En plus des concerts et des expositions, les Embellies nous proposeront une projection mardi 19 mars (à la bibliothèque Lucien Rose) du film de thomR, NYX. Sommes-nous les enfants de la nuit, dont on a suivi la réalisation par ici avec une immense attention. Parce qu’on est touché au cœur par la musique de Mansfield.TYA, dont la rencontre a conduit au film. Parce qu’on est ému, remué même, par les films de thomR qui nous perforent bien souvent l’âme. Rencontre.
On a eu un véritable coup de foudre, totalement immédiat lorsqu’on a découvert le travail du jeune réalisateur. Onn’en a pas cru nos yeux, de cette justesse des images. Du talent de ce garçon qui sait vous montrer en à peine quelques minutes l’humanité des êtres.On aime les films de thomR parce qu’ils jouent sur l’intensité de la simplicité, sur le souffle de la fragilité tout autant parfois que sur une animalité plus tangible. Ses films sont de vrais moments intenses, qui redonnent le moral, inspirent, donnent des secondes de vie en plus et de l’air à respirer.
NYX. Sommes-nous les enfants de la nuit qui devait au départ être un documentaire sur le processus de création, en filmant au plus près Julia et Carla de Mansfield.Tya pendant l’écriture de Nyx, leur dernier et magistral album, est finalement moins documentaire qu’expérimental, mais rend avec une force égale l’incarnation des êtres, entre fragilité et animalité. On remercie d’ores et déjà les Embellies d’avoir intégré cette projection (suivie d’une rencontre avec thomR ) à leur programmation.
D’autant que ça nous a donné l’occasion d’une nouvelle rencontre avec thomR. Et que ça, croyez-nous, c’est un peu une des raisons pour lesquelles alter1fo existe.
On avait interrogé ThomR pour parler du projet qui était alors en cours de réalisation, mais aussi pour évoquer son parcours de vidéaste jusqu’alors, il y a un peu plus d’un an. N’hésitez donc pas à lire également l’interview de ThomR «Beaucoup de gens filment la musique sans se poser la question de pourquoi ils font ça… » (novembre 2011), rencontre, qui déjà, nous avait particulièrement touchés .
Alter1fo : Tu nous as déjà expliqué comment vous vous étiez rencontrés avec les Mansfield.TYA. Mais on ne sait pas trop comment est née l’idée, concrètement, au départ, de ce projet de film sur Nyx. Peux-tu nous raconter ?
ThomR : Au départ, oui, on voulait travailler ensemble sur un long projet. On est parti sur l’idée que je suive un peu tout le processus de création et d’enregistrement de l’album. C’était comme une évidence puisqu’elles « entraient en studio » pour travailler sur leur 3ème. Maintenant, je comprends que c’était en fait le prétexte pour se rencontrer et partager des choses. Après, comme chaque fois, je crois que j’ai besoin de me laisser surprendre par l’expérience vécue et le film est finalement né de toutes ces surprises qui arrivent.
Dans la pratique, comment ça s’est passé ? Tu es resté avec elles pendant l’enregistrement et tu les as filmées quasiment 24h sur 24…? J’imagine que tu as eu des centaines d’heures de film, non ? Est-ce que la question était davantage en amont (que filmer ?) ou bien en aval (quelles images choisir de monter/montrer ?) ?
Oui, j’ai beaucoup filmé. Enfin parallèlement, j’étais aussi en tournée avec Tiersen, ça m’a permis ainsi de les lâcher pendant quasiment deux mois et de les retrouver avec cette idée plus précise en tête du travail sur la nuit… Mais pour moi l’acte de filmer reste une manière d’entrer en contact, d’occuper l’espace, d’interroger, de communiquer… ça n’est pas un geste qu’il convient nécessairement d’intellectualiser. J’étais un peu complexé par cela avant, ces gens qui te demandent si tu as écrit ton film avant de le tourner, mais ça c’est une manière de faire et elle ne me convient pas….
Tu nous racontes, les coquillages ? Et le cimetière ?
On aimait bien se balader ensemble sur la plage, au cimetière, dans la forêt… je n’ai fait que documenter les moments où il s’avérait nécessaire de sortir du studio pour s’aérer, se changer les idées, inventer des jeux… J’ai essayé de transformer ces moments vécus en séquences visuelles particulières, une matière qui cherche à bousculer le spectateur, en sollicitant directement son imaginaire.
J’ai l’impression qu’au fil du temps, le « but » du film (et peut être son objet ?) a changé ? Tu es d’accord ? Peux-tu nous en dire plus ?
Oui, comme je le disais, je crois qu’à partir du moment où le désir est bien là, il faut toujours trouver une sorte de prétexte pour commencer un projet ; et puis, plus on s’éloigne de l’idée initiale et plus ça me parait être bon signe.
Est-ce que tu serais d’accord pour dire que plus qu’un film sur la création de l’album Nyx, c’est plutôt un autre « volet » de Nyx que tu as réalisé, une autre œuvre autour du thème de la nuit (et de ses enfants…) ? En d’autres termes (j’ai l’impression de pas être très claire) est-ce qu’on pourrait dire que tu as fait tien le thème de Nyx et que tu as aussi fait une œuvre sur la nuit (avec tous ses aspects, la peur, la confiance, la quête…) ?
Je n’arrive toujours pas trop à savoir finalement ce que c’est que ce truc… ça ressemble à un film mais je ne suis pas sûr que ça en soit réellement un… Mais oui, j’ai eu un déclic à un moment donné quand j’ai compris que Julia et Carla étaient parties pour se frotter, se perdre et se trouver dans ce thème de la Nuit, j’ai compris que ma façon à moi de parler d’elles, c’était de me détacher du sujet premier et d’explorer moi-même ce thème de la Nuit à travers le prisme de leur musique, de leurs interrogations. Je crois qu’en les observant composer leur album, je me suis retrouvé dans leur manière de faire, assez informelle, plutôt abstraite et ça m’a conforté dans l’idée de pousser plus loin l’expérimentation que permet entre autre le montage.
Tu nous as dit que tu avais l’impression qu’au final, le film était peut-être moins documentaire que ce qu’on avait pu en voir lors des diffusions d’un premier montage à l’Antipode (dans le cadre de la carte noire aux Mansfield.TYA). J’ai pourtant l’impression que s’il n’a pas une forme documentaire « classique », le film documente pourtant au plus près la vérité de l’instant, sa fragilité et sa plénitude en même temps. Qu’en penses-tu ?
Je ne sais pas où se situe la vérité de l’instant, je pense que chacun a sa vérité du moment. Et je ne sais pas si c’est de ma vérité de l’instant que j’essaie de rendre compte ; je pense qu’au montage, on ne fait que fabriquer une autre vérité d’un autre instant, peut-être plus fantasmé. Et le documentaire est aussi là pour exprimer ce décalage de perception. Il est vrai que le film fini, je me dis que finalement, le monde comme je le perçois doit vaguement ressembler à ça.
A quel moment as-tu eu l’idée d’intégrer des images de danse d’Ivan Fatjo dans le montage ? Qu’est-ce que tu voulais apporter avec sa présence à l’écran ?
Au moment où je me suis dit que ce film serait finalement mon interprétation du thème de la Nuit, je me suis alors autorisé beaucoup plus de choses, c’est comme si d’un coup, tout ce qui se passait dans mon quotidien, mes rencontres pouvaient également faire partie du film. J’ai beaucoup fonctionné comme cela par la suite, l’endroit où je me trouvais influençait l’histoire du film. Ainsi, chez mon ami Ivan, on a filmé ce personnage seul qui semble se battre pour ne pas se laisser envahir par l’ombre. Tout d’un coup, en commençant à monter ces images, une sorte de narration a commencé à s’installer, un dialogue par les gestes, une interaction entre cet être qui semble à part, qui regarde le monde, qui s’interroge et les Mansfield.TYA, qui explorent de leurs voix, textes, mélodies… la profondeur de sentiments humains universels.
Le son occupe une importance essentielle dans le film. Comment tu as fait pour la musique ? Je sais que tu n’as pas seulement pris les morceaux des Mansfield.TYA tels quels mais que tu as pris certaines pistes, modifié, bidouillé (ce qui leur a donné l’idée des Re-Nyx, d’ailleurs, d’après ce qu’elles nous ont dit)… Et que ça même été un aller-retour créatif entre Julia, Carla et toi. Tu peux nous expliquer ce processus ?
J’avais envie de travailler le son autant que l’image. Je pense que j’aurais pu aller encore plus loin, mais ça m’a mis sur une nouvelle voie dans l’expérimentation du son, j’ai appris beaucoup de choses.
J’ai eu accès à toute la matière sonore brute qu’ont pu produire Carla et Julia. J’ai utilisé des sortes de brouillons que je me suis parfois amusé à passer dans des moulinettes pour avoir une matière, une texture, quelque chose d’assez organique. Et puis vers la fin du montage, oui, on a fait des allers-retours, elles m’ont ré-enregistré quelques pistes que j’ai intégrées dans la bande-son du film.
On a aussi l’impression qu’il y a des prises directes, qui ne sont pas modifiées. Mais que tu laisses énormément de place au silence, au bruits ambiants (l’orage, la mer, des enfants qui jouent…) : est-ce que c’est une façon pour toi de justement rendre sensible le temps, de donner à sentir l’instant ?
À travers l’image, à travers le son, je crois que ce qui me plait le plus, c’est cela : essayer d’écrire quelque chose par les textures, par les silences, inventer un temps qui s’adresse davantage aux sens qu’à la pensée rationnelle. Dans la vie de tous les jours, j’ai l’impression d’être beaucoup plus réceptif à ce qui s’adresse à mes sens qu’à la rationalité des discours ou des situations, c’est peut-être pour cela que dans ma façon de faire ce film, je me suis toujours laissé guidé par des intuitions, des envies. Je crois que ce sont les rencontres qui me construisent et finalement j’ai envie de partager ce qu’elles me font ressentir.
