Comme à notre habitude en début d’année, on jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Petite sélection des albums qu’on a loupés en 2012. Ce n’est pas très joyeux de prime abord, avec le second tome d’un triptyque bien flippant, la très émouvante évocation des derniers mois d’un homme… mais aussi un cartoon survitaminé, surréaliste et gorgé de soleil, ressuscité des archives de l’immense créateur du Muppet Show.
C’est désormais une tradition, nous délaissons l’actualité pour ce mois de janvier afin de prendre le temps de revenir sur quelques albums de 2012. Pour ce faire nous scrutons avec attention les tops divers fleurissants sur la toile ici ou là, pour y découvrir ce que nous avions totalement raté, ou bien nous inciter à redonner une chance à des albums n’ayant initialement pas franchi le cap de la simple curiosité.
C’était il y a déjà deux ans. Le temps passe vite en Bande Dessinée. Nous vous avions déjà clamé tout le bien que nous pensions de Toxic, premier volume d’une trilogie de l’américain Charles Burns. Après le chef-d’œuvre Black Hole, l’artiste s’essayait pour la première fois à la couleur, pour une série de trois albums.
Comme dans le premier tome on retrouve Doug, le personnage principal coincé entre trois fils narratifs :
– alors que son père se meurt, il vit le début d’une histoire d’amour avec la belle mais borderline Sarah,
– l’état pathétique dans lequel l’a laissé la fin apparemment terrible de cette histoire,
– et enfin un monde fantasmatique étrange et inquiétant, à mi-chemin entre la ligne claire d’Hergé et l’Interzones de William Burroughs, où l’on retrouve des versions ligne claire des personnages perdus dans un monde absurde et parfois révulsant.
L’articulation entre ces trois différentes parties est toujours aussi impressionnante. Le lent resserrement vers les événements dramatiques liant les deux premières parties, produit un effet d’oppression assez saisissant. Effet encore accentué par le fait qu’il n’y a plus de mise en place de l’intrigue et que le récit fonctionne à plein pot de la première à la dernière page.
Nous étions déjà tout chamboulé par la présence de nombreuses références à Tintin dans un univers jouant autant sur la mélancolie que sur le malaise organique (ou alimentaire). Voilà que pour ce second déboule en plus une étonnante utilisation des comics à l’eau de rose des années 50/60. Encore plus intriguant, encore plus déstabilisant, encore plus virtuose, Burns réussit parfaitement sa montée en puissance et nous laisse plus qu’impatients de découvrir vers quels sommets (ou abysses?) nous emmènera la conclusion de son récit.
Chez Cornélius, octobre 2012, format 22 x 29 cm, 56 pages, 21,50 €
Changement radical de style avec David, les femmes et la mort de Judith Vanistendael. Cette jeune bruxelloise s’était déjà faite remarquée avec les deux tomes de La jeune fille et le nègre, histoire d’amour autobiographique, entre une étudiante et un sans-papier togolais. Ce nouvel album s’ouvre sur une scène assez « classique » : David apprend, dans un champ/contrechamp avec son médecin, qu’il a un cancer du larynx. Là, on avoue avoir soupiré par crainte de la BD «dossier de société» et on avait bien tort. D’abord parce que ça enchaine derrière avec une jolie scène onirique mais surtout une époustouflante scène de naissance. Ensuite parce que c’est un album en état de grâce, toujours à la limite du pathos sans jamais y tomber. Juste sensible quoi. La beauté du livre tient à ce que notre héros est un taiseux et qu’il va garder autant qu’il le peut son état et ses sentiments. Le livre est donc construit autour des réactions de celles qui l’entourent : Paula sa deuxième femme, Miriam sa grande fille et sa petite dernière Tamar, neuf ans. Le récit alterne avec un sacré sens de la narration entre la lente et inexorable avancée de la maladie, la douleur et la rage de Paula, la sérénité de Miriam et l’imaginaire vif de Tamar. L’ensemble évolue avec une douceur étonnante, malgré quelques scènes très crues et réalistes venant ponctuer l’album. Les dessins épurés et aériens, sublimés par une utilisation fine de l’aquarelle, apportent à ce récit une tonalité très particulière. Un album touchant et parfois dur mais aussi plein d’humour et de sérénité pour un sujet fort traité avec une finesse exemplaire.
Chez Le Lombard, janvier 2012, format 19,5 x 26 cm, 280 pages, 25,50 €
Après deux livres beaux mais éprouvants, nous terminons avec un délice d’album réchappé du néant. Alors qu’il n’est encore qu’un débutant dans le monde de l’animation aimant expérimenter, l’américain Jim Henson écrit entre 1967 et 1974, avec son compère Jerry Juhl, Tales of Sand, le scénario d’un long métrage. C’était juste avant qu’il ne créée les monuments que sont 1 rue Sésame et surtout le Muppet Show. Une fois ces deux machines lancées, il n’a guère de temps à consacrer au script qui restera pendant de longues années à prendre la poussière sur les étagères de ses archives. Cela resta le seul scénario de long métrage écrit par Henson et, malgré quelques tentatives, il ne fut jamais porté à l’écran.
Ce ne sera finalement qu’en 2011, que le dessinateur canadien Ramón K. Pérez publie une version dessinée de ce scénario. Tale of Sand a depuis été récompensé par à peu près tous les prix existants en BD anglosaxonne et le voici traduit en français aux éditions Paquet. Le plus gros du boulot a été de transcrire les conséquentes notes d’introduction et de conclusion parce qu’à l’exception de quelques courts échanges, le récit est un long délire muet mais étonnamment bruyant ! On y suit Mac, jeune homme aux épaules carrées embarqué malgré lui dans une course poursuite surréaliste et survitaminée en plein désert. Le livre est une merveille de pétillance et de malice, enchainant les surprises absurdes et les morceaux de bravoure sur un rythme infernal. On ne dira rien des mille péripéties où s’opposeront Mac et son ennemi juré : un borgne méphistophélesque, pour vous en laisser tout le plaisir. On dira juste que c’est un bonheur total, servi par un dessin précis et vif comme l’éclair, et surtout des compositions de planche éclatées totalement stupéfiantes.
Une merveille tout simplement.
Chez Paquet, novembre 2012, format 20 x 28 cm, 160 pages, 25 €