Embellies 2014 – Laetitia Sheriff en interview : ou il est question de rencontre(s)

LaetitiaSheriff@JardinModerne-alter1fo (7)Les Embellies ont eu la très bonne idée de proposer deux soirées « carte blanche » à Lætitia Sheriff les 26 et 27 mars pour deux concerts au Jardin Moderne avec ses invités [voir le décryptage de la programmation par là ou à suivre dans l’entretien].

Depuis, dans l’équipe alter1fo, une sacrée tripotée d’aficionados compte impatiemment les jours et les dodos.

Pour tromper notre attente, on a donc retrouvé Laetitia Sheriff pour un long entretien entre respect, honnêteté, et émotion…

Et croyez-nous, on l’avait déjà dit pour thomR, mais ces moments-là, c’est un peu une des raisons pour lesquelles alter1fo existe. Rencontre.

Alter1fo : Tu viens de passer quelques jours au Jardin Moderne et au 6 par 4 pour une résidence de création. Est-ce que tu peux nous expliquer quelles étaient tes envies avec cette résidence  ? Comment se sont passés ces quelques jours ?

Lætitia Sheriff : Ça a dépassé mes exigences parce qu’en fait, je n’en n’avais pas ! J’avais envie d’utiliser le Jardin comme d’habitude, c’est-à-dire dans les locaux de répétition. C’est vraiment en discutant avec Stéphanie Cadeau des Embellies que ça a évolué. Elle m’a proposé ce qu’elle avait déjà proposé aux artistes des années précédentes (qui avaient eu la joie d’avoir cette proposition de carte blanche), d’aller un peu plus loin. C’est-à-dire, selon l’actualité ou les besoins, de travailler au 6 par 4 qui est associé aux Embellies (même association Patchrock), et puisque c’est la première année que les Embellies se passent au Jardin, de profiter de cette association pour utiliser tous ces beaux outils.

LesEmbellies2014Tu as plutôt travaillé la scène ?

Lætitia Sheriff : Avant la proposition des Embellies, j’avais fait une sorte de planning que je n’ai pas du tout respecté.

C’est le principe d’un planning en fait. (rires)

Lætitia Sheriff : Oui, c’est ça ! D’abord, avant l’enregistrement du disque qui va bientôt sortir, j’avais envie de répéter. Avant de mettre les morceaux en boîte, en les travaillant en live. Ça n’a pas vraiment été le cas. On a enregistré. Ensuite, j’ai anticipé. J’ai lancé des propositions de répétition, dans les locaux de répétition du Jardin. De là, ça s’est précisé avec les Embellies. Il y a eu cette proposition de résidence au 6 par 4 ainsi qu’au Jardin Moderne, pour travailler le live, mais aussi pour me permettre de travailler avec les invités. Tout est à faire, quand on commence une résidence : il y a le son, les lumières, les emplacements. Et là je peux vous dire que ça a été vraiment très utile, très agréable et très confortable de travailler de cette manière-là.

Et le fait qu’il y ait deux lieux, est-ce que ça permet des choses différentes ? Est-ce que l’objectif, c’est au contraire d’arriver à se fixer sur une forme définie qui s’adapte à n’importe quelle salle ?

Lætitia Sheriff : Généralement, lorsqu’une salle t’accueille, il y a forcément une proposition de concert à la suite. La salle du 6 par 4 est une salle que je connais bien, avec l’équipe, qui est de taille convenable. Il y a un équipement vraiment top moumoute, comme on dirait (rires). Peut-être aussi le fait de s’isoler, le fait de ne pas avoir de propositions extérieures, des copains,… On était isolé, donc c’était plutôt bien. Le Jardin Moderne, c’est un lieu de passage.

Tout le monde passe ! Même moi je suis passée… (rires)

Lætitia Sheriff : En même temps, c’est bien. C’est très respectueux. Et c’était aussi important que ça se passe au Jardin. Parce qu’avec tout ce travail autour des rencontres des différents publics, c’est quand même le lieu idéal pour accueillir des scolaires, pour accueillir des gens. Même pour faire la promo. Et puis, la salle a été améliorée. C’est un endroit dans lequel on se sent bien. On se sent chez soi. On n’est pas très loin de sa maison aussi. On mange bien à midi. Voilà. On est entouré. Et puis on a tout à portée de main. C’est-à-dire que si on a besoin d’aller graver un cd, ou d’aller faire une photocopie, de ceci ou cela, tout est possible. Même au 6 par 4, bien sûr ! Je n’essaie pas de créer de dualité.

Ce sont deux lieux différents de toute façon.

Lætitia Sheriff : Ce sont deux lieux différents qui ne fonctionnent pas de la même manière.

2011-02-03-RANGE_TA_CHAMBRE-alter1fo-10Quand on est en résidence pour monter un set, comment ça se passe concrètement ? Je pense à l’ordre des morceaux par exemple, comment vous arrivez à le définir ?

Lætitia Sheriff : On l’imagine. J’étais très excitée à l’idée de faire des concerts. L’enregistrement du disque a pris du temps. Bien sûr, je n’ai pas enregistré tous les jours pendant six mois. Mais il a fallu prendre du recul. Pendant ces moments-là, qu’ils soient bons ou mauvais, il y a les bons moments où on imagine ce que va devenir le projet. Par conséquent, ça devient assez naturel. On en discute, on essaie. On construit, on déconstruit. Et c’est ça qui est intéressant, en fait. On est arrivé. On avait trois jours, lundi, mercredi et jeudi. Le jeudi, après avoir fait un set complet, on a décidé de changer l’ordre. Le dernier jour de résidence (on a encore un jour mardi prochain), on va réessayer. Ça nous paraissait beaucoup plus logique. Ce n’est pas compliqué. Ça peut être un casse-tête quand on est plusieurs, quand il y a beaucoup de changements d’instruments, etc. Là, on est à trois. Et on a de très bons conseils en face. On a les oreilles de Dominique Brusson au son. On se sent vraiment à notre place à ce moment-là. On n’a pas peur des erreurs. Au contraire, c’est le moment où il faut se tromper. On voit quelles sont les difficultés, on simplifie… «Dis donc, là il y a de la place, donc on va retravailler ce morceau-là… » C’est passionnant.

Au départ, la carte blanche que t’a donnée le festival était une carte blanche musicale. C’est-à-dire qu’on t’a proposé de faire la programmation sur deux soirs. Les Embellies t’ont dit : « la programmation, tu vas la faire avec nous. » Finalement tu l’as faite toute seule (rires) ! [NDLR : voir l’interview de la programmatrice des Embellies Stéphanie Cadeau ici]

Lætitia Sheriff : (rigole un peu perplexe) J’ai vu ça dans votre interview avec Stéphanie.

Mais elle était super contente, en fait !