J’ai l’impression que les voix sont particulièrement mixées en avant. Je pense par exemple à un extrait de concert (je crois ?) où on entend particulièrement les voix de Julia et Carla. C’est comme si la voix, j’allais dire le souffle, nous rendait aussitôt sensible la présence des êtres et servait de témoignage, de trace. Tu es d’accord ? C’est quelque chose que tu voulais ?
Oui, toujours dans cette idée de texture, leurs voix me touchent autant pour ce qu’elles disent que par le souffle qu’elles émettent. Je pense que c’est une énorme bêtise de souvent penser le fond et la forme comme deux choses tout à fait dissociables. Le fond est de la forme et vice-versa. Les voix racontent autant par ce qu’elles disent que par leurs sonorités.
On entend d’ailleurs beaucoup de voix qui disent des textes dans le film. Comment les as-tu choisies, ainsi que les textes qu’on entend ?
Il y a cette voix, que je trouve magnifique et qui ouvre le film ; c’est celle de Thalia, une amie grecque architecte et musicienne. Je lui ai rendu visite à Athènes, je lui ai proposé d’enregistrer cet extrait de la Théogonie d’Hésiode qui parle de la déesse de la nuit et des ses enfants, le sommeil et la mort. Lorsqu’elle a enregistré ce texte, ça m’a tellement touché de l’entendre prononcer ces mots dans sa langue que je ne comprends pas mais dont la musique me fascine que c’est devenu évident ; sa voix et la langue grecque seraient une sorte de fil rouge dans le film. Et puis Matt Elliott a enregistré un poème de Maia Angelou, il a lui aussi un timbre de voix incroyable, j’avais très envie d’entendre les sonorités de sa voix sur ces accords de piano qui se déroulent.
Bon, je suis désolée pour cette question, mais je me la pose depuis des mois… donc. Pourquoi cette scène de duel/danse à l’épée ?
Dans la nuit, il y a le rêve. Souvent les rêves sont insensés. Cette scène est comme un rêve insensé…
Les Mansfield.TYA nous ont dit que tu n’étais pas innocent dans la gestation du projet de Re-Nyx (à cause des nouvelles versions de leurs morceaux que tu faisais pour le film). Est-ce que, de la même manière, leurs retours sur tes images et tes différents montages ont également influé sur le film, et si oui, dans quelle mesure ?
Je leur ai montré des bouts de séquences sur lesquelles je travaillais mais j’avais aussi envie de leur garder la surprise, enfin oui, elles ont quand même suivi le truc. Et à un moment de doute, elles m’ont conforté dans le fait de m’éloigner du projet (prétexte) de départ en supprimant pas mal de moments beaucoup plus rationnels de la création (lorsqu’elles travaillent notamment avec les instruments sur les structures des morceaux).
Le film a été sélectionné pour le festival international du film documentaire à Copenhague en novembre dernier. Tu nous racontes ?
Super festival, j’ai vu beaucoup de choses très différentes, avec souvent beaucoup de libertés prises dans les formes projetées.
J’ai présenté mon film dans un vieux petit cinéma le « Gloria » un soir à 22h… l’endroit et l’horaire étaient parfait, le public avait l’air curieux et un peu timide, ça s’est très bien passé.
Tu viens présenter le film aux Embellies ce mardi 19 mars. Qu’est-ce que tu as éventuellement envie de voir, toi, dans la programmation du festival ?
J’aurais bien aimé voir BRNS par exemple, revoir Françoiz Breut… mais je ne pourrai pas…
Après cette projection, quels sont tes projets à venir ? Des choses que tu voudrais particulièrement souligner ?
J’aimerai beaucoup bosser avec Casey [à retrouver en interview là]. Sa force, dans ses textes et sur scène, m’impressionne beaucoup et sa simplicité me touche.
On a discuté l’autre jour après son concert de Rennes, je pense que je vais filmer des ateliers d’écriture qu’elle donne, elle a l’air enthousiasmée par l’idée.
Et puis, on va bosser aussi avec les copains de Sieur & Dame [à retrouver en interview ici] que j’adore !
Nous aussi… On a déjà hâte de découvrir tout ça. Merci !!
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Nyx. Sommes-nous les enfants de la nuit ? de thomR sera projeté à la bibliothèque Lucien Rose (11 square Lucien Rose – Rennes) le mardi 19 mars à 20h dans le cadre des Embellies.
Il est conseillé de réserver à l’adresse com.patchrock[at]gmail.com
Plus d’1fos :
– sur thomR : http://thomfilm.net/
– sur Nyx. Sommes-nous les enfants de la nuit ?: http://www.mansfieldtya.com/Nuit.html
– sur les Embellies et la projection de mardi : http://www.festival-lesembellies.com/artiste.php?jour=2&id=18