Le festival les Embellies offrait à Laetitia Shériff, une double carte blanche mercredi 26 et jeudi 27 mars au Jardin Moderne. Résultat de cette résidence aux multiples facettes, deux soirées généreuses et foisonnantes ayant eu pour point d’orgue la présentation en primeur du formidable nouveau set de l’artiste.
Depuis notre découverte de l’épatante programmation des deux dates concoctées avec une renversante générosité par Laetitia Shériff, nous nous étions promis de ne pas en louper une note. Nous débarquons donc rue du Manoir de Servigné avec une marge conséquente qui nous laisse le temps d’admirer le très impressionnant triptyque réalisé à partir des trois déclinaisons du titre du futur album de Laetitia : Pandemonium, Solace and Stars. la triple œuvre est affichée en arrière scène de celle du bar culturel. Tonio Marinescu et les détenues du centre pénitentiaire des femmes de Rennes nous offrent une céleste envolée. Eric Mahé et les élèves du lycée Victor et Hélène Basch ont conçu un méticuleux et saisissant jeu d’ombres et de lumières. Quant à Yoann Buffeteau et les élèves de CM1 et CM2 du quartier Maurepas, ils nous entraînent avec une effrayante acuité dans un infernal plongeon. L’exposition est également complétée par de nombreux autres travaux des artistes qui collent parfaitement à l’ambiance riche et effervescente de cette carte blanche.
Ce vernissage de l’exposition permettait aussi d’assister sans frais au premier concert de la soirée, celui de Monstromery. Une chouette initiative du festival des Embellies, proposant un concert gratuit sur la scène du café culturel lors des deux soirées de cette Carte Blanche. Nous avions eu l’occasion de découvrir le tout nouveau projet de Benjamin Ledauphin, Monstromery, lors de la soirée inaugurale des Embellies au 6par4. Il nous expliquait en interview que ce projet était « une continuité de Montgomery », mais « quelque chose de plus radical et instinctif ». Un projet solo, certes, mais beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît : les compositions de Benjamin peuvent en effet être jouées live sous des formes différentes. Enrichi de la présence de Yoann Buffeteau (batterie) à Laval, Monstromery est devenu trio au Jardin Moderne, avec Thomas Poli (guitare). On a retrouvé avec une certaine jubilation les mélodies découvertes quelques jours plus tôt. Benjamin boucle sa voix et ses riffs mais avec beaucoup de parcimonie, juste ce qu’il faut pour donner notamment un relief aux intros qui vont crescendo. Mais on a surtout découvert ces compos sous un autre jour : le set a pris une sérieuse coloration noisy sous les coups de boutoirs écorchés de la six cordes de Thomas. La prédominance vocale de la version duo fait place aux guitares en trio, tout en conservant cette approche de la voix comme un instrument. Un timbre de voix aérien qui contraste avec les riffs de guitare écorchés, et qui semble planer au-dessus des déflagrations sonores. La rythmique est riche et variée, avec des ruptures de rythmes comme on les aime. A l’exception de deux titres plus calmes joués en duo, le trio d’un soir livre un set tendu, sur le fil, à la limite de l’explosion sonore. Une fin de concert sous forme de clin d’œil à Montgomery lorsque Mathieu Languille prend place derrière la batterie pour accompagner Thomas et Benjamin sur Le Ciel. Ou comment Monstromery redevient Montgomery le temps d’une chanson. En tout cas, on a déjà hâte de retrouver la bête fin mai au 1988 live club (en compagnie de The Enchanted Wood) pour voir quelle forme elle prendra ce soir là.
