Marre de l’esprit de Noël ? Marre des infos cataclysmiques ? ça tombe bien, nous aussi ! Bienvenue dans notre 7ème calendrier de l’Avent Altérophile, dont on espère qu’il sera de nouveau original et divertissant ! Tous les jours (ou presque) jusqu’au 24 décembre, une idée de truc en papier à mettre sous le sapin ou à dévorer de suite. Bon pour l’âme, bon pour nos petits libraires-ami.e.s, bon pour les bibliothécaires, bon pour nos papetiers-ami.e.s, bon pour nos neurones. Ouvrez donc les pages jour après jour…
On pourrait avoir envie de fuir face à l’avalanche de prix divers et variés (Prix Femina des Lycéens, Prix Libr’à nous, Prix Stanislas du meilleur premier roman de la rentrée littéraire, Prix des lecteurs et des lectrices des Bibliothèques de la Ville de Paris…) dont est bardé ce livre. Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin est pourtant un premier roman court, percutant, touchant et haletant.
Paru en 2020, ce roman claque toujours autant et s’incruste dans notre actualité politique et celle à venir… C’est l’histoire d’un père et de ses deux fils. Ils habitent le 57 et soutiennent Metz et non Nancy. Fus, le fils aîné tâte plutôt bien le ballon rond. Gillou, le 2è, travaille plutôt bien à l’école. Et le père, cheminot, membre actif de la section locale du PS, élève seul ses deux fils depuis la maladie et le décès de « la moman ».
Cette histoire est racontée par le père. Il y a la vie d’avant, quand la mère était encore là. Cette vie simple faite de petits plaisirs : « Août, c’est le meilleur mois de notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l’après-midi est la plus belle qu’on peut voir de toute l’année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. Déjà pénétrée de l’automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c’est nous. Elle est belle, mais elle ne s’attarde pas, elle annonce déjà la suite. Elle contient en elle le moins bien, les jours qui vont rapidement se refroidir. Il y rarement des étés indiens en Lorraine. »
Aujourd’hui, le père raconte sa survie dans cette Lorraine désindustrialisée, son engagement pour élever du mieux qu’il peut ses deux garçons tout seul et payer son pavillon. Le quotidien ordinaire de cette France d’en bas sans clichés, si on peut dire. Lentement mais sûrement, Fus, le fils aîné s’accoquine avec l’extrême droite. Entre silences, non-dits, amour paternel et filial jamais clairement exprimés, père taiseux et entente fraternelle contrariée, le roman tisse une toile d’araignée faite de désillusions et de regards désabusés sur la vie politique.
« Je ne les aimais pas trop ses copains, je ne les connaissais pas vraiment, ils ne passaient jamais à la maison, mais pour ce que j’en voyais, ils ne me plaisaient pas. […]Leur tenue non plus ne me plaisait pas. Je n’avais jamais trop aimé les treillis. Ni les cheveux coupés à la para. Mais je n’avais pas osé le dire à Fus. »
Il y a beaucoup de pudeur dans ce récit, beaucoup de tendresse. On voit le père et son fils aîné s’éloigner petit à petit. Fus ne reconnait plus les valeurs dans lesquelles il a été élevé ; son père, le militant de longue date à la section locale du PS, y croit encore un peu. Il fréquente toujours les locaux mais un peu comme on « va à l’église » et même si les réunions s’apparentent plus à des goûters ou à des apéros entre vieilles connaissances qu’à de véritables réunions politiques. Les idéaux politiques s’émoussent. Et la radicalité de son fils ne déclenchera pas le réveil attendu : « Fus était calme, presque content que cette explication arrive. Il assumait. Un vrai témoin de Jéhovah, perfusé de conneries, avec de nouvelles certitudes, qui restait aimable. J’avais honte. Désormais, on allait devoir vivre avec ça, c’était ce qui me gênait le plus. Quoi qu’on fasse, quoi qu’on veuille, c’était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d’après ce que j’avais compris, il y prenait plaisir. On était dans un sacré chantier. La moman pouvait être fière de moi. »
Le lecteur assiste impuissant à la distance qui s’installe entre père et fils. Il est le témoin de cette tragédie familiale en quelques chapitres : règlements de compte entre militants du FN et antifas, procès, prison, rien ne sera épargné à ce père vite dépassé par les événements.
La bascule est rude, nos tripes sont nouées. On sentait bien que l’espoir ne pouvait se réaliser. L’écriture tout en délicatesse de Laurent Petitmangin nous maintient sur ce fil d’équilibriste au fil des pages. La prose est sobre et nuancée et donne juste ce qu’il faut au lecteur. Pas de leçon morale ni de raccourcis. Vous vous ferez votre propre opinion sur cette tranche de vie simple mais percutante. On vous la conseille fortement.
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