Lætitia Sheriff : Je n’avais pas compris le truc comme ça (rires). Mais comme elle le dit, on a des goûts communs. Elle est aussi est très proche des gens que j’avais envie d’inviter. Ça tombait vraiment super bien. Je crois aussi que dans la démarche, dans son engagement à elle, on est assez proche. Du coup, laisser place à des nouveaux projets (naissants pour certains comme Furie ou Monstromery) : la question ne se posait pas. C’est aussi ça les Embellies, j’ai l’impression.

MonstromeryEst-ce que tu peux nous présenter les artistes que tu as choisis justement ?

Lætitia Sheriff : Je vais commencer dans l’ordre des soirées. Le mercredi, il y aura Monstromery [voir l’interview de Monstromery ici] qui est à la base un projet solo, qui a évolué. C’est le chanteur et guitariste du groupe Montgomery qui a décidé l’année dernière de façon courageuse de se lancer dans une formule solo. Il a eu l’occasion de tester ça plusieurs fois, au Bistrophonique à Orléans, avec le concept de plusieurs concerts dans les rues d’Orléans, dans des endroits un peu atypiques. Il a été programmé là-bas au mois de septembre après avoir passé peut-être près de trois mois à travailler sur le projet. Ensuite, il a joué aux Rockomotives. Il a joué quatre fois. Là, ce sera la première fois à Rennes.

Il est attendu, en plus.

Lætitia Sheriff : Oui, je pense. Moi aussi, je l’attends parce que je ne l’ai pas vu. Je l’ai vu travailler seulement. La formule va être un peu plus complexe que ce que j’avais imaginé. Tant mieux, ce sont encore d’autres surprises. Ensuite, il y aura Furie, le projet d’Astrid Radrigue, musicienne dans le groupe Mermonte, musicienne pour musiciens depuis assez longtemps, qui pour notre joie, se lance dans son projet à elle. J’ai eu les chances d’écouter les prémisses il y a deux-trois ans. Ça fait longtemps que je bosse sur mon propre projet. C’est marrant parce qu’avec Astrid, je me sens assez proche de la façon dont elle voit les choses. Elle a eu beaucoup de moments de réflexion, de « sacrifices » entre guillemets, pour en arriver là, parce que c’est quelqu’un d’extrêmement généreux. J’avais envie de vivre ça avec elle. Et que ce soit quelque chose qui la pousse à concrétiser ce projet, bien qu’elle ait joué déjà en duo. Mais mercredi, ce sera une formation trio, qui jouera pour la première fois. Ça c’est donc pour la première soirée.

Pour la deuxième soirée, lors de notre petite tournée crash-test de cet hiver avec Nicolas Courret et Thomas Poli, nous avons été programmés par cette superbe association qui s’appelle A tant rêver du roi qui est un peu notre K-Fuel à nous. Ils nous ont fait plaisir en nous programmant avec un superbe musicien. Le projet s’appelle 1 Primate. Le musicien s’appelle Romain Baudoin [voir l’interview de Romain Baudoin aka 1 Primate là]. Il a donc créé une sorte d’instrument un peu spécial. C’est une vielle mutante (rires). Il y a la vielle et puis il y a un un manche de guitare. L’’instrument est accordé à plusieurs amplis. Si vous avez des problèmes de dos, à mon avis venez ! Ça va vous faire de petits massages (rires). Non, il ne faut pas effrayer les gens ! Je pense que c’est curieux. Attirant. Et puis le bonhomme a un charisme de dingue et il est très pédagogue avec son public. Je suis partie très loin en le voyant sur scène.

Mermonte @ Le Jardin ModerneC’est une découverte que tu as faite à ce moment-là ?

Lætitia Sheriff : A ce moment-là, oui, pendant la tournée. C’était un plateau. Il a commencé à jouer avant nous. Je me suis dit : «c’est incroyable ! » On passe par toutes les phases. Ça se rapprocherait vraiment de choses assez entêtantes… C’est presque de la transe. Il y a un côté trad’ qui va peut-être en effrayer certains, mais franchement, on l’oublie très vite pour ceux qui ne sont pas très fans de ça. Mais quand même l’instrument est assez typique ! C’est étonnant. Ensuite il y aura Olivier Mellano.

Mais qui est-ce ? (rires)

Lætitia Sheriff : Qui est cet homme (rires) ? Avec Olivier, nous devions travailler ensemble sur mon album mais suite à sa super grosse création pendant les TransMusicales [How we tried…], il m’a demandé d’attendre un petit peu pour finalement décider de travailler sur son projet à lui. Chose que j’ai totalement comprise. Je me suis dit : « ça y est, c’est le moment pour lui ! » Et j’avais très hâte de voir comment ça allait se passer.

Je voulais déjà l’inviter à cette carte blanche à l’époque, avant même de savoir que ça allait pouvoir coller avec cette période-là des Embellies. Je lui avais demandé s’il pouvait être l’un des invités. Il m’a dit « oui, mais je serais peut-être en tournée. » « Mais elle commence quand ta tournée ? Écoute, on peut demander aux Embellies si la tournée peut commencer à Rennes… » Ça l’a motivé.

Il y aura donc le disque d’Olivier. Il est arrivé. Je l’ai écouté, c’est vraiment chouette ! [voir l’interview d’Olivier Mellano là] Il bosse à fond parce qu’il y a plein de morceaux qu’il n’a pas encore joués. C’est plein de premières fois sur ces soirées ! Ce sera presque la première fois pour Romain (1 Primate) aussi à Rennes.

Et nous, nous serons le mercredi en trio [avec Nicolas Courret et Thomas Poli] et le jeudi… en plus ! (rires). Parce que j’ai vu passer des trucs comme « quintet » … Ce sera sans grande surprise, hein…

Ça nous va, en général, les surprises que vous nous réservez, elles sont chouettes !

Lætitia Sheriff : Oui, mais j’aurais pu faire venir… Je ne sais pas. C’était quand le carnaval de Dunkerque ? C’était il n’y a pas longtemps. Je pense qu’en vieillissant, je pourrais avoir ce genre de petites folies. Amener des Dunkerquois. En plus le patron du Jardin est Dunkerquois, alors.

LaetitiaSheriff@JardinModerne-alter1fo (4)(rires) C’est une grande famille.

Il y a donc d’une part la résidence. D’autre part, les deux soirées cartes blanches. Il y a aussi un troisième volet qui est celui de l’action culturelle. Je ne sais pas si c’est toi qui a demandé qu’il y ait de l’action culturelle ou si ce sont les Embellies qui te l’ont proposée. Il y avait aussi cette idée de « carte blanche action culturelle » ?