Nous filons ensuite illico dans la salle de concert pour ne pas manquer le début du set de Furie. On a eu à plusieurs reprises l’occasion d’apprécier le grain de voix d’Astrid Radigue, avec Mermonte bien sûr, mais aussi au sein du quatuor Soulful Singers ou plus récemment avec Lady Jane. C’est donc avec une certaine impatience qu’on attendait de découvrir son projet lors de ce tout premier concert avec Furie. Enfin pas véritablement une première puisqu’on avait pu la découvrir lors du Premier Dimanche aux Champs Libres consacré au Jardin Moderne. Lorsqu’elle arrive sur scène pour s’installer derrière ses claviers, on sent une bonne dose de tension au moment de présenter ses compositions devant un public conséquent. Elle débute sur un titre très court, d’une voix douce, s’accompagnant de quelques notes au clavier. Ses deux comparses du groupe rajoutent quelques éléments de batterie (Jérôme Bessout) et une légère saturation de guitare (Florian Jamelot) pour une parfaite introduction de ce set. Un set beaucoup plus enlevé par la suite, et qui tranche avec le duo présent aux Champs Libres, dans lequel la guitare de Florian répondait au piano-voix d’Astrid. Le trio a bossé ensemble depuis plus de deux mois et on sent ce que chaque musicien a pu apporter aux compositions : leurs univers sont certes différents, et on n’imaginait pas forcément les compositions pop d’Astrid jouées par la moitié de Fago Sepia. Mais c’est pourtant une jolie alchimie qui se présente sur scène : jeu subtil et varié de Jérome à la batterie, riffs aériens de Florian à la guitare, qui accompagnent avec beaucoup de justesse la voix et les notes de claviers d’Astrid. Une voix altière, parfois plus grave, qui se marie à merveille avec les sonorités pop qui fonctionnent immédiatement. Une pop ensoleillée mais pas seulement : on sent que Jérôme et Florian ont permis à Astrid d’embarquer ses titres dans de légers détours, pas forcément math, mais un peu plus alambiqués. Et l’ensemble, non seulement fonctionne déjà très bien pour une si jeune formation, mais a en plus le mérite de « sonner » de manière originale et singulière. Avec en bonus la présence de Pierre Marolleau à la batterie pour une reprise d’un titre de Laetitia Shériff. Lorsque le set, malheureusement trop court, se termine sur I Was Once et sa mélodie délicieusement entêtante, on a le sentiment d’avoir assisté à l’éclosion d’un groupe qu’on devrait revoir très rapidement.
La fin de soirée fut tout simplement magique. Juste histoire de prolonger encore un peu le plaisir de l’attente, nous allons d’abord revenir sur les deux premiers concerts de la soirée du jeudi, avant de conclure par les deux concerts de Laetitia Shériff en formule trio.
Nous sommes donc de retour le jeudi avec encore des étoiles dans la tête de cette première salve. Elles vont hélas vite se dissiper face à l’homérique bordel autoroutier provoqué par un impudent match de coupe de France ayant l’affront de se dérouler le même soir que cette magnifique soirée de concerts. Heureusement pour nous, nous avions pris un peu de marge et nous ne manquons pas le début du concert de 1primate. Cet étonnant projet solo de Romain Baudouin nous intriguait au plus haut point. Nous étions follement impatients de découvrir ce qu’il pouvait faire sortir en live de son « Torrom Borrom », spectaculaire hybride entre une vielle à roue et un manche de guitare électrique. Nous ne serons pas déçus du voyage. L’étrange instrument fascine d’emblée par sa complexité et son impressionnante allure de monstre mécanique ; une bête à l’allure délicieusement dangereuse, semblant prête à rugir d’un terrifiant larsen à chaque instant. Baudouin la dompte pourtant avec une imposante maestria jouant avec délice du duel ou du duo des deux instruments. L’ampleur des paysages musicaux explorés est tout aussi spectaculaire. Du bourdon lancinant explosant en larsens orageux, au swamp blues rocailleux et métallique en passant par des voluptueuses sonorités orientales, le monsieur nous emmène loin, très loin. A la manière d’un Colin Stetson explorant avec fièvre toutes les possibilités de son saxophone, Baudouin pousse sa musique dans ses retranchements. Il nous confiera même que ce soir-là il utilisait un nouveau prototype disposant d’une roue amovible pour plus de nuances. Quand le monsieur nous assène le fantomatique vibrato de son chant capté bouche collée sur le manche de sa guitare, le silence ébahi qui suit la fin du morceau vaut tous les discours du monde.
Nous comprenons largement et partageons désormais le coup de cœur qu’a eu Laetitia Shériff pour le monsieur et nous la remercions mille fois de nous avoir permis de vivre cette belle expérience.
