Un pouce, de l’inspiration et de la motivation. Il en faut parfois peu pour lancer une vocation. Celle de Krismenn, Christophe Le Menn au civil, a véritablement débuté sur les plates-bandes des routes départementales d’Argoat, entre Carhaix et Poullaouen, à la fin des années 90.
La cocagne de Brest 96, le chant des frères Quéré, Louise Ebrel… Une révélation pour le jeune Christophe Le Menn. Locuteur encore inexpérimenté, il se lance dans le collectage des mémoires du cru. Sac à dos dans la brume, à l’assaut d’un savoir enraciné. Ses grands-parents parlent la langue, ses parents ont laissé tomber. Lui s’y est remis, un peu sur le tard. Mais jamais trop tard. Son objectif ? « Apprendre le répertoire traditionnel en allant à la rencontre des anciens, chez-eux. »
La voix, un patrimoine
Raconter en chansons le quotidien, les déboires de la terre et du foyer, les vieux le font depuis des lustres, à leur manière. Des techniques compilées par de nombreuses associations locales et régionales, dont Dastum (« recueillir », en breton), qui met à disposition des archives dont la valeur patrimoniale est inestimable.
Ce qui intéresse Christophe, ce ne sont pas tant les histoires, sinon les manières de les déclamer. « Je partais plutôt pour apprendre les techniques de chant que pour collecter des histoires ou des mélodies. Ma spécialité, à l’origine, c’est le chant traditionnel. »
Gwerzioù, kan ha diskan et joutes verbales
Les fameuses complaintes affutées, les gwerzioù, à la technique insaisissable pour le profane, le kan ha diskan (« chant et contre-chant »), technique de chant à danser a cappella traditionnelle et tuilée, pratiquée à deux ou plus. Surtout, il entend bien cueillir les restes d’un patrimoine en voie de disparition : les joutes verbales, découlant d’une vieille pratique, qui avaient cours lors des mariages et des veillées. « Elles étaient similaires aux battle de rap d’aujourd’hui, explique-t-il. Il ne s’agissait pas seulement de jouer avec la sonorité et la poésie des mots, mais également de proposer des énigmes. »
Il commence justement les battle au lycée Diwan et, ce faisant, compose ses premiers textes en breton. « Par exemple, sur le morceau Diskoriou, je mène un battle avec le sample d’un vieil homme qui joute. »
Il rencontre plusieurs personnages reconnus, s’imprègne de leur accent, de leur cadence. « Je n’ai pas rencontré tant de monde que ça lorsque je partais sur la route. Deux personnes ont été très importantes au cours de mon apprentissage : Bastien Guern et Jean-Yves Le Roux. Ils sont disparus, aujourd’hui. »
Deux chanteurs d’une génération qui disparaît, dotés d’une grande maîtrise, face à un jeune venu de Plougastel à la force du poignet. La démarche est rare, le cadre de l’apprentissage est posé.
Kreiz Breizh Akademi, la modernité dans la tradition
Après une première expérience, dès l’âge de dix ans, dans le bagad de Plougastel, au pupitre batterie, il se lance, fort de son nouveau savoir, sur la route des festoù-noz. « Mon goût du fest-noz est parti du kan ha diskan. Faire danser les gens, c’est cela, l’important. »
En 2003, il part aussi séjourner au Québec. Un premier tournant a lieu chez les cousins. Il en ramène un nom de scène faussement breton, Krismenn, (de l’argot québécois criss, « putain, bordel », et men, « mec », les langues molles traduisent par « eh, gars, tu fais quoi ? » ) et, comme toujours, un goût plus prononcé encore pour la fusion des genres.
« Mon voyage là-bas m’a permis de découvrir le rap québécois, une pratique sans complexe vis-à-vis de la langue et de l’accent. Ils en jouent à fond. C’est quelque chose de marquant. » Des groupes comme Loco Locass (avec qui il jouera quelques années plus tard en Bretagne) participent de la construction d’un nouvel édifice musical.
« La fusion ne peut partir que de choses qui sont ancrées en toi. »
Sa volonté de marier le répertoire traditionnel breton et la modernité trouve ici son aboutissement. Reproduire la même chose avec cette langue rare, enfermée dans un répertoire limité. Libérer ses sonorités uniques, avec lesquelles il est intéressant de jouer. Retour à ses premières amours, aux joutes verbales des aïeux.