Laetitia Sheriff : Non. Je ne pensais pas que c’était en lien à la carte blanche. Ce sont des propositions qui sont de plus en plus fréquentes. J’ai déjà vécu certaines expériences. Mais ça ne m’a pas apporté plus que ça, parce que c’était rapide, pas complet. Il n’y avait pas de rencontres avec les structures, les gens qui géraient tel ou tel public. Je ne dis pas qu’il y a eu dix mille expériences négatives. Mais il me manquait quelque chose à chaque fois. Je trouvais aussi que ça tournait un peu en rengaine, parce que c’était un peu « action culturelle = compensation financière » . Ça voulait dire : on est en résidence et on se retrouve face à des scolaires qui n’ont rien préparé. Et on se retrouve muet comme des nigauds face aux gamins qui n’ont aucune question. On fait des choses un peu traditionnelles. On leur dit  : « ça c’est une batterie pok pok, ça c’est une basse pouêt pouêt… »

C’est assez frustrant ?

Laetitia Sheriff : Oui, c’est assez frustrant. Mais je pense que tout ça c’est en train d’être développé. Je me posais la question. On en a discuté avec Stéphanie : « pourquoi ne pas mettre en avant aussi l’aspect visuel, l’illustration parce que ça aussi, ça fait partie de la musique ? » Elle a trouvé ça intéressant. Elle est aussi très attachée au visuel. On le voit bien avec les affiches des Embellies. Je pense qu’on est tous sensibles à l’image. On a aussi eu une discussion sur l’aspect multimédia, la communication, et quelque chose qu’on perdait petit à petit. C’est arrivé comme ça. Et puis surtout Stéphanie me demandait dans quelle mesure cela pouvait être en lien avec l’album en cours, etc.

LaetitiaShériff@JardinModerne (11)Musicalement, je ne me sentais pas encore prête. Je n’avais pas d’idées de ce que je pouvais faire musicalement avec les enfants. Il y a donc eu cette idée : le titre de l’album, avec ces trois mots [Pandemonium, Solace, Stars]. J’avais envie de travailler avec trois artistes. Ça s’est monté comme ça. Avec Stéphanie, on a travaillé autour de ça. Il y a eu des premières réflexions sur… Comment, pourquoi, avec qui, etc.

Avec qui ? Je lui ai vraiment demandé de travailler avec des publics avec lesquels elle avait déjà travaillé. J’avais déjà envie de travailler avec le centre pénitentiaire de la prison des femmes, avec la Ligue de l’Enseignement. Pour un autre projet. C’était encore autre chose. C’était lié au ciné-concert Sa Majesté des Mouches. J’habite à côté du centre pénitentiaire. J’avais envie de venir en voisine. Peut-être que ça peut paraître vulgaire pour certaines personnes. Rentrer, sortir de la prison, etc. Mais j’avais vraiment envie de rencontres. De rencontres impossibles. J’avais très envie de faire se rencontrer Stéphanie et Anne-Héloïse [Botrel, de la Ligue de l’Enseignement] J’étais épatée par autant de complémentarité, de réactivité, d’organisation au top du top ! On propose un projet et ça part, quasiment, ça ne t’appartient plus. Ou alors, il est arrivé que ce soit moi qui vienne encore compliquer les choses. Je savais aussi qu’en en discutant avec les trois plasticiens, Eric Mahé, super illustrateur des affiches annonçant les concerts de K-Fuel, mais aussi des superbes pochettes de Moller Plesset, et puis de tant d’autres aussi…

C’est lui aussi qui a fait la pochette du split ep de Trunks…

Laetitia Sheriff : Oui, voilà. Le split de Filiamotsa/Trunks, c’est Monsieur Eric, en collaboration avec un sérigraphe du label des Disques de Plomb. Yoann Buffeteau, qui est l’illustrateur « officiel » des Embellies (rires), qui a notamment fait la photo du dernier ep que j’ai sorti [Where’s my I.D ?] avec Impersonal Freedom. Et Tonio Marinescu, qui s’est lancé avec moi tout au début, pour la pochette de mon premier album. Il a ensuite accepté le challenge du deuxième album (rires). Une superbe équipe de gens qui sont engagés, qui ont l’habitude aussi de rencontrer d’autres publics, qui ne sont pas cantonnés à leur «art » j’ai envie de dire. Ils savaient très bien que cela allait aussi être de l’ordre de la performance, au-delà de la recherche de financement, mais plus de temps par rapport aux différents publics effectivement. Les deux autres publics étaient les élèves du lycée Victor et Hélène Basch et l’école de Trégain.

Trunks Filiamotsa - Eric Mahé - Code BLes classes de Cm1-Cm2, je crois.

Lætitia Sheriff : Oui, c’est ça. Les trois plasticiens se sont répartis les thématiques et les publics.

Tu peux nous rappeler les thématiques ?

Lætitia Sheriff : Pandemonium, c’est l’enfer. Solace, l’apaisement et Stars, les étoiles.

Donc le titre de l’album.

Lætitia Sheriff : Oui, le titre de l’album. Ce n’est plus un secret maintenant (rires) : ça a bien été exploité jusqu’au bout. C’est vraiment chouette. Travailler sur grand format [1m sur 1m50], ça me semblait important. D’une part symboliquement, parce qu’on est souvent derrière un écran, on fonctionne beaucoup en solitaire. Le grand format ne faisait pas peur aux artistes plasticiens. C’est pour ça aussi que je me suis dit que ça pouvait être pas mal. Il y a l’idée aussi de pouvoir travailler à plusieurs. Et puis le fait que le grand format, on ne peut pas passer à côté. On peut passer à côté de détails. Je ne sais pas encore, je n’ai pas encore vu tous les travaux. Mais ça existe, ça a été partagé. Il y a eu des discussions.

Et puis c’est chouette qu’à la fin, ça se réunisse en triptyque, ce travail des enfants, des lycéens, des femmes en prison, que ça communique ensemble.

Lætitia Sheriff : Oui, c’est symbolique aussi de proposer cela à ces publics-là. Quand je fais un concert, je ne sais pas qui il y a en face de moi. Bien souvent, ce sont des gens qui ont accès à la culture. Parce qu’ils savent aussi. Il y aussi des gens qui découvrent. Il y a de tout dans un public. Je suis davantage dans une démarche, non pas d’aller chercher le public, ce n’est pas ce que je veux dire, mais davantage de laisser des possibilités, là où on imaginerait que c’est impossible.

En y allant avec ses gros sabots, en ayant un discours (peut-être celui que j’ai, là)… Ça ne leur parlera pas. Il faut y aller vraiment honnêtement, sincèrement, peut-être pas sur une seule et unique action culturelle.

Tonio Marinescu - Games OverIl y a aussi ce projet de faire se balader ce triptyque, peut-être au centre pénitentiaire, avec une proposition de concert en trio électrique. Je suis déjà allée y jouer, mais c’était en acoustique, pour diverses raisons. Parce que je n’avais pas envie d’arriver avec mes gros sabots. Parce que c’est compliqué de faire rentrer du matériel. J’appréhendais aussi un petit peu quand même. C’était mieux d’y aller comme ça, à la méthode vieille école, avec la guitare sur le dos. L’idée maintenant c’est de proposer un concert électrique parce qu’il y a des demandes. Que ça puisse durer.

