Le camarade Fix m’ayant lâché pour de troubles et urgentes missions au Proche-Orient, c’est désormais directement avec vous que je prendrai contact. Rendez-vous donc tous les derniers jeudis du mois, à la même heure, au même endroit. Vous êtes fermement priés d’effectuer les mesures évasives réglementaires afin d’éviter toute filature.
Avant d’effectuer un petit retour sur les sorties de 2009 ayant échappé à mon radar, je vous propose une petite sélection de sorties récentes. De la Bande Dessinée troublante, militante ou stupéfiante au choix.

Que faire après un chef-d’œuvre ? On pouvait craindre qu’après son époustouflant Black Hole, l’américain Charles Burns ne peine à retrouver l’inspiration. C’était faire preuve de peu de confiance en l’un des créateurs les plus singuliers de la Bande Dessinée actuelle. ToXic est le premier volet d’une nouvelle saga étrange et déviante où l’on retrouve les thèmes favoris du bonhomme : l’adolescence, la monstruosité, l’onirisme mais développés dans un hommage troublant aux univers de Tintin et de William  Burroughs. Le mélange entre le reporter du Petit Vingtième, le pape de la beat generation et les obsessions charnelles de Burns peut paraître périlleux mais l’ensemble est étonnamment cohérent. Le double récit navigue avec une fluidité remarquable entre les affres de Doug, l’adolescent en crise et son alter-ego ligne claire emmené par le fantôme de son chat dans un monde cruel et halluciné. Le seul défaut que je peux trouver à  l’ouvrage est que ce n’est «que» l’ouverture d’une histoire qui promet mille merveilles et frayeurs.

Chez Cornélius, 20 €

On poursuit avec une réédition. La Présidente est un reportage en BD de Christophe Menu et Blutch initialement publié en 1996 dans un recueil de chez Autrement consacré à l’écologie. Nous sommes en  1994 et la Verte Marie Christine Blandin, vient d’être élue présidente du conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Nos deux zouaves décident donc d’aller à sa rencontre pour traiter de l’écologie en action.

Je dois avouer avoir un gros faible pour ce genre d’exercice. Le décalage de regard qu’apporte un dessinateur est un de mes grands plaisirs. Là, je suis servi. Si l’interview centrale de la dame est une très belle réussite, les à côtés sont tout aussi passionnants. Blutch croque avec délice la moue du chauffeur, une délégation malienne ou la trogne oblique du préfet. En plus ce court récit fourmille de détails résonant d’une bien étrange façon 16 ans plus tard. Un vraie réussite donc à découvrir ou a re-découvrir.
Pour enfoncer le clou, on a en bonus une superbe galerie de croquis ainsi que le croquignolet découpage de Menu.

Chez l’Association, 12 €

On termine avec le très psychédélique Body World de Dash Shaw. La première œuvre du garçon, Bottomless Belly Button (paru chez ça et là), était une très impressionnante chronique familiale à la fois sensible, maniaque et brillante formellement. Pour ce nouvel album, le gars fait encore très fort sur la forme. C’est un épais bouquin de presque 400 pages au format italien mais qui se tient verticalement. On lit donc les deux pages de haut en bas avec une rupture à chaque passage de page qui apporte un rythme de lecture très inhabituel mais qui m’a beaucoup plu.
C’est une histoire de science fiction où l’on voit le fantasque professeur Paulie Panther débouler dans la communauté recluse de Boney Borough. Le récit mêle allègrement drame et comédie, analyse des névroses d’une société refermée sur elle même, plantes aux propriétés étonnantes, intrigues amoureuses adolescentes et complot extra-terrestre. Le tout est traité graphiquement avec virtuosité, n’hésitant pas à user de découpages audacieux ou de mises en couleur totalement lysergiques.
J’ai trouvé ça un peu moins maitrisé que son premier essai mais il y a là suffisamment de personnages formidables, d’audaces et de passages fulgurants pour que l’expérience en vaille la peine. Ça confirme au moins que l’on tient là un des jeunes auteurs de BD actuelle à suivre de très près.

Chez Dargaud, 29 €