Sausage, tout juste sorti chez les Disques Normal. Cette très chouette discussion sera, bien sûr, à retrouver sur notre site très prochainement.
Comme il nous reste pas mal de temps après ça. Nous flânons dans le Jardin pour y découvrir les épatants bricolages lumineux de Vitrine en cours. Déjà présent lors du récent Travelling Oslo, le collectif a investi avec une belle inventivité le café culturel du Jardin Moderne. Nous découvrons donc l’endroit avec l’ombre majestueuse d’un arbre glissant sur le sol. Avec l’aide d’un improbable et imposant étalage d’appareils de projection (projecteurs de film ou de diapos, rétroprojecteurs…) la bande habille le lieu (et les gens y passant) d’un foisonnant ballet lumineux de photos, de films ou de formes géométriques. Cela s’annonce donc sacrément chouette dès le début de soirée même si c’est bien lors de l’impressionnante prestation de Pneu que le dispositif montrera toute sa force. Un petit passage par les très beaux paysages irisés de l’exposition Photos en cours de Nicolas David, une courte pause pour goûter au savoureux et relevé croque-monsieur-veggie-chilli dégustable au bar et nous aurons encore le temps de passer découvrir la sympathique proposition concoctée par le graphiste rennais Eric Mahé pour cette soirée. Que ce soit sur les flyers de l’association Kfuel, sur les murs de feu Alphagraph, de Blindspot ou des Ateliers du vent, sur les pochettes des disques de We Only Said, Trunks ou Møller Plesset… votre regard a sans doute déjà été frappé par la singularité et la puissance du travail du monsieur. Ce soir là, c’était sur textile qu’il exprimait sa créativité avec la possibilité d’imprimer sur T-shirt, sweat, slip, caleçons… la superbe horde de bestioles déchaînées qu’il a conçue pour une affiche de Fat Supper. Autant vous dire qu’on ne s’est pas privé de repartir avec un exemplaire tout frais dans notre besace que l’on a plus que hâte d’exhiber lors d’un prochain concert.
Après tout ça, il est temps de laisser place à la musique. C’est le redoutable trio caennais GaBLé qui ouvre le bal. Ils ont déjà fait la preuve d’une présence scénique remarquable à plusieurs reprises et notamment lors d’une mémorable carte blanche à l’Antipode en 2011. Nous n’avions donc guère de doute sur leur capacité à verser le premier son avec classe et fureur. Après la traditionnelle intro, le trio balance le sautillant et irrésistible BuNCH. Dès ce premier morceau, tout GaBLé est déjà en place : une musique ultra percussive, un double chant possédé, des cœurs facétieux… un univers musical bricolo et malicieux mais pourtant plus sombre qu’il n’y paraît. En live, on assiste à un véritable cartoon musical débridé et imprévisible. Cartoon bien sûr éloigné des lisses productions Disney mais plus proche de la sauvagerie surréaliste des vieux Looney Tunes ou des Tex Avery les plus psychédéliques. Les morceaux s’enchaînent sur un rythme infernal et avec une intensité d’une grande constance. Ces chansons dont on ne sait jamais vraiment ni quels virages à 180° elles vont opérer, ni quand ou comment elles vont se terminer, créent une tension permanente tout à fait savoureuse. Le set réserve une foule de petites surprises aussi déconcertantes que sympathiques. On retrouve le défilé d’instruments improbables (du duo de flûte à bec en passant par les cornes de brume), le sacrifice de cageot et le jeu de chausse-trappe à base de YOU ! et de ME ! scandés sur WHo TeLLS You que les fans connaissent bien, mais on a aussi droit à une petite visite de Pierre Marolleau (batteur de Fat Supper) et Jean-Baptiste Geoffroy (Batteur de Pneu) partageant, hilares, une paire de baguettes le temps d’une chanson (LiMP To GloVe nous semble-t-il ?). Le set est très généreux avec une quinzaine de morceaux en une heure de concert qui ravit un public conquis et chaleureux. Le tout se conclut sur le très efficace enchaînement du vertigineux Drunk Fox in London et du flow bègue de Puree Hip Hop avant de voir revenir la bande pour le malicieusement glauque Georges Perrier. Un concert parfait pour ouvrir le bal en mettant tout le beau monde ayant envahi le Jardin Moderne en parfaite condition pour la suite.
Pour en savoir plus sur GaBLé , n’hésitez donc pas à jeter les deux yeux sur l’interview des zigues par Isa.
Retour au café culturel où nous pensions batailler dur pour ne pas nous retrouver trop loin du furieux duo qui allait suivre. Au final, nous n’aurons point à jouer des coudes puisque la transition va se faire tout en douceur et que nous aurons largement le temps d’apprécier verre en main les sélections pointues « juste ce qu’il faut » d’EXP (alias monsieur Thomas Poli) aux platines ce soir là.
