Pour beaucoup, Casey a été la claque sur la scène de Quartiers d’été. Présente sur scène avec B-James, son complice d’Anfalsh et Dj Hamdi aux platines, la jeune femme a fait montre d’un talent rare. Pourtant la rappeuse au charisme impressionnant et aux textes acérés est loin d’être une inconnue sur la scène hip-hop. Active depuis plusieurs années sur la scène underground par le biais de son collectif Anfalsh, responsable de plusieurs mixtapes, la jeune femme a déjà sorti deux albums qui ont fait date.
Le premier « Tragédie d’une trajectoire » (2006) comprend notamment un titre en duo avec Ekoué de La Rumeur, autre rappeur s’inscrivant dans une réflexion politique aiguisée. Car Casey ne fait pas du rap fm, elle tranche dans le vif, aborde les sujets qui réveillent les consciences. Elle parle de la vie dans les cités qui laminent, réfléchit sur les rapports de pouvoir et de domination à travers le prisme du colonialisme ou de l’esclavage. Sur son deuxième album « Libérez la bête » (2010), elle reprend les clichés transportés par les colonialistes ( « Espèce peu avancée/ Sans histoire écrite, ni récit donc sans passé/ (…)Et ses cuisses sont grasses/ Ses narines embrassent/ Chacune des extrémités de sa pauvre face/ Ses fesses sont une énorme masse/ (…)Leurs femelles sont fertiles et vaillantes/ dociles et idiotes, font elles-mêmes leur paillote/(…) Parfois le sauvage plonge dans la démence/ Mais le passage du fouet le ramène au silence ») et donne à hurler. Alors elle crache. La violence est sa force, la plume et le flow ses armes acérées. Ailleurs, elle lacère les idées reçues sur les Antilles avec un titre poignant « Chez moi » qui touche au plus profond.
La palette d’expression de Casey est plus qu’étendue et parfois, sa critique intransigeante se teinte d’humour. Dans « Apprends à t’taire » , elle renvoie les rappeurs et les chanteuses de R’nB de pacotille dans leurs longueurs. « Tu sais, bosser, souvent est une chose honorable / Alors attaque tout doucement et commence par le scrabble. » Avec Zone libre, dans lequel elle retrouve Hamé de La Rumeur, mais aussi Serge Teyssot Gay (Noir Désir), le batteur de Sloy (Cyril Bilbeaud) et Marc Sens (guitariste de Yann Tiersen), mais aussi B-James, Casey se frotte au rock qui grince, lacère et écorche. Aussi, parfois, les dents grincent et les mots de Casey ne plaisent pas toujours.
Qu’importe, la rappeuse garde son intégrité et choisit avant tout d’être fidèle à elle-même. Les « rêves illimités » des gamins des minorités, rognés, brûlés par le bitume de la cité, trouveront un jour peut-être une place, une géographie où exister. Et nul doute que Casey, sûrement, y sera pour quelque chose.
Alter1fo : Tu es venue à Quartiers d’été la semaine dernière. C’est un festival un peu particulier parce qu’il est gratuit pour être accessible à tous et surtout les organisateurs ont la volonté de proposer « du son et du sens » par le biais d’une multitude d’activités. Quand tu arrives dans un festival comme ça, tu es au courant de tout ça ? Les organisateurs t’en parlent ? Que penses-tu de ce genre d’initiative ?
Je ne peux en penser que du bien.
Quand tu fais un concert, en général, tu arrives, et c’est là que tu découvres ce qui se joue sur place. En fait, pour Quartiers d’été, je ne savais pas sur quelle ossature était montée l’organisation, mais j’ai juste vu que c’était gratuit et j’ai trouvé ça mortel.
Comment as-tu vécu le concert, toi, de la scène ?
Ca s’est bien passé ! L’accueil était sympa… J’étais passée à Rennes quelques mois auparavant, à l’Antipode. L’accueil était bon ! Ca fait deux fois que je viens à Rennes à quelques mois d’intervalle et c’est vraiment un bon accueil, vraiment chouette.
Je dois dire que nous, on t’a découverte là et on a pris une grosse claque et j’ai l’impression que pas mal de monde a eu le même sentiment…
Merci…
J’avais conscience qu’il y avait pas mal de gens qui ne connaissaient pas. C’est souvent ça dans les festivals. Je voyais qu’ils tendaient l’oreille, qu’ils prêtaient vraiment une oreille attentive…
Ca fait toujours plaisir que des gens puissent être curieux
En même temps, une partie du public connaissait les textes par coeur…
Il y en avait certains, mais pas tant que ça. Le ratio entre ceux qui ne connaissaient pas, qui découvraient et ceux qui connaissaient était assez disproportionné…
Mais tout ça, ça m’a fait plaisir, d’autant que je sais que ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile à écouter en plein été comme ça, sous la chaleur (rires). C’était vraiment un bon accueil.
Le premier impact quand on t’entend sur scène, ce sont tes textes. Notamment le parallèle que tu sembles faire entre la situation actuelle et le colonialisme, l’esclavage. Est-ce que tu peux nous expliquer ce lien ?
Je ne sais pas, je ne cherche pas toujours à faire un parallèle, C’est juste que les rapports de domination et de pouvoir ne changent pas. C’est transposable à des milliers de situations
Effectivement, c’est ma condition en tant que gosse d’immigrés. C’est un prisme qui permet de regarder les rapports de pouvoir et de répression différemment, du point de vue d’une certaine minorité.
Mais sinon, c’est transposable à plein de situations différentes. Ce n’est pas tout le temps un parallèle volontaire. Ce sont des rapports qui sont assez génériques. On peut vraiment les déplacer dans plein de cadres différents.
Alors justement, il y a quelque chose qui m’étonne, c’est que tu ne parles pas, ou peu, des discriminations à l’égard des femmes. Je ne vois pas de revendications sur ce sujet-là. A priori, ce n’est pas ton sujet ?
Ah oui, c’est vrai, on m’a déjà posé cette question… Bizarrement non… Ce n’est pas dans mes priorités, je crois. Je ne sais pas bien expliquer pourquoi.
Ca me gonfle aussi, d’être obligée d’en parler parce que je suis une meuf, d’être dans ce positionnement-là… Je n’en parle pas, mais on devine bien qu’en parlant d’autre chose, ça vient prendre sa place aussi… On peut partir dans l’infiniment petit, décliner à l’envi, mais c’est une position tellement attendue… Ce que je fais déjà, en le faisant moi, je trouve que c’est déjà assez parlant..
Tu veux dire que tu prends déjà position en faisant du rap alors qu’on n’attend pas les femmes là-dedans…
Oui, déjà en soi… Et je trouverais ça surjoué , surfait, d’en rajouter une couche.
Moi, en étant là, en faisant du rap et le rap que je fais, je trouve que c’est déjà pas mal. Il y a ce qui se dit et puis ce qu’on n’a pas besoin de dire…
Peut être que les rapports coloniaux, la discrimination raciale, en soi, c’est déjà tout de suite pour moi le premier déterminant, la première détermination… Après le reste, on peut le décliner à l’envi, « t’as vu je suis noire, je vis en banlieue, je suis une meuf… » Après, tu fais des choix aussi, mais bizarrement, oui, je parle rarement de ça.
Pour en revenir à ton concert à Quartiers d’été, tu ne parles pas ou très peu entre les morceaux. Ca se passe toujours comme ça ? C’est pour ne pas altérer tes textes ? C’est une question de pudeur, de réserve ?
Non, ça dépend de l’humeur. En général, je bavarde beaucoup entre les morceaux pour dire des conneries. Des fois, je bavarde et je trouve que je parle trop, des fois, je raconte des conneries qui n’intéressent personne (rires). Mais en l’occurrence, ce concert-là, je n’ai rien dit.
Sur scène, tu partageais le micro avec B-James, alors que sur l’album, tu es le plus souvent seule à rapper. Pourquoi avoir choisi de rapper tous les deux ?
Dans le rap, pour ceux qui ne connaissent pas, ça se fait souvent comme ça. Il y a ce qu’on appelle les « backers », ceux qui font les « backs » , avec qui on fait les questions-réponses.
Avec B-James, on est dans le même groupe, Anfalsh. Au concert, d’ailleurs, certains connaissaient le groupe, ils portaient nos tee-shirts…
Ensemble, on a fait pas mal de mixtapes… Les mixtapes, vraiment, c’est de l’instantané : ça s’écrit vite, ça se fait vite. On en a fait pas mal. Lui, il a sorti une mixtape au mois de juin. Il va aussi sortir un album.
Dans Anfalsh, il y a aussi un troisième larron,Prodige, qui n’était pas là. On est tous les trois. Ceux qui nous connaissent savent que j’appartiens à ce groupe-là, que je ne suis pas seule. Je ne suis pas artiste solo. J’appartiens à un groupe.
Maintenant, moi, par rapport à eux, j’ai déjà sorti un disque, c’est mon deuxième album… Mais quand on va en concert, on y va tous ensemble ! C’est plus intéressant qu’un truc seul, un peu figé. C’est une logique collective.
C’est la même chose quand je fais un disque, même si sur l’album je suis seule à rapper sur les morceaux. En réalité, je ne suis pas seule. Il y a Heri et Jeloo qui font les musiques. Un album, même en solo, on n’est jamais seul pour le faire. Vraiment, je n’occupe que 20 pour cent du truc… Il y a aussi Tcho qui a fait la pochette, qui est là tout le temps avec nous aussi .
On est un groupe. Les forces, on les déplace. Quand ce sont les autres qui font leurs disques, ce sont les mêmes qui ont fait les musiques pour mon album qui font les musiques pour eux. Quand on bouge, on bouge ensemble et quand on rappe, on rappe ensemble.
Justement, alors, comment faites-vous pour vous répartir les parties de texte, pour définir qui va rapper quoi ?
