On n’est même pas arrivé à l’Antipode MJC qu’on voit un bus, plein comme un oeuf, roulant en direction de la salle qui accueille la Nuit Electronique 2 de Cultures Electroni[k]. A proximité de l’Antipode, même s’il est encore tôt, ça se confirme, il va y avoir beaucoup, beaucoup de monde. La soirée affiche complet depuis la veille, au grand désespoir d’une partie des clubbers rennais. La vendredi, c’était déjà la même chose pour la Nuit Electronique 1, elle aussi organisée par Cultures Electroni[k]. Durant ces deux nuits à suivre, Electroni[k] est ainsi allé à la rencontre de nouveaux talents « qui façonnent l’avenir de la musique électronique (…) et interrogent le futur de la techno » . Après cette première soirée à l’Ubu, c’est à l’Antipode ce samedi que nous retrouvons quatre artistes emblématiques d’une recherche actuelle, qui parle tout autant à la tête qu’aux jambes, histoire de danser toute la nuit sur un futur en train de s’écrire…
Les abords de la salle de Cleunay sont peuplés par une foule de clubbers bigarrés et on n’est pas surpris de voir que malgré l’ouverture récente des portes, un bon paquet de danseurs se masse déjà devant la scène quand on arrive. Certes, la salle n’est pas encore pleine, mais l’affluence est bien plus que raisonnable à cette heure. Sur scène, ce sont les deux New-Yorkais de Teengirl Fantasy qui s’affairent derrière leurs machines.
On a dit qu’on n’ était pas vraiment fans de leurs développements électroniques sur disque. Pourtant leur premier album 7am leur a permis de tourner en première partie de Crystal Castles. Et surtout de se faire repérer par le label R&S (James Blake, Lone…) qui a décidé de sortir leur second grand format. Sur leur second Lp, Tracer (2012), on retrouvait donc Panda Bear, Romanthony ou Laurel Halo aux vocaux sur certains titres, ainsi que, toujours, cette envie de la part des deux New Yorkais de triturer le vieux pour tenter d’en faire une house novatrice. Pour notre part, l’essai ne nous avait pas convaincu, notamment à cause de cette manie d’abuser de flûte de pan synthétique.
Autant dire qu’on n’attendait pas grand chose du duo. Et bien, en live, c’est un peu mieux. Le duo délaisse les rivages d’une house sirupeuse irritante pour se concentrer sur davantage d’efficacité. Et ça paie. Toujours pas notre came, mais ça a l’avantage de faire le boulot et de lancer la soirée sur les rails, comme le prouvent les danseurs qui se mettent progressivement dans l’ambiance. En conclusion, c’est curieusement pas indigeste et tout à fait honnête.
On attend pour notre part davantage du rennais d’adoption Subarys. Le jeune homme s’installe derrière son laptop et sa table de mixage et lance un premier titre. Auteur d’un premier ep, Harpies, sur le label Inlab Recordings, basé à Aix-en-Provence, Subarys navigue sur une electronica soyeuse, assez proche d’une certaine house progressive à la Border Community, via Nathan Fake ou James Holden, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Le jeune producteur privilégie l’efficacité en dj set, noyant peut-être un peu les subtilités qu’on avait repérées dans ses compositions dans la masse, avec des effets de manche (entendez de potards) un peu trop attendus, mais ça fonctionne. D’autant que la sélection du jeune homme aligne parfois des titres impeccables (le Sharpen de Mattheis ou le Beluga de Ryan Davis, deep house trancey à souhait, pour ce qu’on a pu en reconnaître).