Une batterie, une guitare et deux fous furieux, les très attendus Pneu déboulent donc bien tapis au cœur d’une foule compacte mais pas du tout oppressante. En effet, si la soirée était complète, nous constatons que les organisateurs n’ont pas tiré sur la corde de la jauge et le lieu restera très fluide tout au long de la soirée. Public compact donc mais pas trop, conditions idéales pour savourer l’ouragan tourangeau. Nous commençons d’ailleurs à bien connaître les nuages grondeurs, les ondées imprévisibles et les éclairs vivifiants de ces deux forces musicales élémentaires. N’empêche que, même en terrain familier, ça reste un sacré plaisir de se prendre la dérouillée infligée par ses deux joyeux chefs artificiers. Jérôme Vassereau martèle sa telecaster avec toujours autant d’application et de puissance. Quel pied de ressentir dans tous ses os chacun de ses riffs démoniaques ou de sentir vibrer sa colonne vertébrale à chaque frappe diaboliquement rapide de ses six cordes. Quand à Jean-Baptiste Geoffroy, il reste un des plus impressionnants marteleurs de fûts que l’on puisse voir sur scène actuellement. L’alliance de sa précision redoutable et de sa frappe surpuissante, vécue à courte distance, est une expérience physique à vivre absolument. Le set est comme d’habitude enchaîné pied au plancher et ne nous laisse aucun temps de répit. S’il nous semble avoir reconnu les imparables Highway to Ealth et Autosafe Unicorn, le set fait la part belle aux compos de leur tout récent Destination Qualité. Ce n’est pas pour nous déplaire, car avec son côté (un poil) plus direct, l’album se montre tout à fait redoutable en live. Notamment le long et ascendant Gin Tonique Abordable qui se confirme être un pied total en prise directe. Cerise sur le gâteau les habillages lumineux de Vitrine en cours renforcent encore les côtés intimes et sensoriels de la chose. Démarré presque dans le noir, le concert va se parer de formes sinueuses et autres projections mécaniques ou foraines achevant de rendre l’expérience hautement mémorable.
Ne reste plus alors qu’aux maîtres de cérémonie de la soirée à venir la boucler en beauté. Le quintet rennais Fat Supper monte donc sur la scène de la grande salle. Le plateau est chouettement mis en lumière par le collectif Grand Géant avec de grands hublots lumineux (et une saucisse volante en néon!). Academic Sausage, l’excellent second album des zigues n’ayant guère décollé de nos platines durant ces dernières semaines, nous avions plus que hâte d’en dévorer les saveurs multiples et relevées en live. Comme pour le disque, le concert démarre sur l’aguicheur Clutter qui a nouveau ouvre parfaitement le bal. Puis les gars lâchent les chevaux avec le merveilleux Surrogate dont le riff hypnotisant et le final apocalyptique nous colle une belle bouffée d’adrénaline. Sur ce départ de concert, on sent tout de même un peu de tension consécutive à quelques menus soucis techniques de corde ou de pédale, mais le naturel va vite revenir au galop. Dommage aussi que le public, pourtant nombreux, soit hélas resté un peu sage. Le set aurait largement mérité un peu plus de folie. Après le tout aussi volcanique Narvana, le groupe calme le tempo le temps d’un suavissime Butter Bed. Après les riffs syncopés de Gonogo, un premier retour sur leurs premiers titres avec l’orageux Twisted dont les montées ont pris une toute autre puissance par rapport au disque. Les gars reviennent ensuite à Academic Sausage pour l’excellent et explosif Sandcastle et son redoutable roulement de batterie, avant de conclure sur un doublé Step Back/Every Nobody qui démontre à nouveau l’impressionnant chemin parcouru depuis leur enregistrement. De retour pour un généreux rappel, la bande enchaîne sur un langoureux Gravity None, avant d’enfin nous balancer le terrible Grotorro qui confirme mille fois toute la puissance qu’on pouvait en attendre en live. Léo et Pierre lâchent leur flow sur le chaloupé Oddbox qui conclue le set sur une tonalité groovy et électrifiée tout à fait délicieuse.
Un très chouette concert, même si on l’aurait aimé un peu plus débridé côté public, qui confirme encore une fois que nos Fat Supper sont un groupe de première bourre en live, surtout avec la pelletée de titres monstrueux qu’ils ont maintenant à leur disposition. Ce qui conclut en beauté une soirée riche et variée comme on les aime, menée de main de maître par les impeccables techniciens du Jardin Moderne. Merci encore une fois aux Embellies d’offrir aux artistes qu’on aime d’aussi belles opportunités. Après les splendeurs que nous avaient offertes les deux merveilles concoctées par Laetitia Shériff l’an dernier, on aura encore une fois passé une soirée foisonnante et hors norme. Vivement les prochaines.