Chronique SFFF : Montero, Fazi

Rosa Montero

Des larmes sous la pluie

DesLarmesSousLaPluie

« J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »

La citation vient du film « Blade Runner », l’adaptation du livre de Philip K Dick : « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ».
Puisqu’elle s’en inspire, Rosa Montero parle de son prédécesseur dans son propre récit, expliquant par là-même son titre-hommage.

Bruna Husky est une techno-humaine aux yeux félins, une réplicante de combat au crâne rasé, avec en guise de tatouage une ligne qui parcourt tout son corps et partage son visage en deux.
Dans le premier chapitre, elle est attaquée par sa voisine, de la même espèce qu’elle. La tentative d’assassinat échoue et l’assaillante meurt après s’être arraché l’œil.
Depuis qu’elle n’appartient plus à la Milice, Bruna est détective. Elle est embauchée par Myriam Chi, la présidente du Mouvement Radical Réplicant pour découvrir qui injecte des mémoires trafiquées aux androïdes pour les transformer en tueurs.
Ce sont pas moins de 4 personnages masculins qui vont l’aider, mais aussi l’inquiéter : Yannis, le vieil archiviste qui corrige l’histoire de l’humanité, Pablo Nopal, le mémoriste qui fabrique les souvenirs des Reps, Maio, l’Omaa (extra-terrestre) qu’elle trouve un matin dans son lit, et Paul Lizard, le flic.

Madrid. Le XXIIè siècle. Une enquête. Un complot. La ségégation. Les pogroms. La journaliste d’El Païs a mis beaucoup de choses dans sa SF. Elle a surtout réussi son héroïne, une femme au corps artificiel qui laisse sa culotte sur un pare-brise, consulte un psycho-guide pour remédier à ses crises d’angoisses, essaye d’être sobre et surtout de savoir ce qu’elle ressent. Comment vivre avec le souvenir de l’agonie de Merlin, la connaissance du nombre exact de jours qu’il lui reste à vivre (les réplicants ont 10 ans de vie), tous les mensonges implantés dans sa tête ?
Malgré une fin à la Scooby-Doo et une maîtrise des processus géopolitiques à perfectionner, on prend la suite.

Le poids du coeur

LePoidsDuCoeurPour trouver des informations, Bruna a dû se rendre dans une zone zéro. Alors qu’elle doit la quitter, des migrants tentent de forcer le passage. L’androïde, assistant à l’intervention des forces de l’ordre, prend la défense d’une enfant : Gabi, une petite russe. Il lui en coûte le retrait de sa licence de détective. Pour la récupérer, elle va devoir consulter, en plus de son psycho-guide, un tactile : Daniel Deuil.
Peu après, elle est embauchée pour retrouver un diamant, fabriqué à partir des restes d’un homme. Sur son chemin, elle va croiser plusieurs fois Charnelle, une techno de calcul qui pose des questions dérangeantes. Et lui fait un drôle de cadeau.

Entre ses deux romans, Rosa Montero a écrit un texte (« L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir ») sur Marie Curie. Une explication à l’importance de la radioactivité et du nucléaire dans cette histoire, et un parallèle assez remarquable entre la scientifique d’origine polonaise et l’héroïne des deux fictions : force physique et faiblesse émotionnelle.
Sinon, on trouve cette fois : une nouvelle quête d’identité, la visite d’une théocratie totalitaire, un passage par des zones de guerres non officielles aux confins de l’Europe, et un drôle de petit monstre irradié, apprivoisé à l’aide d’un conte. Un conte que la Madrilène avait déjà utilisé dans un autre livre. Preuve s’il en faut que sa bibliographie mérite l’exploration.
D’après la sœur de Bruna, Gabi mérite une fin heureuse. Et vous ?

Mélanie Fazi – Le jardin des silences

Le-Jardin-des-silencesMélanie Fazi aura 40 ans en novembre. Elle est l’auteure de 2 romans et de près d’une cinquantaine de nouvelles. En ce début d’année, Folio réédite en poche son troisième recueil : Le Jardin des Silences.
S’il n’y a pas d’univers commun à toutes ces histoires, la nordiste a visiblement des thèmes de prédilections. D’abord bien sûr les arbres, sur lesquels on peut accrocher des souvenirs à Noël, entre lesquels on peut danser, qui vont faire partie de jardins, ou qui seront une partie d’un être. Les créatures imaginaires sont ce qui nous plaît le plus chez elle : celles qui habitent les rêves, qui volent les vies pétrifiées dans le froid, qui sont créées puis détruites par le créateur, remplacées.
En face, à côté, au premier plan, il y a toutes ces femmes. Toutes les nouvelles, sauf une, sont à la première personne du singulier. Elles sont seules, séparées, veuves. Elles sont à la fin de la jeunesse, au début d’autres choses : enfant, refus du destin, deuil …
Il y a des filles, il y a des pères. Des compagnons. Un père perdu quand la route rêve. Des compagnons qui frappent ou tuent. Elles, elles restent trop longtemps.
Il y a de la musique (l’auteure fait partie d’un groupe) et des animaux, des cygnes, des corneilles, des renards, des dragons : d’où ce mélange intemporel finalement entre aujourd’hui et certains autrefois.
Mélanie Fazi a beaucoup traduit, des gens comme Graham Joyce, Poppy Z Brite ou Lisa Tuttle, entre autres. Cela l’a certainement aidée à savoir être juste, maîtriser le rythme, le dévoilement propre à ces récits courts.
Mais il y a en plus chez elle une façon de regarder, quelque chose dans les gris en rapport avec la beauté.


1 commentaires sur “Chronique SFFF : Montero, Fazi

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires