Cultures Electroni[k] nous proposait de réécrire les équations chimiques à grands coups de mélange d’arts et de sciences pour une Nuit Art et Sciences sur le Campus de Beaulieu ce jeudi 11 octobre. Et à voir le public rassemblé au Diapason, la chimie passionne les foules… A moins que ce ne soit l’astrophysique et les éclipses ? Explications.
L’an dernier, Cultures Electroni[k] avait proposé une première soirée, Alchimi[k], qui avait transformé la science en art (et vice-versa) sur le campus de Beaulieu avec un programme aussi époustouflant qu’exigeant [ici]. L’équipe a gardé le même concept pour une seconde Nuit Arts et Sciences ce jeudi 11 octobre, toujours sur le Campus de Beaulieu, pour une soirée gratuite.
Après avoir déambulé entre les stands tenus par les enseignants-chercheurs de Rennes 1, et avoir appris des choses insoupçonnées sur les algénates (si, si ! -sortes de gel qui permettent de capturer des saveurs ou de transporter des médicaments vers les cellules malades, enfin… Si on a tout compris !) ou sur d’autres expériences épatantes, on s’est longuement arrêté auprès des Noisy Jelly, pour tester (et comprendre) leurs gelées colorées qui font de la musique ! De la gélatine, des couleurs vives, des formes rigolotes et un talent désopilant pour fonctionner quand (et comme) elles en ont envie nous les ont tout de suite rendues très sympathiques. « Les bleues marchent mieux » nous soufflent Marianne Cauvard et Raphaël Pluvinage, les deux inventeurs de cette drôle de gelée qui fait des sons lorsqu’on la touche. Sous chaque « solide » de gelée colorée, un capteur qui relie la gelée à un logiciel. C’est très drôle, totalement ludique et débride immédiatement la créativité des spectateurs qui se succèdent en masse devant les petites formes colorées et leurs créateurs. Un détour sous les Muages (sortes de sources lumineuses interactives réalisées par Savannah Lemonnier) dans un petit salon plus calme plus tard, et nous voilà installés dans la salle du Diapason pour la première performance de ce soir.
Ce sont Ivan Murit et Justin Bihan qui montent sur la scène. Ils nous expliquent brièvement le principe de la performance qu’ils vont réaliser ce soir : à l’aide de Point Over, un programme informatique expérimental qu’ils ont créé, les deux étudiants de l’EESAB vont traduire visuellement le jeu du piano. Et cela dans un aller-retour total d’improvisation entre les deux performers, puisque l’un comme l’autre improviseront en fonction, qui des notes jouées, qui des visuels créés. Justin Bihan s’installe au piano tandis qu’Ivan Murit se glisse derrière son ordinateur. Derrière eux, un immense écran sur lequel vont être diffusés les visuels réalisés. Les premières notes sont ainsi accompagnées de disques lumineux qui apparaissent à chaque touche jouée. On s’est beaucoup trop servi de Bloom, l’application de Brian Eno et Peter Chilvers, pour être complètement emballé et ne pas y voir de la redite, néanmoins on salue le travail des étudiants. Les visuels évoluent ensuite vers des formes géométriques diverses : les cercles se parent d’un écho lumineux, des lignes traversent l’espace de l’écran, reliant des cercles, de jolis tétraèdres dansent à la faveur du jeu de Justin Bihan, les couleurs changent, et un réel effort est fait pour montrer des images variées et mouvantes. Si certains se laissent bercer par la performance des deux étudiants, on reste pour notre part un peu sur notre faim, tout en saluant, on le répète, le travail des deux jeunes gens.
C’est ensuite Akheron Fall réalisé par Roly Porter (musique) et MFO (Marcel Weber et Lucy Benson à la vidéo) qui nous est présenté sur la scène du Diapason. Roly Porter, autrefois davantage connu comme moitié de Vex’d (les amateurs de dubstep vous expliqueront), aujourd’hui tourné vers un doom drone industriel qui fleure bon l’Agent Orange au petit matin, s’installe sur la gauche de la scène derrière ses machines. C’est sur le grand écran à côté de lui que seront projetées les vidéos de MFO, filmées dans une nature sauvage à 1h de route de Berlin. Les premiers drones, encore légers et doux, emplissent progressivement la salle tandis que sur l’écran, des branches d’arbres reflétées sur l’eau s’agitent doucement. L’aube hivernale se lève dans la forêt et les troncs blancs des bouleaux se parent progressivement de couleurs douces. On est très vite totalement happé par la beauté des images du collectif berlinois. Une forêt, ses arbres, ses herbes qui bougent dans le vent, en hiver. Une nature sauvage qui ne sous semble, pour l’instant, porter aucune trace de présence humaine. Mais la façon de la filmer, aussi nette soit-elle, inclut des effets qui nous rappellent (d’abord inconsciemment) les films d’horreur : des images nettes et pourtant floues, des petits soubressauts quasi imperceptibles qui rendent la réalité moins lisse qu’il n’y paraît. Et puis, dans une flaque d’eau, dans la boue et les feuilles mortes, un cadre photo brisé. Plus tard également, on découvre qu’un fauteuil ou plus loin, une lampe, brisés gisent dans la forêt exfoliée.