Deux autres voyages, en Inde et en Albanie, lui apportent les dernières bribes d’un style nouveau : « Des influences plus ou moins digérées », dit-il. La guitare slide, qui revient sur certains de ses morceaux, est très utilisée en blues, mais aussi dans les musiques indiennes.
Il intègre par la suite, toujours en 2003, la première édition de la Kreiz Breizh Akademi, un programme de formation professionnelle musicale destinée à de jeunes musiciens. Une étape de trois ans, qui s’appuie sur « la transmission des règles d’interprétation de la musique modale et sur la musique populaire bretonne. »
Erik Marchand, l’exemple
Surtout, il croise la route sinueuse d’Erik Marchand, fondateur de l’Akademi, chanteur et musicien reconnu. Ils vont rouler quelques temps ensemble.
« Rencontrer Erik a été la chose la plus marquante de mon passage là-bas. C’est quelqu’un dont le parcours m’a toujours intéressé. Un parcours exemplaire. Il s’est d’abord formé longuement, il a façonné son propre univers avant de créer, de mélanger les influences, d’aller voir ailleurs. C’est une démarche qui me plaît. »
Contrebasse, ukélélé, MacBook
Installé à Saint-Servais, près de Callac, dans les Côtes d’Armor, il travaille seul à la composition de plusieurs morceaux. Un travail qui étonne d’abord sur scène (il est passé au festival Art rock de Saint-Brieuc, à l’Interceltique de Lorient et aux Vieilles Charrues), avant la sortie, en juillet 2011, de son premier CD.
Une mosaïque de complaintes blues, de rap vernaculaire mâtiné d’electro. En arrière plan, les gifles d’un beat-box. Krismenn fait dans la performance. Une contrebasse, une guitare slide, un ukulélé, et, bien sûr, un MacBook.
Poésie et militantisme
Un militant, Krismenn ? « Le fait même de chanter en breton est un acte symbolique. Il n’y a pas une thématique qui revient systématiquement dans mes chansons. Certaines sont militantes, en effet, comme Ar bolitiklaerien, qui dénonce la politique agricole intensive et en particulier le projet de maternité porcine de Trébrivan, dans les Côtes d’Armor. »
D’autres évoquent plutôt des destins individuels. Celui d’un bouilleur de cru, alcoolique, évocation mélancolique du Kreiz Breizh dans Paotr al lambig, par exemple. Un univers plus poétique, saturé de vapeurs de fonds de cuves, de landes fauves et chemins creux.
Des chansons, il commence à en avoir de « nouvelles sous le coude. Je me demande si je ne vais pas m’orienter vers quelque chose de différent. Dans les prochains mois, je ne vais pas mener tous les projets de front. J’ai eu quelques propositions. Mon duo avec Alem (NDLR champion de human beat box), plus orienté vers les festoù-noz, continuera. »
Sa passion du breton, de ses sonorités et de sa poésie, il la partage également avec les plus jeunes. Avec son compère Alem, ils sont déjà intervenus dans des écoles et collèges Diwan de la région, afin d’échanger avec les élèves, voire même composer avec eux, comme ce fut le cas lors d’une semaine de résidence artistique à Douarnenez, il y a quelques semaines.
« On a de bons retours de ces expériences. On est aussi allé dans des IME, des Instituts médico-éducatifs. Il est intéressant de composer et de pratiquer avec des jeunes en difficulté, les jeunes autistes par exemple. C’est parfois très utile pour eux. Dans la pratique du beat-box et du chant, il y a un important travail sur le langage qui est réalisé. »
Il sera sur la scène du Bar’Hic vendredi, à partir de 20 h. Pour une première à Rennes ? « J’y ai déjà joué plusieurs fois, au Bar’Hic, d’ailleurs et au Jardin moderne. Sur la place de la mairie, également, en mai de cette année. À l’occasion de la Redadeg. »
S’il apprécie faire des dates en dehors de la péninsule, il sais que dans la région, il a largement de quoi faire. Et ça lui suffit, dit-il. On le croit. Et puis on s’en fout un peu, on est Bretons. Allez hop, la gwerz est déclarée.
Vendredi 7 décembre, à partir de 20 h au Bar’Hic. 5 euros.
Site des Bars en Trans 2012 : http://www.barsentrans.com/