C’est la même chose avec les enfants de Maurepas, de Trégain avec le GRPAS [groupe de pédagogie et d’animation social]. J’ai vraiment beaucoup apprécié le travail des gens du GRPAS. Ça a été une grosse découverte. Une implication, un engagement. J’ai vu le boulot que ça demandait. Le GRPAS propose des animations extra-scolaires aux scolaires, en accord avec la directrice de l’école de Trégain. Ce que j’ai vu, par exemple, quand je suis intervenue là-bas, c’était pendant Travelling : « qui veut aller en vélo samedi matin au Liberté pour rencontrer le technicien-régisseur qui vous fera faire le tour ? » C’est le levage demain. « Ah mais non, toi, tu n’as pas encore passé ton code à vélo – Ok, je le note. Donc c’est noté, pour toi ce sera la prochaine fois. Qui veut venir ? Il en faut quatre » Il y a comme ça plusieurs activités qui sont proposées aux enfants. D’abord c’est leur envie. Ensuite, le travail du GRPAS, c’est d’aller voir tous les parents pour avoir l’autorisation et pour leur expliquer où va leur enfant, etc… Et ça se fait tous les jours quasiment, ou toutes les semaines. Il faut expliquer, rencontrer les parents, il faut aussi faire qu’ils soient à l’aise, rassurés, investis, accompagnateurs, etc… C’est un gros travail de fond.

Là où ça a été plus « normal » entre guillemets, c’est avec le lycée Victor et Hélène Basch. On a vraiment beaucoup apprécié de travailler avec le personnel du CDI. Je connaissais l’une des deux documentalistes, Céline, qui m’a permis de vraiment travailler la communication, en faisant une sorte d’exposition du travail d’Eric Mahé. Lui était au lycée. J’ai fait un concert sauvage dans la cafétéria pendant l’heure du midi. Ce qu’il faut savoir, c’est que tout repose sur du volontariat, aussi bien pour le public du centre pénitentiaire, que le GRPAS, tout ça… Avec les petites cocottes du CDI, ça a été vraiment un travail d’équipe.

Yoann Buffeteau - Where is my IDPourquoi 3 ?

Laetitia Sheriff : Je ne sais pas. (Elle réfléchit) Il y a un côté tri-dimensionnel dans Pandemonium, Solace and Stars, quand même. C’est un peu La Divine Comédie. J’en parlais cet après-midi avec une personne qui m’en faisait la réflexion, se demandant si j’avais été inspirée par Dante. Très honnêtement, je vois (avec sa main, elle montre trois plans qui se superposent) l’Enfer, la Terre, le Ciel. Trois parties. C’est hyper simpliste. Les sujets que j’aborde, ce sont des sujets dont les gens ont été inspirés depuis la nuit des temps, finalement. L’Enfer surtout.

L’apaisement, comme je l’aborde, c’est plus la vie ensemble. Il peut y avoir des moments comme ça en fait. Finalement, j’ai inversé aussi ces dimensions là. Tout le travail qui a été fait sur ces thèmes. Je n’attends pas quatre ans montre en main entre la sortie de chaque disque. C’est que j’avais besoin de me nourrir, de me renseigner. Et puis je fais aussi d’autres choses. Là, vraiment, j’avais envie de faire un voyage dans le temps, en m’inspirant de bouquins traitant du futur, de l’anticipation, de films de science-fiction, beaucoup de presse spécialisée, d’actualités, et puis aussi avec des événements de nos vies, de ma vie. Ça prend toujours du temps. A un moment, j’ai dû m’arrêter.

Mais très bizarrement, j’ai été dépassée par tous ces thèmes abordés au moment de l’enregistrement. Je me dis que c’est fou. De zoomer aussi près sur nos défauts en temps qu’êtres humains, je m’aperçois que ça devient vraiment le pendant du quotidien. Toutes ces choses qui ressortent, parce que j’aborde des sujets somme l’écologie, les guerres… De façon (attention je ne m’appelle pas Enrico Macias –rires-) toujours abstraite, poétique. Je me suis penchée fort sur les textes. Mais la musique a aussi pris un relai fort, très très fort. J’étais sans Olivier [Mellano] et sans Gaël [Desbois] sur cet album, il a donc fallu que je reprenne les choses différemment, en ayant plusieurs casquettes. J’avais donc moins la possibilité d’être dans quelque chose, je ne sais pas, d’un peu plus léger. J’étais complètement investie. Nicolas est venu enregistrer huit jours. Ça s’est passé chez moi, avec Thomas Poli à la réalisation et avec une voisine (rires). On a essayé mais ce n’est pas vraiment adapté à là où on habite. Mais on l’a fait quand même. Nico est venu huit jours. On n’avait pas vraiment joué les morceaux, mais il a joué le jeu. Carla est venue trois jours.

2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-22Carla Pallone. On lui fait coucou.

Lætitia Sheriff : Tu pourras peut-être lui faire coucou en vrai. (rires) D’essayer de guider ces super musiciens, il fallait vraiment que je ne déconne pas.

Carla avait vraiment très envie de travailler avec toi.

Lætitia Sheriff : Oui, j’ai découvert comment elle travaillait. Elle a découvert comment je travaillais. Il y a eu des moments d’incompréhension. Mais il y a eu des moments de grâce (elle insiste sur ce dernier mot).

Ce qui est normal.

Laetitia Sheriff : Oui, je pense. Mais je n’avais jamais vécu ces moments-là en studio. C’est très étrange. L’aspect compliqué des choses et puis en même temps on arrive à la fin de ce moment qui est compliqué, on écoute et c’est super, quoi. C’est très intéressant. Et puis, il faut juste se dire quand on compose des morceaux, puisqu’on attend le travail de personnes pour arranger les morceaux, qu’on ne peut pas les manipuler. Ils sont qui ils sont. Là c’est la frappe de Nico, c’est l’archet de Carla. Thomas, dans son travail, a essayé d’être au plus proche, même plus que proche, de qui ils étaient, de qui je suis, sans tricher, sans effet, sans vocoder, etc (rires). Voilà. Je pense avoir été honnête. Je n’ai pas envie de dire pour une fois. Je le suis quoi qu’il arrive. C’est vrai que par rapport au thème abordé, ça fait une contrebalance.

Tu joues en trio au Jardin Moderne, avec deux musiciens qui ont donc enregistré avec toi. Est-ce que tu peux nous les présenter ?

Laetitia Sheriff : Il y a Thomas Poli. Il a joué avec Dominique A, Montgomery et il joue actuellement avec Psykick Lyrikah. Sur l’album, il ne joue qu’un morceau. C’est un morceau qu’on a co-écrit, on en avait envie. Il parle d’amitié. Thomas avait déjà remplacé Olivier. Je pense qu’ils ont un truc de passation, d’un peu mentor. Je sais, Olivier n’est pas un vieillard de 60 ans, il ne faut pas exagérer non plus ! (rires) Mais il y a ce truc-là.

