Cette deuxième soirée du festival des Embellies à l’Antipode s’annoncait aussi excitante que la veille, et les quatre groupes présents ont largement répondu à nos attentes. Une programmation définitivement somptueuse.
Boy & The Echo Choir entre sur scène devant un public clairsemé, certes, mais particulièrement attentif. Et c’est plutôt réjouissant si l’on veut pleinement apprécier l’atmosphère mélancolique de ce groupe hors-norme. Ce projet, créé en 2004 par Caroline Gabard, vient nous présenter son 4 ème album, It All Shines, auquel participent My Name is Nobody, The Missing Season ou encore Angil & The Hiddentracks. Sur scène, Boy & The Echo Choir se présente sous la forme d’un duo, Caroline étant accompagnée de Rachel Langlais : Caroline s’installe derrière un piano et Rachel derrière trois claviers. Elles se font face et imposent naturellement le silence dès les premiers instants. Quelques notes de claviers, un beat synthétique discret, mais avant tout un merveilleux duo de voix aériennes.
L’intensité ne baisse nullement lorsque Caroline s’empare d’une guitare électrique quelques instants plus tard : des sonorités noisy, des accords pincés, le tout est très minimaliste et permet de mettre une fois de plus l’accent sur la beauté vocale du duo. Leur pop est sombre et lente comme sur le magnifique Impossible Heart joué face à face au piano. L’intensité émotionnelle atteint des sommets lorsque Caroline pose sur ses genoux un mini piano, avec lequel elle joue quelques notes seulement : l’occasion d’apprécier une nouvelle fois son timbre de voix et le contrepoint altier de Rachel. C’est d’ailleurs lorsque la musique est plus épurée qu’on apprécie pleinement le duo (les petites rythmiques synthétiques paraissent parfois un peu superflues). Un très joli set, parfait pour ouvrir cette soirée riche de promesses musicales.
On attendait avec curiosité de revoir les Bumpkin Island. Pourquoi ? Parce qu’on les avait découvert à leurs débuts lors du Tremplin des Jeunes Charrues, et qu’ils nous avaient déjà fait forte impression. Et ce malgré les naturelles imperfections d’un groupe né quelques mois seulement auparavant : en effet les 9 musiciens s’étaient retrouvés dans le grenier aménagé en studio de Glenn Besnard, donnant naissance à ce collectif particulier. Curieux aussi de découvrir le nouveau line-up resserré (ils ne sont plus que 6) qui défend pour la première fois son tout nouvel album, Ten Thousand Nights. On s’attendait à une évolution de leur musique, mais pas à un tel chamboulement ! Leur pop orchestrale et solaire s’est considérablement assombrie, et lorgne beaucoup plus nettement du côté post-rock, avec des montées sonores savamment élaborées. Si les accents folk sont toujours présents, ils ont pris une sérieuse coloration noisy.
Mais c’est au niveau vocal que le changement est le plus surprenant : on avait laissé le groupe avec deux chanteuses, un chanteur et de nombreux choeurs, et on retrouve Eleonore James, seule, qui assume pleinement le chant lead derrière ses claviers. Et avec une aisance qu’on ne lui connaissait pas ! Les choeurs sont toujours présents, puissants et rageurs à la fin des titres, à l’image de la musique, beaucoup plus frontale et torturée. Lorsque un archet frotte énergiquement les cordes de la guitare, on pense bien sûr à Sigur Ros : les nouvelles mélodies les rapprochent d’ailleurs beaucoup plus nettement de la scène scandinave et nordique. Avec une mention spéciale pour le jeu tout en subtilité de Clément Lemennicier à la trompette, véritable enchantement qui ajoute un supplément d’âme à ces toutes nouvelles compositions. Un set surprenant, très réussi, et qui nous a complètement fait oublier qu’il s’agissait de leur premier concert avec ce tout nouvel album. A suivre de très près.
On attendait avec impatience de revoir l’inclassable trio La Terre Tremble !!! Difficile en effet de classer ce groupe formé en 2005 : composé de deux guitaristes (Julien Chevalier et Benoît Lauby) et d’un batteur/chanteur à la batterie peu académique (Paul Loiseau), le groupe nous propose un dérèglement sonore en règle, quelque part entre blues crasseux et math-rock, avec une tendance à sortir des sentiers battus grâce à quelques touches de musique expérimentale. C’est parce qu’on adore la musique aussi évidente qu’accidentée de La Terre Tremble !!! (notamment sur Travail -2009, Collectif Effervescence-, leur précédent opus, vite devenu indispensable) que l’on s’est précipité en septembre dernier à leur concert au Jardin Moderne, pour fêter leur nouvel album Salvage Blues. Un excellent opus qui joue à la fois sur la répétition hypnotisante mais aussi sur des virages inattendus qui sans prévenir, catapultent leurs morceaux dans des directions latéralement différentes. Mais si on aime La Terre Tremble !!! sur disque, c’est toujours en live qu’on préfère le trio, tant l’énergie qu’il déploie sur scène est dévastatrice.