En parallèle, la musique de Roly Porter s’épaissit : les sons deviennent de plus en plus massifs et les drones industriels s’alourdissent petit à petit. Le travail sur la texture sonore est impressionnant et bien plus subtil qu’il n’y paraît. D’aucuns trouvent progressivement la performance dérangeante. Mais si pour notre part, on déplore également que le son ait été trop fort à un moment, on adhère complètement à cet Akheron Fall, au contraire de nos voisins. D’abord parce que les vidéos sont réellement sublimes, et que la qualité des images nous en colle plein la vue. Ensuite parce qu’on est aussi fan des travaux d’Emptyset ou Tim Hecker et que les drones industriels de cette qualité nous en mettent plein les oreilles. Mais c’est surtout l’alliance des textures sonores du britannique avec les images réellement intenses du collectif berlinois qui nous fascine totalement. Une maison en bois cabossée apparaît progressivement dans la forêt. On comprend progressivement que le fauteuil, la lampe ou le cadre brisé appartiennent au passé de cette cabane abandonnée. La musique comme les images se font de plus en plus oppressantes. Jusqu’à cette demi seconde, terrible, ou un visage apparaît furtivement sur l’écran. Comme dans les meilleurs films d’horreur, rien n’est raconté, tout est suggéré. Et ça marche. Un frisson parcourt la salle au moment de cette apparition. Qui précède de quelques secondes la fin de la performance. Bigre, on en est tout retourné. Au final, sûrement la performance que la majorité des spectateurs aura le moins aimé, mais que nous aurons pour notre part, complètement appéciée.
Un immense rush de spectateurs remonte alors dans la salle du Diapason qui se remplit de nouveau à vive allure. La faute à la venue de Mondkopf, très attendu ce soir par le public venu nombreux. On se souvient de son travail avec Trafik, collectif expérimental lyonnais créé en 1997 par deux frères (un développeur et un graphiste travaillant très étroitement ensemble) pour la sortie de son album Rising Doom (2011) au son massif et aux beats assassins. Le producteur y frottait en live sa techno percutante et excitante aux ambiances graphiques lumineuses très contrastées du collectif. Et on doit le dire, les jeux de noir et blanc des vidéos étaient spectaculaires à souhait. Pour Cultures Electroni[k], Mondkopf et Trafik viennent avec un nouveau projet, Eclipse, totalement raccord avec l’affiche réalisée par Vincent Broquaire. Né d’une invitation du festival Days Off à la Cité de la Musique qui organisait une soirée autour de Brian Eno le 2 juillet dernier, Eclipse est une performance audio-visuelle, qui reprend certains des principes de composition du séminal musicien britannique à l’origine de l’ambient.
Quand il monte sur la scène, l’homme à la tête de lune (mondkopf auf deutsch) est fortement applaudi. On craint un peu que beaucoup soient venus pour entendre ses développements techno… Alors que ce soir, c’est plutôt sa face sombre et calme que le jeune producteur lunaire va nous dévoiler. Installé au centre de la scène derrière ses laptops, Mondkopf commence par envoyer de longues plages répétitives envoûtantes qui nous emmènent très vite plus haut que la stratosphère. On est dans l’espace, entouré des corps célestes des Trafik qui jouent de/avec la lumière comme personne. On a l’impression que des textures, des épaisseurs différentes s’entremêlent sur l’écran. Des points lumineux, d’abord qui crépitent sur toute la surface, puis se rassemblent tels des astéroïdes pour former une immense masse lumineuse. Et puis, il y a aussi ces lumières qui sont comme cachées par la matière. On comprend aisément l’influence de Soulage revendiquée par les deux Lyonnais pour le projet, tant la lumière, bien qu’obstruée et recouverte par la matière, semble vivante et présente.
L’écran est pourtant bel et bien plat et on a l’impression de plusieurs couches distinctes qui s’entremêlent. Tels ses petits triangles lumineux qui vont en sens contraire et semblent tourner autour d’orbites superposées. On en prend plein les rétines et on s’absorbe bouche bée et les yeux écarquillés dans ce ballet de corps célestes en noir et blanc. La musique de Monkopf joue elle aussi autour de la matière : les basses vrombissent parfois, les sons sont denses. Mondkopf y travaille la texture sonore. Pendant toute la durée de cette éclipse, on se laisse flotter dans cet espace entre ombre et lumière, totalement happé par la performance. Au final, on se prendra même à rêver d’une nouvelle diffusion d’Eclipse au planétarium, tant ce voyage contemplatif au milieu des étoiles nous aura donné envie d’y rester immergés.
Photos : Caro, Mr B. :
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Cultures Electroni[k] a lieu du 8 au 14 octobre 2012 à Rennes. Plus d’infos sur le site de Cultures Electroni[k].