Mercredi soir, près de deux-cents personnes se sont rassemblées devant le squat de la résidence du Parc, à Pacé. En discours et en chansons, ils ont protesté contre l’expulsion des migrants, qui pourrait avoir lieu dès le 15 novembre. Retour sur une affaire qui a débuté en mai 2012.
17 h, quelques personnes discutent face à la résidence du Parc, à Pacé. Le rendez-vous du rassemblement a été fixé à 17 h 30. Les minutes passent, le parking se remplit peu à peu, à mesure que le jour décline : des jeunes munis de drapeaux et de bannières, des militants plus âgés de RESF, du Mrap, de divers mouvements politiques de gauche, sans oublier les occupants des lieux ainsi que des habitants de la commune… La foule est bigarrée, et l’on se demande, en la voyant grossir, si l’espace prévu sera suffisant pour accueillir tout le monde. L’appel à la mobilisation du jour a été lancé par le réseau de vigilance d’Ille-et-Vilaine contre le racisme et la xénophobie, regroupant près de quinze associations et partis politiques, parmi lesquelles Sos racisme, le Mrap, Dal 35, le NPA ou encore le PCF.
Plus importante réquisition du pays
La résidence du Parc, un ancien Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) vacant, est occupée depuis le 2 mai de cette année par près de deux-cents cinquante migrants à la suite d’une réquisition du Dal 35 (Droit au logement) de ces locaux de plus de 2000 m², « la plus importante réquisition en France de ce type », expliquent les militants de l’association. Parmi les occupants, des hommes, femmes et enfants originaires de quinze pays différents : Mongolie, Tchétchénie, Géorgie, Côte d’Ivoire, Mali, Arménie, Afghanistan, Turkménistan… Certains ont des papiers, d’autres n’en ont pas. Beaucoup sont demandeurs d’asile.
La raison de cette occupation ? « L’État ne respecte pas la loi et les conventions internationales en ce qui concerne le droit des demandeurs d’asile (NDLR : directive européenne 2003/09/CE du conseil du 27 janvier 2003, article L345-2 du code de l’action sociale). Ceux-ci sont censés avoir droit à un logement le temps de la procédure » argumente un militant. La préfecture soutient qu’il n’y a pas assez de locaux pour tous les accueillir. Les places en hébergement d’urgence manquent. Selon le Dal, qui s’appuie sur des chiffres de l’Insee, « près de 10 000 logements sont pourtant vacants dans l’agglomération rennaise. »
Quatre mois de sursis en juillet
Traduction : comment respecter les lois lorsque l’Etat ne les respecte pas lui-même ? Le Dal aide donc les migrants à s’installer dans des structures vides de tout occupant, souvent en voie de rénovation, comme ici à Pacé. Les familles se sont progressivement installées, certaines dans des studios, d’autres dans la salle commune, simplement séparés de leurs voisins par des rideaux de fortune. Les enfants ont pris l’habitude de jouer au ballon sur la cour. Si les regroupements se font principalement par communauté, tout le monde cohabite et échange avec une relative facilité, malgré les disparités de langue.
L’occupation aurait pourtant pu tourner court. En juin 2012, la SA HLM les Foyers, propriétaire de la résidence du Parc, décide d’assigner les squatteurs en référé auprès du tribunal d’instance de Rennes. Sa volonté ? Expulser les occupants, afin de débuter la transformation de la résidence, pour 2013, en un espace accueillant une crèche, un pôle médical, des logements pour personnes handicapées, sans oublier, ironie de l’histoire, 28 logements pour les demandeurs d’asile. En filigrane également, la question du règlement des charges d’eau et d’électricité, qu’elle refuse de payer, considérant que c’est à l’Etat d’assumer les frais découlant d’une occupation illégale (le montant cumulé des factures avoisinait les 15 000 €).
Les conséquences dramatiques d’une expulsion
L’avocate du Dal explique alors au juge que s’il y a bien une violation du droit de propriété, le trouble découlant d’une expulsion aurait des conséquences autrement plus dramatiques que le préjudice subi par le propriétaire des lieux. À savoir plus de deux-cents personnes à la rue, sans solutions de relogement immédiat. L’affaire, jugée le 22 juin, voit alors une issue positive pour les occupants du squat. En délibéré, le 20 juillet, le Dal obtient quatre mois de sursis, avant une expulsion qui pourrait se produire dès le 15 novembre 2012.
Le juge du tribunal d’instance de Rennes considère à l’époque que « les structures d’accueil dont ils pourraient bénéficier dans le département sont saturées » et que l’allocation d’attente (11,01 € par jour, versés par Pôle emploi aux demandeurs d’asile pendant l’instruction de leur dossier) est « manifestement insuffisante »… (Ouest-France du 18 septembre 2012).
Bien des mois ont passé, aucune solution ne s’est profilée à l’horizon. Ce mercredi, le mot d’ordre était simple : organiser un rassemblement pour protester contre la mise à la rue, dans moins d’une semaine, de plusieurs dizaines de personnes, en pleine période hivernale, parmi lesquelles des femmes enceintes, soixante-quatre enfants dont une ribambelle en bas-âge, des personnes handicapées ou peu mobiles, pour qui la rue est une épreuve souvent fatale, surtout en cette période. La trêve hivernale, en effet, ne concerne pas les occupations de squats. Autre motif : un groupuscule d’extrême-droite (Jeunes Bretagne) avait annoncé une manifestation pour soutenir l’expulsion des migrants, avant de se rétracter.