Le dancefloor de l’Antipode MJC ne désemplit pas et la foule qui danse sur la house progressive du jeune dj augmente même rapidement, ponctuant chaque break de levées de doigts au-dessus des têtes. Ca s’agite, ça danse, et ça se révèle surtout conquis. Aussi lorsque Subarys tente crânement des ralentissements de rythme pour permettre à des ambiances plus calmes de se développer, la foule suit. Notamment sur le dernier titre, l’excellent Heal, qui a servi de bande son au teaser d’Electroni[k] réalisé par Vincent Broquaire. Après une lente montée, qui hypnotise les clubbers, la foule se met à bondir à l’arrivée des basses. Aussi, comme tout le monde, malgré un set qui souffre un peu de quelques défauts de jeunesse, on ne boude pas notre plaisir. On promet un bel avenir au jeune homme, tant les cartes qu’il a en main semblent gagnantes : de vrais bons morceaux, un style plutôt personnel et un réel souci d’efficacité en dj set. Subarys fait sûrement partie du futur.
Le futur, tout le monde s’accorde à le dire, passe également par Rone qui enchaîne justement derrière. Le producteur autrefois mis en avant par Agoria sur la compilation At the Controls (2007) a logiquement signé sur Infiné pour un premier maxi, Bora (2008), mélange de techno minimale et d’electronica soyeuse (un peu de Border Community, un peu de Dial… et surtout beaucoup de Rone). Ce premier essai réussi avait débouché sur la sortie d’un premier album, Spanish Breakfast (avril 2009) résolumment contrasté, tour à tour lunaire, jovial, mélancolique, calme ou dancefloor (« A l’image de la vie » , selon son auteur) qui a rencontré un vrai succès critique et public. Un maxi plus tard, So So So, belle tuerie dancefloor, le prochain Lp de Rone est plus qu’attendu. Et ça tombe bien puisqu’il sort dans deux jours (le 15 octobre). Les clubbers rennais attendent donc du producteur un avant-goût en avant première de ce nouvel album, mais également un set qui les envoie très très haut tant l’homme est connu pour ses splendides prestations live.
T-shirt à grosses rayures bleues et blanches, petites lunettes sur les yeux, Rone s’installe derrière laptop et machines devant le visuel créé par Studio Fünf d’une gare (?) futuriste qui captive aussitôt tous les regards d’un dancefloor soudain bondé. Mais voilà, c’est surtout nos oreilles qui vont être propulsées dans le train en marche, conduit par Erwan Castex, avec une fluidité sans pareil. On est d’abord épaté par la clarté du son du bonhomme. Le contraste avec les deux sets précédents est tout bonnement saisissant : le son est ciselé, précis et ne bave pas. Ensuite, c’est la technique du gars en live qui nous impressionne : des montées sans déballer l’artillerie lourde, des vrais basses techno qui tabassent alliées à une electronica soyeuse en arrière plan, légère et aérienne. C’est aussi efficace que subtil. Et c’est assez peu fréquent pour qu’on le souligne.
On apprécie également l’art des nuances du producteur qui sait hypnotiser la foule tout autant que la reprendre, d’un tour de potard, pour la propulser vers les hauteurs le doigt en l’air. Là encore, on applaudit des deux mains la fluidité de Rone dans les enchaînements, sa faculté à toujours jouer sur les reliefs avec nuances. Le producteur ne perd jamais son dancefloor. Il le conduit de main de maître avec des gants de velours. On se laisse ainsi rapidement gagner par les ambiances aussi cotonneuses qu’énergiques de La grande ourse (extrait du nouvel album Tohu Bohu) et on apprécie le voyage entre les anciens et nouveaux titres du producteur. Bien sûr, sur So so so, le dancefloor exulte. Et l’arrivée de Bora est elle aussi accueillie dans les cris, la voix d’Alain Damasio (écrivain de La Horde du contrevent) emplissant l’Antipode sur une electronica satinée, qui file des frissons. Au final, Rone aura livré un gros live face à un public survolté. Acclamé à grands cris par un dancefloor comblé, le musicien quitte la scène avec un chapeau de papier plié offert par un fan, joli clin d’oeil au visuel photographié par Timothy Saccenti.
On attend pour notre part également beaucoup de l’improbable trio berlinois Brandt Brauer Frick (deux aux machines, un aux baguettes) qui mêle samples acoustiques dans une jazzistique marmite electro-house tout aussi ambitieuse que dansante. Fusion de musique classique contemporaine, de techno minimaliste et de structures jazz, les compositions du trio berlinois formé en 2008 trouvent aussi bien leur place au Berghain qu’à Coachella ou au Centre Pompidou.