Pas facile de passer derrière ça. Heureusement, c’est Olivier Mellano qui monte sur la scène de la salle de concert et le monsieur a de la réserve dans les doigts. Il vient présenter son nouveau projet Mellanoisescape dont le disque est tout juste disponible. L’idée principale du projet est de faire simple. Il joue donc tout seul avec sa guitare, une boîte à rythmes et des pédales d’effets. Sauf qu’Olivier Mellano est un musicien avec une telle palette, que même quand il tente l’épure, sa musique garde une subtilité et une richesse remarquable. Ajoutez à ça l’énergie de compos incisives et vous avez forcément un très très bon moment. Il ouvre le set sur le langoureux The Best Death et enchaîne la suite du disque presque dans l’ordre. Après une intro scandée d’une voix d’outre-tombe, on se prend avec délice en pleine poire la fureur électrique de We are the fuse. Tout en conservant une délicieuse sauvagerie, la suite du concert s’avère très variée. Mellano se lâche sur son chant et métamorphose avec jubilation sa voix à grand coup d’effets au fil des morceaux. L’instant de grâce viendra avec la venue sur scène de Laetitia Shériff pour l’avant dernière chanson. L’alliance de sa voix profonde et du fascinant jeu de guitare du monsieur file des frissons à une salle conquise par tant de classe. On se doute que le duo ne s’en tiendra pas là pour la soirée et on s’en réjouit follement d’avance.
Le trio Laetitia Shériff, Thomas Poli et Nicolas Courret conclut donc les deux soirées de façon magnifique. Les trois musiciens firent chaque soir preuve d’une générosité sans bornes, donnant chacun sans compter, à l’unisson. Le jeu de guitare de Poli n’en finit pas de nous captiver de finesse et de puissance. Les rythmiques diaboliques de Courret charpentent l’ensemble tout en sachant s’envoler avec subtilité. Quand au chant de Laetitia, il continue de nous cueillir en plein cœur comme au premier jour. La dame rayonne sur scène, visiblement ravie de partager ces moments avec ses complices, ses invités et le public. Le set d’une douzaine de morceaux fait la part belle au futur troisième album avec une bonne moitié de nouveaux titres tous aussi accrocheurs les uns que les autres. Le concert s’ouvre sur une version bien saignante de Where’s my I.D ? et l’ambiance globale est plutôt à la fureur même si bien sûr, la setlist n’oublie pas de nous mettre le cœur à nu régulièrement. L’attente du prochain album en ressort hautement grandie tant les concerts furent homogènes en puissance, ne laissant aucun répit à un public sous le charme. Autant dire que nous nous ruerons littéralement sur la galette le moment venu.
Nous n’avons strictement aucune envie de départager les deux concerts. Les deux prestations furent certes assez différentes mais toutes deux intenses et chaleureuses. La tension du premier soir, mêlée à la ferveur d’un public un peu plus clairsemé mais intensément empathique, donnèrent une saveur très émouvante à ce mercredi. Un sentiment encore accentué par les deux bouleversants rappels interprétés seuls par Laetitia (dont un sublime Black Dog).
Le jeudi fut plus furieux avec une salle bondée et un public déchaîné, mais l’émotion fut aussi au rendez-vous avec la présence sur scène de nombreux guests de qualité. La violoniste Carla Palonne (de Mansfield Tya) apporta une touche aérienne le temps de deux morceaux. Romain Baudouin ajouta une touche de chaos sur Urbanism. Mais c’est surtout Olivier Mellano qui vint pas moins de quatre morceaux entremêler pour notre plus grand bonheur son jeu de guitare à celui de Thomas Poli.
Ce que nous retenons surtout de ces deux soirs, c’est que la présence scénique incandescente de Lady Shériff fut surtout magnifiée les deux soirs par une ambiance de complicité et d’amitié palpable transmise aussi bien par les artistes que par la remarquable équipe technique. Ce n’est pas la première fois que nous retrouvons cette formidable atmosphère au Jardin Moderne, nous sommes à peu près certains que ce ne sera sans doute pas la dernière.
Un grand merci pour ces superbes concerts aux Embellies, au Jardin Moderne et à Laetitia Shériff autant pour son art que pour ses amitiés. Nous saluons également Mistress Bomb H et Lester Brome, pour avoir savamment ambiancé les entre concerts à base de sélections purement délectables et bien noisy mais pas que (Ha, ce petit ESG de derrière les fagots !).
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Retrouvez l’intégralité de nos articles sur les Embellies 2014 dans notre dossier.
Report à nouveau réalisé avec l’aide précieuse de Yann. Merci encore à lui.
Arffff, ça avait l’air sacrément bien, ce qui, à vrai dire, ne m’étonne pas du tout. J’avais aussi prévu d’assister à ces deux soirées mais l’arrivée du « printemps » m’a été fatale… Une méchante crève toute la semaine… La loose.
Merci pour ce report, même s’il me fait encore plus regretter de n’avoir pu y aller…