Dominique A@rdr2012-alter1fo (11)C’est la connexion jazzmaster, peut-être.

Laetitia Sheriff : C’est peut-être la connexion jazzmaster, tu sais de quoi tu parles (rires). Il a été amené à remplacer Olivier sur la tournée Games Over, le deuxième album. Il a plusieurs casquettes. Il a aussi cette casquette de réalisateur sur le disque. J’avais vraiment envie de travailler comme ça avec lui, de lui donner toutes les manettes. On en a beaucoup discuté. On a préparé tout ça, en réalité. Ça a été un gros boulot de préparation.

Avant l’enregistrement donc ?

Laetitia Sheriff : Oui, carrément. Même deux ans avant, même. Pour essayer quelque chose. Pour que ce soit excitant aussi. Pour arriver à des choses, lui dans ses expériences à lui, moi aussi à côté. Et à côté, de faire le point très régulièrement aussi, en se disant « ok, on peut partir aussi dans cette direction ». Pas pour faire L’Album, ou le triple album du siècle. Mais d’être au plus proche de qui on est. On en revient encore à ça. On a essayé. Il a vraiment été mon binôme jusqu’à aujourd’hui.

Il y a aussi Nicolas Courret à la batterie, qui était aussi sur la tournée de Games Over, que j’ai rencontré il y a quelques années. Il m’a rappelé un truc dont je ne me souvenais plus donc ça fait très longtemps en réalité qu’on se connait. Il a bossé avec Eiffel. Mais je l’ai connu avec Headphone, un projet qu’il a avec Marc Sens, Jean-Michel Pirès, Charles H. Garabed, et Bed aussi, un super projet avec un artiste qui s’appelle Benoît Burello, qui joue aussi avec Olivier Mellano. C’est aussi un des comparses d’Olivier. Il a aussi accompagné Houellebecq dans les années 90’. (rires) Je rigole parce que je pense à quelques anecdotes plutôt drôles… C’est un petit gars qui est plein d’énergie, très investi, qui a été d’une aide vraiment très précieuse ces derniers mois. C’est quelqu’un qui ne lâche rien. Il fait partie de la crew. Il est là. C’est quelqu’un, en temps que musicien, qui est d’une précision assez affolante, qui fait courir, en fait. Je pense que ce crew là, c’est peut-être ce que j’ai fait de plus rock depuis toujours. (Elle ajoute) Même avec Trunks. Oh la la, attention !

Dans Trunks, tu as aussi un batteur précis et percutant …

Lætitia Sheriff : En même temps, ce n’est pas la même chose. Il y a eu des moments furieux. Mais on est cinq dans Trunks. Là, on est trois. Je ne sais pas. C’est le sentiment que j’ai. Mais il y a aussi plein de nuances. Il n’y a pas de machines. C’est vraiment le retour à l’essentiel. C’est très dynamique.

On se posaiTonio Marinescu - Codificationt aussi une question toute simple (tu nous as déjà un peu répondu tout à l’heure) sur le fait que tu as choisi de baser l’action culturelle plutôt sur le côté visuel. On s’est demandé si c’était aussi par rapport au fait que toi, tu as fait un ciné-concert (tu as dit que tu n’en ferais plus mais on espère tous que tu en feras un autre –rires-) et puis tu travailles aussi avec le théâtre. La musique n’est pas que « la musique pour la musique » dans ton travail. Elle peut aussi être associée à d’autres arts. Est-ce que c’est aussi pour ça que tu as choisi d’axer l’action culturelle sur cet aspect visuel ? Ou bien est-ce que cela vient simplement de la relation que tu as avec ces trois graphistes ?

Lætitia Sheriff : Non, non. Oui. Tu as tout à fait raison. C’est le prolongement en fait. Une image peut être le prolongement de la musique, une musique peut être le prolongement d’une image, etc. Enfin, je crois.

De plus, je crois que le fait de travailler avec des personnes qui comprennent sans que j’ai à développer ou que j’ai à discutailler pendant toute une nuit… Je n’intellectualise pas ma musique. J’ai du mal à l’intellectualiser, même si je dis que je vais aller chercher dans des bouquins, dans ceci cela.

C’est peut-être aussi parce que j’ai manqué de ça à un moment donné. J’ai manqué de mots. Je n’ai jamais manqué d’inspiration ou d’imagination. Mais justement, je crois que ça a vraiment un lien avec ça. J’attendais de rêver pour pouvoir avoir des images qui allaient avoir un sens. Peut-être même pour le début d’une chanson, j’attendais souvent de rêver au départ. Parce que ce qui était à l’extérieur me semblait tellement fort, même d’aller voir une exposition, etc. C’était tellement fort qu’il fallait que je prenne le temps de tout décortiquer, etc. Ça, c’était avant. Mais maintenant, je sais que quand j’écris, même si je passe du temps à écrire mes chansons, je compte beaucoup déjà sur la passation, sur le moment où je vais chanter, où les gens le prendront pour eux.

Les chevalières de la table ronde - Marie HéliaMais il y a aussi ce travail avec l’image, qui me paraît être hyper important. Quand je propose à Tonio de travailler sur la première pochette du premier album, on discute et on se met d’accord sur un super gars, Karl Blossfeldt. C’était un naturaliste. Je le lui ai montré, il connaissait. On est donc parti sur cette idée de plante. (rires) C’était marrant parce qu’à partir du moment où on s’est dit ça, toutes les chansons étaient en rapport avec ce truc-là. Les plantes, c’est codé. Chaque plante a sa spécificité, etc. Ce n’est pas quelque chose auquel j’aurais pu penser. J’aimais juste cet artiste-là, ce photographe. Voilà, ça a enrichi l’imaginaire, la signification de toutes ces chansons.

Et le fait de travailler avec des gens de théâtre…

Lætitia Sheriff : Le fait de travailler avec des gens de théâtre, des metteurs en scène, des chorégraphes. Même avec des réalisateurs, sur le documentaire. Le dernier travail que j’ai fait c’est avec Marie Hélia sur Les Chevalières de la Table Ronde, un superbe documentaire de témoignages de femmes qui ont plus de 70 ans, si je ne dis pas de bêtises, et qui ont vécu le féminisme comme on ne le connaîtra jamais. Celles qui ont connu les premiers plannings. Ce ne sont pas des paroles violentes. Au contraire. Ce sont des témoignages…

J’étais très étonnée que Marie me demande de travailler sur son documentaire. Mais elle m’a envoyé le projet écrit et la façon dont elle avait décidé de filmer et d’intégrer des choses que moi je n’avais jamais vues dans le milieu du documentaire, et sa sensibilité… Ces femmes, j’avais envie de les rencontrer, Les chevalières, comme elle les a appelées. A partir du moment où on s’est vu à Douarnenez, vraiment par hasard, après qu’elle m’a envoyé un mail pour me demander de travailler avec elle, je lui ai dit « bon alors, on travaille ensemble ou pas ? » Elle m’a dit : « oui, oui ». Elle était déjà en train de dé-ruscher. Je suis allée voir. Il se trouvait que je partais deux jours à l’ile de Sein avec ma guitare classique. J’ai commencé à écrire un début de musique, sans savoir vraiment.

Mais je lui avais demandé une méthode de travail aussi, qu’on travaille sur deux jours. Parce que je sais que c’est assez compliqué financièrement, techniquement, etc. dans le milieu de cinéma, où les productions sont assez floues. C’est assez complexe. Pour simplifier cette histoire, et ne pas la salir pour une quelconque question de thunes ou de méthode, je lui ai proposé de bosser en direct avec elle et qu’elle fasse son choix.

laetitia sheriffOn a enregistré ensemble. Ça a effectivement duré deux jours, deux bonnes grosses journées avec l’image et elle à côté de moi qui me guidait quand il fallait, moi qui lui proposais des choses. Il y a un truc qui en est sorti, très sensible. J’espérais vraiment que cela lui ressemble et que ça ressemble aux personnages du film documentaire. Et moi, ça me ressemblait aussi. Tout le monde est content. Il y a quelque chose vraiment dans la fragilité et dans la force en même temps, c’est acoustique et électrique.

Quand on fait de la musique pour du théâtre ou de la danse, on travaille aussi par rapport à la personnalité des gens qui nous demandent de travailler avec eux, pas forcément uniquement à travers un thème, une adaptation… C’est ce que je me tue à essayer d’avoir avec certains metteurs en scène, (pour les chorégraphes, je n’ai eu qu’une seule expérience) généralement, les gens ne sont pas très précis. Tout leur paraît facile. Quand on est musicien, apparemment, on est aussi technicien, on peut réaliser, on peut produire, ça peut sortir des doigts comme par magie. Puis des fois, ce n’est pas de la musique, ce sont des faisceaux lasers (rires). Ça plane assez. Je ne suis pas méchante en disant ça. La plupart du temps c’est ça, il y a un problème de vocabulaire, d’appréciation. Je ne sais pas comment dire. Quand on fait de la musique pour du théâtre, ce n’est pas comme quand on met un disque. On ne peut pas faire play/stop/rewind, etc. Sauf si c’est sur un cd. Mais par contre quand c’est de la musique live, on essaie de jouer le jeu. Il y a un truc un peu flou. (Positive) Un truc à travailler je pense. C’est pour cela que je préfère travailler avec des plasticiens (sourires). Non, mais vraiment, j’ai aimé les gens avec qui j’aime beaucoup travailler comme David Gauchard de la Cie Unijambiste. Pour lui, je suis là. Tout le temps. C’est vraiment une super rencontre.

Pourquoi tu fais de la musique ?

Laetitia Sheriff : (silence) Je dirais que pendant ce temps là, je ne casse pas des cabines téléphoniques. (rires). A vrai dire, c’est une connerie. Mais je ne sais pas ce que je serais devenue sans la musique. Avant que je me décide à en faire tout le temps, j’étais serveuse. J’avais arrêté mes études. Je ne savais pas trop où j’allais. Une bonne rêveuse, qui voulait partir faire de l’humanitaire, qui essayait de trouver quelque chose, mais sans y aller à fond en fait. Sans y croire vraiment, avec des moments de déprime pour pas mal de raisons. Peut-être parce que je manquais de quelque chose. Je manquais de quelqu’un, je manquais de quelque chose. J’avais besoin d’espace.

2013-02-TRUNKS-alter1fo 16Les gens qui m’ont permis tout ça, ont compris ça tout de suite. J’étais comme un lion en cage. J’avais besoin de partir, de partager des choses ultra simples, comme des émotions. Des choses très simples, pas du tout travaillées, pas de look. Guitaristiquement pas très forte, mais avec l’envie. J’ai eu des gens qui m’ont accompagnée et qui m’ont protégée justement de tout ce qui faisait à l’époque, du relooking express, « tu vas faire comme ça, te conformer » . Ils m’ont dit : « non, reste comme tu es. Nous, on va t’aider. On va te pousser. On va te parader. On va être à côté de toi. »

C’est comme ça que je me suis rendue compte que j’étais en train de vivre quelque chose de fort. Que j’avais toujours fait de la musique finalement, que j’avais toujours été sensible à la musique, que ce soit ce que ma mère écoutait – je m’amuse souvent à dire qu’elle écoutait Julio Igliesias- mais pas que. J’ai mes grands frères et ma grande sœur. J’ai tous mes amis. Je me suis dit : « mais, en fait,  tout est musique depuis le départ ! »

Et il y a quelque chose de plus. C’est personnel mais quand j’ai retrouvé mon père qui ne m’a pas vu grandir… Quand je l’ai retrouvé, pendant que je tentais de le chercher, je suis retombée sur des disques vinyles. C’était un peu comme un jeu de piste. Où je l’ai cherché, il était passé. J’ai retrouvé des vinyles de Neil Young, de Soft Machine. Ça m’avait vraiment émue. Et puis j’avais réussi à apprendre qu’il était lui-même vraiment musicien. Ensuite, quand on s’est revu, c’était d’une évidence. Il y avait ce truc-là qui était au-dessus de nous depuis le départ. Voilà, c’est bizarre.

Il y a plein de gens qui disent « oh, moi je ne suis pas musicien, je ne connais pas la musique.» Je dis que ce n’est pas une histoire de connaître ou non la musique. Il faut la sentir. Il faut se sentir capable. Elle est toute proche et elle est vraiment là pour nous faire du bien, pas pour nous faire du mal. Ou se dire « moi je me tape la honte, je ne sais pas accorder, je ne sais pas tirer deux accords de ma guitare, alors que je rêvais de cette guitare et je ne sais pas bien en jouer. » Juste, il faut prendre le temps. Il y a un truc vraiment parallèle de vie. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, personne ne prend plus le temps de ça. Il faut être comme on voit, à la télé et tout ça. C’est pour ça aussi que je me suis attardée sur les films futuristes ou d’anticipation, c’est-à-dire toute cette poudre aux yeux qu’on nous fout dans la gueule qui nous évite de prendre plaisir à vivre et à vivre avec les bonnes choses. Pour moi, la musique, oui, c’est toute ma vie. Je suis très émue en le disant parce que je ne le dis jamais. Parce que ça sonne comme un truc hyper bateau, alors que c’est vrai. C’est vraiment vrai. Je ne m’attendais pas du tout à vivre ça il y a dix-huit ans (ou un peu plus).

Merci.

LaetitiaShériff@JardinModerne (13)Quand on t’a rencontrée les premières fois, il y a quelque chose qui m’a vraiment beaucoup frappée. Quand tu as parlé de ton parcours musical, le mot qui revenait tout le temps était celui de « rencontre ». Peut-être que ce ne serait pas le mot que toi tu mettrais en avant. Pourtant j’ai l’impression que c’est un mot qui te définirait bien. Qu’est-ce que tu en penses, toi ?

Lætitia Sheriff : Oui, c’est important. Après il y a des bonnes et des mauvaises rencontres aussi. Je sais que peut-être maintenant, je réussis à éviter les mauvaises rencontres, même si bien sûr, je ne suis pas à l’abri. Et pas en me cloîtrant chez moi, hein. J’arrive peut-être plus à les appréhender. Mais c’est un peu galvaudé maintenant le mot rencontre. Tu as les rencontres cul, les rencontres sportives…etc.

Je vais revenir encore à quand j’étais petite, à cette relation à l’immensité. Dès qu’on s’aperçoit de ce que représente le monde. Et ses habitants. Commencer à avoir des notions entre le million et le milliard. On se dit : « mais ce n’est pas possible ! Il n’y a pas autant de gens en fait. » J’ai été un peu déçue en me disant «mais je pense que je ne pourrais pas tous les rencontrer » (rires) Quand j’étais petite, c’était ça en fait. La magie de partir en tournée, c’est ce qui me plait le plus dans mon métier. Quand je suis sortie hors les murs de Lille, c’était pour aller à Vitry le François, à l’Orange Bleue. Donc autant dire que quand vous voulez boire un coup à Vitry le François, il faut aller à l’Orange Bleue, sinon autour, il n’y a pas grand-chose. Mais pour moi, c’était un truc fou, de prendre un van ; j’étais justement avec mes copains qui ont toujours été autour de moi. J’étais là en train de me dire que c’était dingue. Et j’ai rencontré des gens de Vitry le François. Après je suis rentrée chez moi. On m’a dit : « alors, c’était bien ? » « Ben oui, j’ai rencontré des gens » «Mais tu étais où ? » « A Vitry le François, à l’Orange Bleue » Et voilà, c’est mon quotidien maintenant. Quand on rentre de tournée, on passe très vite sur les concerts : « oui, les concerts, c’était super, mais punaise on a rencontré telle asso qui organise tel truc, et ils existent depuis autant de temps ! On a écouté un groupe qui a joué le même soir, c’est des mecs et des nanas super. On a discuté. Donc eux, ils font les choses comme ça. » Ce que je veux dire c’est que ça met du baume au cœur. Quand je dis que j’anticipe, que j’appréhende un peu mieux les mauvaises rencontres, c’est que je pense que maintenant, là où je vais, je me donne plus la chance d’en faire des bonnes. Il y a des milieux que je ne côtoie plus du tout, pour éviter de rencontrer des gens que je n’ai pas envie de rencontrer. Mais oui, la rencontre, c’est vraiment important, effectivement.

On a parlé deux minutes de ce que tu avais fait avant, et tu m’as dit « tu ne te rends pas compte du nombre de rencontres que j’ai faites toutes ces années où j’ai fait de la musique» Ça m’a marquée parce que tu ne m’as pas dit : « j’ai fait tel album ou tel projet », non tu m’as dit « ce sont ces rencontres-là qui comptent ».

Lætitia Sheriff : Oui, j’ai plus de mal. Je m’en aperçois même là, des fois, comme je suis sensée reprendre du service en promotion, je vais dire… C’est marrant ce n’est pas de ça que… L’album va être là. Après effectivement, il faut que je donne envie aux gens de l’écouter. Mais j’ai plus envie de suggérer un moment de ma vie comme ça, de dire : « soyez curieux, venez voir. Je ne vais pas vous faire une sale blague. Si vous n’aimez pas, c’est votre choix. Mes places de concert ne seront jamais à 25-30 euros. Prenez le risque. Vous connaissez ces lieux où je joue. »

Trunks@MondoBizarro_002Pour moi, même si je sais qu’il faut en passer par ce truc-là, de la comm’, de savoir se vendre, etc, (mais je n’y arrive pas. Je vais peut-être apprendre maintenant, à 36 ans, je ne sais pas), le plus important, ce sont vraiment les échanges. De discuter de ce qu’il se passe dans ce milieu. Cet après-midi on m’a aussi posé des questions sur mon point de vue politique, au niveau de la politique culturelle, etc. Là, je sors un peu de ma timidité ou de mon côté humble par rapport à la musique. Je me suis d’ailleurs aperçue que ce sont des choses que je mets dans mes chansons finalement. C’est miné de toutes ces choses-là, sauf que je simplifie tout. Je transforme cela en musique.

C’est peut-être pour cela que je fais de la musique amplifiée, que j’ai besoin de faire du bruit. Mais tout ça, effectivement, pour moi ce sont les gens. C’est tout ce parcours, toutes ces années. Même si parfois je suis poussée à me dire qu’il faut que j’oublie ce qu’il s’est passé avant, parce qu’il faut rebondir sur ce qu’il se passe aujourd’hui. A force d’entendre que c’est la crise, etc. on est en train de regretter ce qui était avant. On ne peut pas avancer comme ça. Je pense qu’il faut qu’on se fédère, qu’on continue à se croiser, à discuter, à s’écouter. Voilà, je vais passer pour une nonne, mais il y a vraiment ce truc là qui me tient à cœur.

A la limite, je crois que faire de la musique, ce serait presque une excuse.

Je vais te dire ce que Thomas nous avait dit (ThomR, réalisateur) en interview, que faire un film était souvent le prétexte à la rencontre.

Lætitia Sheriff : Oui, je pense que c’est ça. Et puis, comme je le disais tout à l’heure, tout le bien que ça procure à l’âme très fort. Je ( ?) me demande si c’était une carte de visite, la musique. Oui, je pense, quelque part…

On poursuit avec quelque chose qui n’a rien à voir avec les Embellies. Tu nous en avais parlé il y a un an hors micro. J’en ai entendu deux ou trois morceaux et ça m’a vraiment plu. Ça s’appelait Les Mistoufles. Est-ce que tu peux aussi nous parler de ce projet parce que ça avait l’air super chouette ?

Lætitia Sheriff : C’est avec la Cie l’Unijambiste dont le directeur, David Gauchard a toujours (elle insiste sur le mot) plein d’idées, plein d’envies aussi pour faire se rencontrer les gens. Il m’avait notamment parlé des comptines de Mademoiselle Françoise Morvan que moi je connaissais en tant que militante, militante politique s’attaquant aux pro-nationalistes bretons. Je ne savais pas qu’elle écrivait des comptines pour enfants. David est venu un jour avec plus d’une vingtaine de recueils, en me disant « j’aimerais écrire un truc ». Françoise Morvan aide André Markovicz, qui est le traducteur émérite qui travaille avec David sur les textes de Shakespeare (forcément), et que j’admire beaucoup. L’idée de David c’était de faire travailler l’un des comédiens de la compagnie et un des musiciens du collectif de la Cie sur un recueil et avec une classe. Eux aussi, quand ils sont accueillis dans un théâtre, ils ont cette proposition d’action culturelle.