Daniel Brandt et Jan Brauer, venus de Wiesbaden, composaient des tracks d’électro jazz (sous le nom de Scott), lorsque Paul Frick, étudiant en musique moderne et classique à la Universität der Künste berlinoise (ce dernier expliquait d’ailleurs au Tagesspiegel qu’il avait dû étudier la composition classique pendant huit ans avant d’apprécier la techno) les a rejoints. On est en 2008 et l’alchimie est déjà là. Repéré par le label !K7 en 2009, le trio sort assez rapidement un premier album You Make Me Real reposant sur la question très simple : que se passe-t-il lorsqu’on mélange de la techno, de la musique classique contemporaine et du jazz ?
Ils y ont également produit tous les sons à l’aide d’instruments analogiques. Les lignes de basse, par exemple, ne viennent pas d’un Roland-303 comme souvent dans l’électro, mais d’un tuba. Ils poursuivent cette direction avec la sortie d’un second Lp, Mr Machine en 2011, cette fois-ci réalisé par dix musiciens « classiques » , sous le nom de The Brandt Brauer Frick Ensemble avec du violon, de la harpe, du violoncelle, du tuba, du trombone… et on en passe. Le résultat est épatant, d’autant qu’ils ajoutent des voix sur certains titres (Pretend, addictif en diable !) et que leur art des montées est toujours aussi maîtrisé. C’est néanmoins sous la version trio que nous les retrouvons à l’Antipode cette nuit (on est presque déjà le matin!)
Cravates fines, chemises ajustées, Daniel Brandt, Jan Brauer et Paul Frick s’installent derrière leurs machines et batterie respectives et lancent leur premier morceau devant un dancefloor plus clairsemé (pour le moment !). Pourtant, on a la délicieuse impression de ne plus avoir de contrôle sur nos pieds vingt secondes plus tard à peine. On se glisse rapidement parmi les danseurs tant la musique du trio berlinois est irrésistible pour nos jambes. Daniel Brandt, Jan Brauer et Paul Frick proposent un live à mi chemin entre sonorités analogiques et éléctroniques, réhaussé par une batterie jouée en direct sur scène. Mais surtout le trio ne sacrifie jamais l’efficacité de ses morceaux au profit d’un certain élitisme musical. C’est intelligent, racé et malin, oui. Mais c’est d’abord totalement jouissif pour les jambes.
On ne peut pas lutter. On doit pourtant rejoindre quelqu’un plus loin et s’arracher au dancefloor. Peine perdue, les syncopes rythmiques nous ramènent toujours, toujours on the floor, les bras en l’air, les yeux fermés. On a même l’impression après un break minimaliste de rentrer progressivement dans une rave tant le rythme reste soutenu. Des samples de piano qui donnent une teinte house, une rythmique électro à la charley, une basse techno plus loin, on est toujours là. L’énergie dégagée par le trio est assez impressionnante. La salle s’est d’ailleurs de nouveau bien remplie malgré l’heure tardive. On regrette néanmoins, tant on apprécie les nuances et l’intelligence de leurs albums, quelques imprécisions du trio et parfois la dissolution des subtilités de leurs compositions dans un grand raout d’énergie. Néanmoins, on peut le dire, le batteur est un monstre tant il garde une précision métronomique durant toute la performance sans faiblir ! Au final, peut-être pas le meilleur live du trio, mais vraiment un groupe qu’on continuera de suivre de très très près. On finit d’ailleurs la nuit comme une grande partie du public sur les dernières notes des Allemands les bras en l’air. Comme quoi, Cultures Electroni[k] l’aura prouvé durant cette Nuit Electronique 2, on peut allier talents en devenir, têtes chercheuses et efficacité sur le dancefloor. On reviendra.
Photos : Caro
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Cultures Electroni[k] a eu lieu du 8 au 14 octobre 2012 à Rennes. Plus d’infos sur le site de Cultures Electroni[k].