Avant la date du 15 novembre ?
Le 15 novembre, les forces de l’ordre pourront expulser les occupants en toute légalité. Les hébergements d’urgence ne pourront pas accueillir tout le monde. Certains seront relogés, mais sur les deux-cents occupants, ils sont minoritaires. Les solutions proposées par la préfecture, à savoir quelques nuits d’hôtel pour les femmes et leurs enfants, ne conviennent pas aux occupants et aux associations qui les défendent. La rue s’apprête donc a observer de nouveau les errances d’hommes et de femmes qu’elle pensait avoir mis à l’abri, en les mettant sur la route de Pacé.
« Oui, ils seront expulsés », explique Alain Quemener, du Dal 35 et de RESF, entre deux signaux échangés avec des personnes se rendant dans le bâtiment principal. La préfecture pourrait même les faire partir avant la date du 15 novembre, pour cause de troubles à l’ordre public », se désole-t-il. En effet, à l’approche de la date de l’expulsion, des heurts ont eu lieu mardi au sein de l’établissement entre deux groupes. Des Mongols contre des Tchétchènes. Des coups à l’arme blanche ont été échangés. Sept personnes, cinq hommes et deux femmes, ont été blessées, dont deux sérieusement. « Entassés les uns sur les autres, comme ils sont, cela devait finir par arriver », raisonne un militant.
Cécile Duflot propose de revoir la politique de réquisition
Des habitants de Pacé sont également venus soutenir les militants et sans papiers mobilisés. Maryline, Marine et Jean-François sont de ceux-là. Maryline explique que ce mouvement de citoyens de la commune s’est lancé « il y a une quinzaine de jours environ. Nous nous sentons directement concernés par le sort des personnes qui vivent ici. Ce matin, nous sommes allés faire tourner une pétition au marché, beaucoup l’ont signée spontanément. » Les riverains ne semblent pas avoir de problèmes de cohabitation avec les migrants, ainsi l’installation ne semble pas avoir pas causé de tort dans les environs.
Dominique Leseigneur, militant du réseau de vigilance 35, explique ainsi que « certains voisins sont même venus apporter des meubles, parfois des plats préparés par leurs soins ». Certains, dans la foule, évoquent les bons rapports noués avec les résidents de la maison de retraite. D’autres, néanmoins, rappellent des « on dit » voulant que certains voisins supportent mal la présence plutôt neuve des squatteurs. Pas de consensus de ce côté là, donc.
« Les enfants seront descolarisés »
Le maire UMP de Pacé, Paul Kerdraon, a également dénoncé les conditions d’hébergement dans lesquelles évoluent les migrants, tout en pointant du doigt l’action du Dal, qui favoriserait ce type de situation. Depuis le départ, la mairie ne cache pas qu’elle souhaite voir les squatteurs partir dans un centre de demandeurs d’asile « organisé et légal » (Ouest-France du 7 novembre). Encore faudrait-il que celui-ci existe.
« Les enfants se sont bien intégrés à l’école, je peux le confirmer, je suis enseignante », annonce l’une des Pacéennes. Membre d’une association des parents d’élèves, elle souhaite écrire une lettre de doléance à la direction académique pour mettre en lumière l’avenir nécessairement menacé des enfants, appelés à être descolarisés brutalement. Quatre collégiens des Hautes-Ourmes, un Géorgien, un Mongol et deux Tchétchènes vivant dans le squat, avaient il y peu reçu le soutien de leurs professeurs à l’approche de la date fatidique du 15 novembre. Après les attendent le 115, les hébergements d’urgences pouvant se situer à Vitré ou Fougères, la mobilité permanente. Tout, on le voit, sauf un destin de collégien normal.
Alors que la nuit a enveloppé depuis quelques temps déjà les militants réunis, une prise de parole s’organise. Certains témoignent, d’autres grondent. Deux amis viennent pousser la chansonnette, une complainte affutée. Plus tard dans la soirée, vers 20 h, un repas collectif est servi, pour remercier tout le monde de sa présence, et pour se réchauffer mutuellement.
« Deux mains qui se cherchent, c’est assez pour le toit de demain », écrivait André Breton. Il y a beaucoup d’espoirs, dans cette phrase. On aimerait y croire, pourtant, si la solidarité a fonctionné a plein régime mercredi, elle n’a pourtant pas apporté de solution au problème. Jeudi 15 novembre au soir, plusieurs dizaines de personnes pourraient se retrouver dehors, à battre le trottoir de leurs pas. « Souvent, le toit que les hommes ont au-dessus de leur tête les empêche de grandir », disait le poête polonais Stanisław Jerzy Lec. L’absence de toit les empêche, semble-t-il, également de rêver.
Note. Une marche des migrants est organisée samedi 10 novembre à 14 h, place de la gare à Rennes pour l’égalité des droits entre français et étrangers, à l’initiative du Conseil des Migrants.