Comment tu parles de ton père – Joann Sfar

Comment tu parles de ton père de Joann Sfar est un livre sur le deuil, celui de son père avocat à Nice. Sur ses derniers moments, dans le désordre de sa vie, en accéléré, la vie d’un père en colère contre lui même et contre tout, hanté par une culpabilité qui le ronge, la mort de la mère de Joann Sfar alors qu’il avait 3 ans et demi…

johann-sfar

Ce père suscite la peur chez son fils, toujours habité par une violence, palpable, lancinante, mortelle. Comment lui parler ? se demande Joann Sfar, pour lui dire enfin les seuls mots vrais, que son père n’ose prononcer ni formuler à lui même « Non papa, dit Joann, tu n’as pas tué ma maman. » Et que lui dire pour ce mensonge aussi stupide que cruel «Ta maman est parti en voyage» !

Être un Juif qui épouse une non juive, face à un père qui veux rester dans la tradition familiale non par conviction mais par respect pour ses parents, c’est difficile, et « C’est encore plus difficile de manger Casher tous les jours, de quoi justifier un génocide, marmonne Johann ! ». Ce récit en forme d’invective « Comment tu parles ! » est un patchwork en étoile, un long monologue intérieur cousu et recousu, un colimaçon d’anecdotes où les meilleurs moments de bonheur frôlent les moments les plus douloureux.

Écrit dans l’urgence, un académicien le trouverait bâclé, comme un devoir à rendre un lundi. On aimera cette spontanéité, brute, iconoclaste, où il peut se moquer de lui, pour mieux égratigner le vieux et ses coups de sang.
Un récit personnel où il n’endossera pas les combats de son père, il ne veut rien savoir de ses dossiers. L’objet de cette balade où il nous parle comme à un ami est de percer la carapace de cet homme si élégant, si collectionneur de jupons, amateur de luxe et redoutable avocat prêt à défendre tous les hommes touchés par l’injustice.

Amis lecteurs, vous saurez tout ou presque de la vie sexuelle de notre dessinateur. La circoncision y est largement débattue ; on peut y trouver ses avantages et ses inconvénients, et cerise sur le gâteau, la belle mère du jour était parfois très tendre avec le petit orphelin. Ainsi, des petites caresses aux regrets plus sombres, Joann Sfar n’hésite pas à se livrer sans pudeur dans l’urgence de ces jours où il veille son père, en alternance avec sa sœur, née d’une autre mère, et évoque sa femme devenue son ex et sa fiancée, et avec elles, ses remords.

L’agonie de son père donne à ce texte une gravité, et une tenue qui rappelle les confessions d’un Grimbert ou d’un Modiano. Il n’y a pas d’enjeu littéraire dans ce récit, mais si vous aimez le dessinateur, il faut lire ce livre. Il dégage simplement beaucoup de bonne humeur !
Comme dans un dessin ou une caricature, il n’y a pas de ratures, juste un bloc de mots, puissant, vrai et drôle. Avec un peu d’effort, le masticateur de bulles pourrait publier, un jour, un livre de nouvelles bien réjouissantes.

Enregistrer

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires