Pour nous faire pardonner notre petite absence du mois dernier, ce sera ration double pour cette nouvelle livraison. Nos choix BD du mois sont un chouïa plus classiques qu’à l’accoutumée, mais l’éclectisme reste la règle. Au programme : Histoire à taille humaine, conte d’aujourd’hui, Bible dynamitée et en bonus deux suites se montrant largement à la hauteur de leurs tomes précédents.
On commence, une fois n’est pas coutume, par une Bande Dessinée historique. Les éditions Urban ont sorti cet été une jolie édition avec couverture cartonnée dorée du Petrograd écrit par Philip Gelatt et dessiné par Tyler Crook. Notre attention sur ce livre avait d’abord été attirée par la présence de cet excellent dessinateur qui fait notre bonheur dans les aventures du B.P.R.D. (les copains du Hellboy de Mike Mignola) paraissant mensuellement chez Dark Horse en VO et traduites par Delcourt. Sauf qu’au final même si le traitement graphique en aquarelles sépias est tout à fait excellent, c’est l’histoire qui nous aura le plus épatés. Gelatt nous raconte comment, en 1916 dans un Pétrograd au bord de l’explosion, les services secrets britanniques auraient orchestré un des assassinats les plus célèbres, celui du moine fou Grigori Raspoutine.
Il y a d’abord dans ce livre un redoutable thriller d’espionnage, mais ce n’est pas ce qui nous a le plus passionnés. Parce que ce que réussit surtout le scénariste, c’est le magnifique portrait de Cleary, espion britannique embarqué bien involontairement dans cette sombre affaire. Le portrait d’un homme à la recherche de lui même, perdu dans ses propres jeux et qui, acculé par plus manipulateurs ou plus fous que lui, finira par reconstruire un semblant d’humanité. Ajouter à ça une galerie de seconds rôles tous aussi réussis et un Raspoutine incandescent dans chaque case où il apparaît et vous obtiendrez un ouvrage hautement recommandable.
Chez Urban, août 2013, format 15 x 23 cm, 272 pages, 22,50 €
La superbe version trash de Pinocchio de Winshluss est l’une des BD récentes vers laquelle on revient avec le plus de régularité. Nous attendions donc comme le messie (ho, ho) sa version de la Bible. Le livre se sera un peu fait désirer, mais voici enfin In God We Trust, relecture savoureusement teigneuse des péripéties de l’être suprême et de son fiston. Guidé par Saint Franky, vous pourrez y découvrir enfin toute la vérité sur la création, le déluge, la vie, la mort et la résurrection de Jésus… et même enfin savoir qui est le plus fort entre Superman et Dieu ! Le livre n’a qu’un seul défaut, c’est de ne pas être aussi spectaculaire graphiquement que le Pinocchio mais pour le reste c’est du tout bon. Totalement hilarants de bout en bout, ces courts récits débordant de toutes parts d’un humour féroce et ravageur se lisent d’une traite. Rien que pour le titre de chapitre : « Jésus : né sous X, mort sur la croix », l’ouvrage vaut le coup d’œil. En plus, en ces temps de retours des bigots fanatiques de tous poils, sa lecture vous fera un bien fou.
Chez Les Requins Marteaux, novembre 2013, format 21 x 29 cm, 104 pages, 25 €
Pour leur première bande Dessinée, les éditions Phébus, ont fait fort. Les Ombres de Vincent Zabus et Hippolyte est un superbe conte contemporain servi par un graphisme assez saisissant. Dans une splendide scène d’ouverture, on suit l’exilé 214, épaules voûtées, masque et toge de tragédien grec, entrant dans une salle austère pour y défendre son cas pour l’obtention du précieux sésame qui lui permettra d’entrer au Haut-Pays. A peine a-t-il commencé le récit de son périple que les ombres des défunts envahissent la pièce et lui intiment l’ordre de dire la vérité de leur histoire.
Dans cette épopée à la fois intemporelle et ultra-contemporaine, on croisera un ogre capitaliste, un passeur reptilien, des sirènes, une tempête colorée de spectres… Le ton est celui du conte, simple et âpre comme un récit antique. Le graphisme tout en encres puissantes et en aquarelles vaporeuses d’Hippolyte est tout simplement stupéfiant. On est saisi plusieurs fois dans l’ouvrage par la puissance des compositions et l’expressivité de ces frêles silhouettes brinquebalées de Charybde en Scylla. Évoquant tour à tour l’héritage de Gustave Doré et Miyasaki, ses dessins magnifient cette splendide histoire, entre Lampedusa et l’Odyssée, qui est une des plus belles réussites du moment.
Chez Phébus, octobre 2013, format 25 x 32,5 cm, 184 pages, 24 €
En bonus, on vous signale la sortie de deux petites suites, dont on a déjà amplement vanté les mérites des tomes précédents, histoire de permettre à ceux qui ont loupé le coche de ne pas manquer ces deux merveilles.
D’abord le très attendu troisième tome d’Aâma où Frederik Peeters réussit parfaitement sa montée en puissance alors que ses protagonistes s’enfoncent au plus profond d’une planète en folie. L’auteur réussit l’exploit d’à la fois expérimenter vertigineusement sa narration, tout en faisant avancer son récit d’une façon limpide. Si vous n’avez pas encore lu cette merveille de Science Fiction humaniste, il est encore temps de vous y mettre avant que le 4ème et dernier tome ne vienne conclure l’aventure.
Chez Gallimard, octobre 2013, format 22,5 x 31 cm, 88 pages, 17,25 €
Chroniques des tomes précédents ici et là.
Autre suite attendue fébrilement, le second et dernier tome de Kililana Song de Benjamin Flao tient lui aussi toutes ses promesses. Pour son premier livre en solo Flao a soigné son final et les aventures de Naïm, superbe gavroche kényan, trouvent une conclusion d’une intensité remarquable. On retrouve avec un plaisir immense, les décors d’une luminosité stupéfiante et les personnages remarquablement vivants de Flao. Le monsieur se permet en plus de jolies expérimentations en couleurs directes de fort bon aloi. Deux tomes donc tout simplement indispensables.
Chez Futuropolis, octobre 2013, format 21,5 x 29 cm, 136 pages, 20 €
Chroniques du tome précédent par là.