Trunks@MondoBizarro_005Ça s’est passé à Villefranche sur Saône, donc pas la porte à côté [à 30 grosses minutes au nord de Lyon en voiture]. Emmanuelle la comédienne avec qui je travaillais, se chargeait de faire travailler les enfants sur la diction, sur le fait de se détendre un peu face au texte, de le comprendre, etc. Et je m’occupais de tout ce qui était éveil musical, découverte de la musique. J’ai un petit peu tâtonné pour voir ce vers quoi ils avaient envie d’aller. On a travaillé avec l’instit’, Patrice, et puis l’intervenante en musique. Il s’est avéré qu’on était une super équipe et que les petits se sont complètement pris au jeu de cette façon d’écrire de Françoise, de cette façon de lire de Manou, de mes travaux pour les faire chanter, des propositions musicales de Monsieur Robert Le Magnifique qui est venu m’aider (« au secours, viens m’aider, Robert le Magnifique ! » –rires-). Il a composé les morceaux avec moi. Il en a aussi composé tout seul. Il a mixé. Il a enregistré les enfants. Ça a été un truc fou qui a duré six mois, épisodiquement. Mais le résultat était dingue, tout comme la façon dont ça s’est fait ! Avec des enfants qui étaient en Cm2 mais qui avaient un niveau Ce2. Il y en avait un en particulier, il a juste été spectaculaire, notamment dans l’assimilation du texte. Il connaissait son texte, il connaissait le texte de son voisin… qui s’est dégonflé au dernier moment. Il a repris son texte au pied levé. On a redonné un texte à son voisin sur des choses un peu plus fines, un peu plus légères. C’était l’éclate totale. On s’est amusé.

Le résultat est super en tout cas !

Laetitia Sheriff : Ce qui était encore plus fort, c’est qu’on a fait un cd de ce projet-là et on a invité les parents de ces enfants à venir écouter et à repartir avec le cd. Patrice, l’instituteur, nous a dit qu’il n’avait jamais vu autant de monde, autant de parents. Je pense que les enfants ont dû faire « pia pia pia pia, venez écouter, ça va être super ! » Les parents ne sachant pas parler français, qui avaient le sourire jusqu’aux oreilles, avec des mamans qui pleuraient… Du coup, tu es comme ça (elle mime le fait de se cacher le visage), discrètement. Donc c’était un super résultat. Et puis surtout on a eu des retours de malade ! Voilà pour Les Mistoufles qui peuvent s’écouter sur bandcamp [écoutez là pour Les Mistoufles].

Allez écouter ! Ce sont des chansons pour enfants, qui ne sont pas bêtes du tout comme peuvent parfois l’être les chansons pour enfants qui les imaginent stupides.

Juste pour finir : d’autres projets à venir ? D’autres choses que tu aurais envie de souligner ?

Laetitia Sheriff : Il me semble que je vais travailler sur une sorte de ciné-concert (rires). Non, ce n’est pas tout à fait un ciné concert. J’ai été contactée par Monsieur François Ripoche que certains connaissent et Monsieur Stéphane Louvain des Rabbits, anciennement des Rabbits [Les Little Rabbits]. L’histoire est compliquée mais voilà, on a un projet à trois. Ça va être une sorte de proposition qui risque d’être un peu particulière. On va travailler cela.

Trunks On the RoofAvec Trunks, j’aimerais bien qu’on se retrouve à un moment. Qu’on se prenne une petite semaine pour enregistrer nos bêtises. Et puis faire le point de toutes les choses qui nous ont nourries ces derniers mois depuis notre tournée l’année dernière.

J’aimerais bien reprendre aussi le projet que j’ai en tête depuis des années. J’en parlerai plus tard. Ça s’appellerait Les sons immobilisants. Ce serait avec des instruments un peu particuliers. Je n’en dis pas plus non plus, il faut que ça se monte. Mais j’y réfléchis depuis 3-4 ans. Mais voilà, je suis lente.

Et puis j’aimerais bien enregistrer la musique de Sa Majesté des Mouches avec Thomas Poli pour une sortie Impersonal Freedom.

[on lève les bras de joie !] La grande classe !

Laetitia Sheriff : Ce serait vraiment bien… Le nouvel album sortira (il va sortir au mois d’octobre) avec Impersonal Freedom et Yotanka, le label de Psykick Lyrikah, Von Pariah, Zenzile… On est vraiment en train de travailler autour de la sortie du disque. Je ne vais pas en dire beaucoup pour l’instant. On a le temps aussi d’avancer dans le projet. Il va y avoir aussi des projets de clips. Il y a plein de choses qui vont arriver. Je suis en train de vous dire, les Trunks, Ripoche, et…, et… Mais je vais d’abord me concentrer sur la sortie de ce disque et sur la tournée qui va aller avec. Il y a des chances qu’on aille au Canada. Les Tontons Tourneurs sont en train de préparer ça. Il y a plein de belles choses qui se dessinent pour le futur. On va continuer à faire en sorte que ça se passe comme ça.

Merci beaucoup.

A vous aussi.

Et on te retrouve dès mercredi sur scène. Stéphanie Cadeau de Patchrock nous a dit que plein de gens avaient pris leur place pour les deux soirs.

Laetitia Sheriff : Oui, dis donc (elle s’excuse quasi dans un sourire rougissant). Et puis il y a la carte sortir! aussi pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent. Je crois que ce n’est pas si compliqué que ça. Ça va descendre le prix à 6 euros par soir.

Si vous voulez, il y a également deux places à gagner sur alter1fo, donc n’hésitez pas, si vous n’avez pas beaucoup d’argent, c’est aussi le moyen de pouvoir y aller.

Merci, merci, merci, merci

Merci, merci, merci, merci…

Prise de son, montage son aux petits oignons, (gros) coup de main sur le transcript : Caro

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Les Embellies proposent deux soirées cartes blanches à Laetitia Sheriff le mercredi 26 mars à partir de 19h30 avec Laetitia Sheriff, Furie et Monstromery et le jeudi 27 mars à partir de 20h avec Laetitia Sheriff, MellaNoisEscape, 1 Primate et un after show mitonné par Mistress Bomb H et Lester Brome au Jardin Moderne (11, rue du Manoir de Servigné, Rennes).

Tarif Sortir : 6 € – Tarif Plein : 12 € – Sur place : 14 €

Plus d’1fos sur le site des Embellies : http://festival-lesembellies.com/

Bandcamp de Laetitia Sheriff : http://laetitiasheriff.bandcamp.com/

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