Et le trio ne nous a pas déçu, bien au contraire. On a depuis quelques mois eu le temps de se familiariser avec les nouvelles compositions extraites de Salvage Blues et la redécouverte de ces titres prend une toute autre ampleur (l’interview de Paul Loiseau évoquant la création de cet album est à lire ici). Les trois musiciens s’installent sur une même ligne, Julien Chevalier à la gauche de la scène avec sa Gibson rouge et Benoît Lauby sur notre droite avec sa Gibson-bois. Au centre, Paul Loiseau, batteur époustouflant tout droit sorti d’un cartoon qui assure en même temps la voix principale. Sa batterie est minimaliste (quelques toms, un pad électronique, et une cymbale posée sur un tabouret à sa gauche). Mais il compense l’économie de moyens par une redoutable énergie, qu’il soit assis, à terre ou à genoux.
Côté set, les titres sont largement puisés dans le dernier opus : ça débute par Elements aux accents bluesy, mais un blues déstructuré à souhait qui tabasse sévère. Le public se rapproche tout naturellement pour apprécier l’énergie scénique du trio. European Germs, son intro inquiétante et son petit riff rock, Hang On Son Salvage Is Coming, son chant rageur et ce sens inné de la rupture, toute la palette de couleurs de l’album prend sens sur scène.
La coloration blues n’est pas uniquement dans le titre : La Terre Tremble !!! nous propose de véritables riffs de blues, mais un blues progressivement déstructuré voire dissonant, avec cette capacité à retomber sur ses pieds après être partis dans toutes les directions. D’autres titres accélèrent crescendo, pour finir en déflagrations sonores hallucinantes (Your Joy Knows My Mind, mais aussi Puy de Dôme tiré de l’album Travail). Mais la débauche d’énergie ne doit pas faire oublier l’énorme boulot de composition qu’il y a en amont, avec ce redoutable sens de la mélodie qui vous embarque en quelques savoureuses répétitions. Une fois de plus, La Terre Tremble !!! nous aura scotchés de la première à la dernière note d’un set parfait de bout en bout, alternant puissance sonore et accalmies maitrisées. Encore !!!
Une soirée qui s’achève avec Arch Woodmann ne pouvait que nous réjouir : nous avons découvert ce groupe à l’occasion de la tournée pour la sortie de l’EP Life Forms Found on a Life Boat. Cet EP est une petite merveille : naviguant entre pop et folk, le tout mâtiné d’envolées post-rock classieuses, c’est un véritable concentré de mélodies accrocheuses. Vous y ajoutez des voix somptueuses, et vous avez entre les oreilles un petit bijou musical. Nous avons revu le quintet devenu quatuor à l’occasion de la dernière édition des Bars en Trans : le line-up d’Arch Woodmann s’est en effet stabilisé sous forme d’un quatuor composé d’Antoine Pasqualini (batterie, guitare), Lucie Marsaud (clavier, guitare), Thomas Rozec (basse), et Benoît Guivarch (guitare). Ce tout nouveau set était ponctué de titres du tout nouvel album paru le mois dernier, et on avait été surpris de découvrir des morceaux beaucoup plus pop-rock. L’écoute de ce troisième album éponyme avait confirmé cette impression : des titres qui sonnent clairement pop, mâtinés d’électro et de rock. Un virage musical qui fonctionne à merveille sur cet opus délicieusement marqué de l’empreinte DIY.
Et sur scène ? C’est encore plus redoutable ! Le groupe se présente sur la grande scène de l’Antipode de manière resserrée : Lucie (claviers, guitare, chant) et Benoît (guitare, chant) entourent Antoine, positionné au centre de la scène, debout face à sa batterie. Thomas à la basse est situé tout juste derrière. Ca débute par Coupe Gorge (qui clôt l’album) et le ton est immédiatement donné : le set est beaucoup plus rentre dedans qu’à l’accoutumé. Pas de petit intermède folk solo d’Antoine à la guitare, un concert plus pop-rock que folk mais qui ne laisse pas non plus de côté ce qui fait le charme du groupe. On passe d’une petite ritournelle pop entrainante à la profondeur d’un morceau post-rock puissant avec une remarquable fluidité. Il y a toujours ce magnifique duo de voix formé par Antoine Pasqualini (batterie, guitare) et Lucie Marsaud (clavier, guitare), avec, petite nouveauté, le chant lead de Lucie sur un titre (I Should Be Fine). Benoît est aussi plus présent au chant, tant dans les cheurs qu’en solo (Stupid O’clock). Et ses petits riffs de guitare donnent un visage encore plus dansant à ce nouveau set. Et Thomas n’est pas en reste, avec une ligne de basse très présente et participant lui aussi aux choeurs.
Ce set nous confirme d’ailleurs ce que Benoît et Antoine nous confiaient un peu plus tôt (interview à lire bientôt sur notre site) : le projet d’Antoine est devenu une véritable aventure commune à laquelle chacun apporte une plus-value. Pendant tout le concert, le groupe navigue parmi les genres musicaux avec une aisance jouissive, et le formidable morceau post-rock Speed & Metal (présent sur l’EP) succède au planant Turn Twenty Again. L’électro-noisy Fangs côtoie le funky Stupid O’clock avec une étonnante cohérence d’ensemble. Sans oublier les touches d’humour, entre chorégraphies décalées et digressions lors des petits soucis techniques. Arch Woodmann est définitivement l’un des groupes les plus excitants de la scène pop-rock.
Photos : Solène