C’est à l’instinct, on se connaît bien. Surtout avec B-James, on se connaît très très bien. C’est à force de répétitions. Quand je coupe une phrase, je sais qu’il va la reprendre, et ainsi de suite. Je n’ai même pas à dire « là, appuie-moi »…
Et puis, c’est du jeu aussi, c’est du pass-pass, il y a des choses dont on sait instinctivement qu’elles sont très rythmiques et on sait qu’on va se les échanger. C’est un jeu. Nos instruments, ce sont nos voix, nos flows… Donc plus on est nombreux, plus on joue.
Difficile de ne pas te parler de ton morceau « Apprends à t’taire » à la fois très incisif et très drôle vis à vis des rappeurs et des chanteuses R’nB de pacotille, entre autres. D’habitude on te demande de donner les noms de ceux que tu fustiges là-dedans, pourtant j’ai l’impression qu’on sait bien de qui tu parles et que finalement ce n’est pas ça qui importe…
On m’a posé la question, mais c’est bizarre… En l’occurrence dans ce morceau, il n’y avait pas de noms à citer. C’était plus des archétypes, des attitudes d’arrogance et de bêtise que j’ai croquées. Ce n’était pas vraiment « à l’adresse de… » Ce serait beaucoup plus réducteur.
Les attitudes d’arrogance, de condescendance et de bêtise, je peux te jurer que ça c’est à loisir, tu les vois un peu partout que ce soit dans le cadre de la musique ou ailleurs. Ce n’était pas utile de citer.
Maintenant, les gens sont très habitués à ça et c’est vrai que ça existe dans le rap. C’est ce qu’on appellename-dropping, dire des noms, ce côté clash… Et surtout ces dernière les années, les gens sont très habitués à ce genre de truc… Mais le rap, ce n’est pas que ça. On peut encore faire un texte en croquant des archétypes sans avoir une arrière pensée de qui que ce soit derrière. Même si c’est vrai que ça n’existe plus tellement. Les gens sont en attente de noms, d’embrouilles, de clash, que sais-je…
Dans le morceau, je parle de Michel Drucker(rires)… Mais vraiment, ce n’est pas le plus important. L’homme meurt mais la bêtise survit à l’être humain !
Alors plutôt que de te demander les noms de ceux que tu fustiges, j’ai plutôt envie de connaître ceux que tu pourrais conseiller à un gamin qui t’aurait découverte et appréciée à Quartiers d’été et qui ne connaîtrait que le « rap fm » pour faire court.
Je ne sais pas trop, j’ai vraiment du mal avec ça. Ce qui fait une personnalité, c’est justement un tout, ce que tu peux écouter comme merdes, comment tu peux te corriger plus tard. Ça se prend partout. J’aurais du mal à dire « écoute ci » ou « écoute ça« …
Après oui, de s’intéresser, de se faire sa propre culture, d’accord. Mais en tout cas, moi, je n’ai pas vraiment de conseils à donner. Entre un gamin et moi, il y a un fossé. Ce qu’il peut apprécier, ce n’est pas nécessairement ce que moi j’apprécie et vice-versa.
Mais chacun se fait sa propre écoute, sa propre culture, vraiment… Être curieux et avoir un esprit critique, en général si tu as ça, après tu te démerdes…
Je pensais davantage : un artiste que tu apprécies, le fait qu’il parle de tel ou tel autre artiste, ça va te donner la curiosité d’écouter. C’est un peu comme si c’était un passeur…
Dans mon cas, il y avait Al qui était avec moi sur scène qui a sorti un album qui s’intitule « Hightech & Primitif » qui est un album mortel. Et puis après, dans le rap américain il y a plein de choses, ce serait trop long à citer.
Maintenant les jeunes ont internet, ils ont de quoi se renseigner, ils peuvent tomber au hasard sur des milliers de clips, de concerts, des lives et se faire une idée.
Ça ne s’explique pas la musique, ce qu’ untel va ressentir, la façon dont ça va lui dresser les poils, ça s’est inexplicable. On n’est pas touché spécialement par les mêmes choses d’un individu à l’autre. Être vraiment curieux et savoir qu’il existe un monde en dehors de la radio et de ce qui est présenté à la télé, ça, c’est un monde de recherche, de curiosité, d’intérêt.
Pour finir, plusieurs dates de concert sont prévues encore cet été et en automne… A part cela, tu as d’autres projets en vue ?
Oui, on va terminer les concerts à l’automne prochain et puis avec B-James, on est sur un projet qui s’appelle Zone Libre. C’est du rock, pas du rockabilly… Du rock qui grince, de la planche pourrie ! Ça grince, ça termite dans tous les sens… (rires)
On bosse dessus bientôt… Et si les astres sont avec nous, on fera des concerts avec un album qui sortira début 2011.
Et puis aussi, dans mon groupe Anfalsh, B-James et Prodige vont sortir leur disque, début 2011 eux aussi.
Merci, Casey !
Merci à toi.
Interview et retranscription : Caro & Isa
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Myspace de Casey : http://www.myspace.com/caseyofficiel