Joli moment à la bibliothèque Lucien Rose ce vendredi 6 mars avec le ciné-concert proposé par les Embellies autour du film Le ballon Rouge, moyen métrage réalisé par Albert Lamorisse, avec Laetitia Shériff, François Ripoche et Stéphane Louvain.
Une foule éclectique de 4 à 74 ans a pris possession des gradins à l’entrée de la bibliothèque Lucien Rose (Lucien Pink pour les intimes) nichée en bordure du Thabor pour assister au ciné-concert proposé par l’équipe des Embellies ce vendredi soir. La projection affiche complet depuis plusieurs jours. Pour autant, on se sent plutôt à l’aise dans cet espace à taille humaine, les fesses sur un coussin juste devant l’écran. Et dès l’arrivée de l’obscurité, dans les gradins derrière nos épaules, le silence se fait instantanément. Dans le noir, les musiciens tentent de s’installer (« je n’y vois rien » rigole François Ripoche) tandis que le titre du film s’inscrit sur l’écran. A gauche de la toile, François Ripoche donc, saxophoniste jazz émérite nous fait la surprise de s’installer derrière la batterie, tandis qu’à droite, le guitariste Stéphane Louvain (French Cowboy, Little Rabbits, I’m7teen, …) s’assoit à côté de Lætitia Shériff à la guitare baryton.
Le groupe commence par une longue intro sur l’image fixe du titre figée : guitares claire et baryton mêlent leurs timbres à la perfection tandis que François Ripoche lance les hostilités avec classe. Après cette entrée en matière sur le générique qui défile, totalement instrumentale, les premières images emplissent l’écran. Un escalier débouche sur le haut d’une colline de Ménilmontant dans une rue pavée. En dessous, la vue dégringole sur le Paris des années 50.
Le moyen métrage réalisé par Albert Lamorisse, sorti en 1956 et couronné par une Palme d’Or, va ainsi nous plonger dans un vieux Paris, plus piéton que motorisé dans lequel on croise vitrier ployant sous le poids du verre sur son dos, marchand ambulant d’oreillers ou receveur d’autobus. Les écoles n’y sont pas mixtes, les élèves portent des blouses et les directeurs d’école enferment les enfants (!) seuls dans une pièce tandis qu’ils partent en promenade (re-!).
Un petit garçon (le héros de l’histoire) s’avance vers l’escalier dans le soleil du matin, caresse un chat, accompagné par les notes graves et rythmées de la seule guitare baryton de Laetitia Shériff. La musique souligne légèrement la tension précédant la rencontre à coups de scansions épurées.
Accroché à un réverbère, un gros ballon de baudruche rouge reste coincé à la cime du lampadaire. Haut comme cinq pommes, l’enfant grimpe le long du poteau pour délivrer le ballon. Une fois réunis, les deux personnages vont nouer une amitié pour le moins surprenante. Le ballon ne quitte pas l’enfant d’une semelle alors qu’il se voit souvent dédaigné (voire chassé) par les adultes (refusé dans l’autobus, dans la classe -quoiqu’il parvienne à déjouer la surveillance des instituteurs-, de la maison). Tous deux jouent à cache-cache, se font abriter sous les parapluies, et vivent même de charmantes rencontres.
Suivant chacun de ces moments, drôles, facétieux ou attendris, le trio joue sur la finesse : des compositions d’une part, qui se révèlent en même temps tendres, enlevées ; de l’interprétation d’autre part, dont les nuances sont aussi subtiles qu’élégantes (on est entre autre fasciné par la batterie de François Ripoche). Pas d’esbroufe tapageuse, de mise en avant éhontée de la musique qui étoufferait le film. Au contraire, la composition du trio choisit la discrétion sans pour autant la jouer passe-partout. On apprécie notamment particulièrement quand les morceaux intègrent des parties vocales (pas de mots, seulement des notes) qui là encore, sans effet tape-à-l-oreille, font encore davantage décoller le film. Les trois musiciens mêlent en effet les timbres très différents de leurs voix (Lætitia Shériff se révèle une nouvelle fois impériale au chant), à différentes hauteurs, pour un résultat souvent des plus prenants.
Les trois musiciens ont choisi de supprimer les dialogues du film sans que cela n’altère en rien la compréhension. Mais surtout, permettent au film de trouver une nouvelle modernité. La bande son d’origine (les paroles des personnages) aurait immédiatement fait basculer la projection du côté « daté » , « d’il y a quasi 60 ans » . Or en ne jouant que sur l’accompagnement des images par la musique, le trio redonne au film une portée actuelle. Le plaisir de découvrir le Paris des années 50 se double de celui de porter une plus grande attention aussi, à ce qui se joue dans le film -l’amitié, le tragique-. Les compositions du trio renforcent ainsi fortement la portée poétique et onirique du film d’Albert Lamorisse.
Et quand le film bascule dans le tragique, lorsque les bad boys (sûrement aussi à plaindre) battent le pavé à toute allure, escaladent des clôtures, dans une course-poursuite pleine de chausses-trappes (magnifique échappée du petit qui se faufile entre les barreaux d’une grille de jardin public) aussi effrénée que poignante, la composition du trio devient haletante, prenante, nous rappelant que toute course à 6 ans est une course à la vie à la mort.
Heureusement (pour nous et) pour les petits bouts dans la salle, même si tout ne finit pas bien, le film s’achève sur un final épatant et coloré, à la poésie aérienne. Et pour le plus grand plaisir de la salle, lorsque les lumières se rallument, lointaines, à l’étage, le trio poursuit avec deux morceaux rien que pour nous.
On sort de la salle la tête encore pleine de la poésie qui se niche dans le quotidien. Qu’il s’agisse de la rencontre fortuite d’un ballon rouge ou d’un ciné-concert tendre et poétique offert un vendredi soir après le boulot…