Aufgang, « l’ascenseur » en allemand. Depuis 2005, il monte, tranquillement, sans griller les étages ou les étapes. Un succès d’estime qui colle bien au caractère des trois membres du groupes, interprètes de génie et défricheurs de son. Ils se sont rencontrés à New-York, il y a de ça douze ans, lors de leur passage à la Juilliard School, la prestigieuse école de musique, et ont tous connu le succès en dehors du groupe. Rami Khalife, pianiste, né à Beyrouth et fils d’un célèbre compositeur libanais, Francesco Tristano, pianiste également, d’origine luxembourgeoise, et Aymeric Westrich, percussionniste et bras électronique du groupe. En les interrogeant, on pourrait se perdre dans les méandres de leurs carrières respectives, déjà bien remplies. Mais aujourd’hui, ils ne veulent parler que d’une chose : Aufgang.
Alter1fo : Expliquez-moi, comment passe-t-on de l’univers classique dans lequel vous avez longtemps baigné, la prestigieuse Juilliard school de New-York, les enregistrements de grands compositeurs, à un univers plus contemporain, électronique tel que proposé sur scène aujourd’hui ?
Rami : Nos études ont été classiques, c’est vrai. Mais nous avons tous reçu une éducation très ouverte, depuis tout jeune. Nos parents nous ont donné une éducation musicale vaste et variée. On écoutait de tous les styles, étant petits. Mon père était un grand compositeur, la mère de Francesco, si elle n’était pas une musicienne reconnue, était un grande mélomane.
Francesco : Nous en sommes venus à cela naturellement. La musique a toujours été à la base de tout, nous avons bénéficié de toutes sortes d’influences. L’improvisation est également fondamentale, dans la conception du jeu d’Aufgang.
Comment les gens ont-ils réagit lorsqu’ils ont eu vent de votre projet ?
Francesco : C’est certain qu’à un moment de notre parcours, on nous a pris pour des Extra-terrestres. On n’a pas été façonnés dans le moule des gens classiques.Le conservatoire… ça conserve, effectivement. Mais dans la vie, il faut également progresser, proposer de nouvelles choses. On a toujours été attiré par l’improvisation, au travail renouvelé sur les mêmes morceaux. Aufgang est né à New-York, ville électronique par excellence, en 2001 ou 2002.
Vous dites que le projet a commencé à poindre vers 2002, pourtant l’acte de naissance officiel du groupe a eu lieu en 2005. Pourquoi tant de temps ?
Aymeric : Concrétiser ce projet, ça n’a pas été facile. Il a fallu, d’abord, que l’on se retrouve tous ensemble au même endroit. Je suis rentré à Paris après avoir terminé l’école, à New-York. Comme nous étions tous les trois en Europe dans le courant de l’année 2004, nous avons pu lancer le projet de manière plus concrète. L’expérience du Sonar a été fondamental. (NDLR : le festival Sonar a lieu à Barcelone. Ils y ont joué après avoir impressionné Jeff Mills lui-même, lors d’une performance). Il y a toujours un évènement qui permet la concrétisation d’un projet. Sonar a été l’élément déclencheur. On s’est fixé une deadline assez serrée, et en une semaine, tout était monté.
Vous êtes tous les trois d’origines très diverses, pourtant, cela ne se sent pas vraiment dans votre musique. Votre musique est-elle teintée culturellement ?
Aymeric : C’est la diversité de nos origines et de nos influences qui fait le son du groupe. Mais ce n’est pas de la fusion pour autant. Dans des répertoires comme l’afro-jazz, ou le latin-jazz, il y a une connotation culturelle et géographique trop prégnante. Soit, nous voulons créer un nouveau langage, bourré d’influences. Mais un langage qui ne peut pas se trouver enfermé dans des catégories préétablies. Une musique qui dépasse ces évidences, qui fait valser les étiquettes. Nos parcours individuels nous permettent de nourrir la musique d’Aufgang.
Aymeric, quand on est percussionniste, est-ce facile de s’intégrer dans un duo de pianistes ?
Aymeric : Ça n’a pas été trop dur de nous apprivoiser mutuellement sur le plan musical. Je me suis imposé !
Rami : J’ai beaucoup joué en duo avec Francesco, soit, mais depuis que nous nous connaissons, nous avons toujours joué ensemble, tous les trois, dans des formules à géométries variables.
Aufgang serait-il pour chacun d’entre-vous une sorte de groupe exutoire, dans lequel il vous est possible de mettre tout ce que vous vous refusez de faire ailleurs, dans d’autres circonstances ?
Aymeric : Pas vraiment exutoire, non. C’est un véritable projet qui nous tient à coeur, quelque chose de très concret, auquel on pense depuis de longues années.
Vous menez depuis plusieurs années de multiples projets de front. Aufgang va-t-il devenir le centre de vos préoccupations ?
Rami : Ce n’est pas évident qu’Aufgang prenne le dessus sur les autres facettes de notre activité. Il est vrai que nous avons de nombreuses passions, et que nous ne nous voyons pas les abandonner.
Quand sortira votre prochain album ?
Rami : En mars. Ce sera le troisième. Il y a eu un EP entre les deux.
Cet après-midi, vous allez proposer quelque chose de nouveau sur scène ?
Aymeric : Non, nous allons rester dans le cadre habituel, mais en jouant en structure ouverte, en improvisant au possible sur chaque morceau. On va laisser, comme toujours, de la place à l’interprétation. C’est un showcase, pas un concert conventionnel.
Vous semblez aussi à l’aise dans un cabaret que sur une scène d’opéra ?
Francesco : On est très fort pour ce qui est de l’adaptation (rires) ! Qu’il s’agisse d’une salle assise, très calme, ou d’un festoche électronique débridé … On aime le changement.
Si vous n’aviez pas fait de la musique, qu’auriez vous aimé faire ?
Aymeric : J’aurais fait de l’architecture.
Rami : De la musique… Je n’ai pas vraiment eu le choix (rires).
Francesco : Des sciences. De l’astrophysique, par exemple.
Quel est le pire moment que vous ayez vécu sur scène dernièrement ?
Facile. À Montréal, lors d’un concert privé, Francesco a du payer le billet d’avion lui-même, avancer un nombre incalculable de frais… Mais ce n’est rien ,encore : la scène faisait 4 m², on devait jouer les uns sur les autres, derrière du plexiglas… Surtout, la sonorisation était terriblement mauvaise.
Et un épisode rock’n’roll dans la carrière d’Aufgang ?
Francesco : On a vécu plusieurs invasions de scènes, assez sauvages. À Besançon, au Magic Mirror. À Trier, en Allemagne, également. C’était en open air. Il y a eu un orage foudroyant. Dès le troisième morceau, tout le monde était sur la scène.
À part le nouvel album, vous avez de la visibilité à long terme ?
Rami : En ce moment, on est en stand-by. On a envie que ça décolle, mais ça ne dépend plus de nous.
la blague, à Trier on n’était pas bien nombreux…