[2020] Des bouqu’1 sous le sap1 #16 : Vélo, photos et Madame Yvonne

Marre des attestations de sortie ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des injonctions contradictoires ? Marre des jauges à tout-va ? Marre des chiffres balancés sans vergogne et sans filets et qui conditionnent nos vies ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Avant-dernière proposition à glisser sous le sapin : un « beau livre » de photos en noir et blanc, 100% Gwenn ha Du. 

Elle s’appelait Yvonne Kerdudo, mais son nom d’artiste, c’était Madame Yvonne. Née au 19è siècle dans le Trégor, elle file à 16 ans, comme la plupart des jeunes bretonnes (souvenez-vous de Bécassine la finistérienne…), à la capitale. D’abord aide-soignante, elle passe son diplôme d’infirmière et travaille à l’hôpital Bicêtre. Parallèlement, elle s’intéresse à la photographie et se forme, pardonnez du peu, chez les frères Lumière. En 1905, à l’âge de 27 ans, elle revient sur ses terres natales et s’installe à Plouaret. Elle travaille comme infirmière mais installe un studio photo chez elle et sillonne la campagne, à vélo, pour photographier ses contemporains.

Madame Yvonne est un livre grand format, publié chez Filigranes Editions en avril. Il est le résultat d’un jolie collaboration et d’un travail de fourmi. En effet, les archives de la photographe – rien de moins que 13 400 plaques de verre au gélatino-bromure d’argent – sont restées stockées dans le grenier de sa maison de Plouaret pendant plus de 50 ans. C’est une de ses nièces, héritière des archives, qui a contacté Pascale Laronze, fondatrice et directrice artistique de la Cie Papier Théâtre en 2005. Voilà que s’offre à eux un trésor de 20 100 photos, lesquelles constituent un véritable trésor patrimonial et culturel. Commence alors un travail de fourmi pour les bénévoles : aucune trace écrite n’accompagne ce fonds et il faut mener, au-delà du travail technique de numérisation, une enquête à la Sherlock pour identifier et dater les clichés.

Dans l’ouvrage, 350 photos en bichromie sont la partie immergée de l’iceberg. Outre quelques autoportraits de l’artiste, on découvre des clichés de sa famille et puis tous ces anonymes ou inconnus immortalisés dans ce Trégor rural et âpre du début du XXè siècle. Les enfants courent en vêtements trop courts et en botoù-koed (sabots pour les non bretonnants), les adultes posent fièrement lors des mariages ou des battages des foins. La « lecture » des photos offre une plongée impressionnante dans cette Bretagne fière mais miséreuse : Soaz, employée de ferme pose aux côtés d’une vache de haute stature ; les jeunes couturières sont immortalisées sur le sol en terre battue de la ferme où elles étaient venues avec une brouette pour transporter leur machine Singer à pédale ; les bouchers posent dans l’arrière-cour près du cochon qui vient d’être trucidé ; les boulangers arborent les miches de pain de 5 kilos cuites au four à pain… Madame Yvonne était appelée et débarquait à vélo, jusqu’à 40 kilomètres de chez elle, avec son trépied et sa chambre noire. Ses photos étaient belles, les gens l’appréciaient et ne regardaient pas à la dépense pour un tel souvenir.

Madame Yvonne immortalisait les familles qui feraient pâlir les familles dites nombreuses d’aujourd’hui. Les vêtements du dimanche et les godillots étaient sortis pour l’occasion. Les photos de mariage étaient étonnamment sombres du fait des costumes noirs ; seules les coiffes semblaient illuminer la noirceur. La guerre 14/18 a aussi toute sa place dans les clichés de Madame Yvonne et ces derniers sont un témoignage sur l’histoire étonnante de Plouaret qui a accueilli nombre de soldats polonais de 1917 à 1918. La mort enfin y figure comme un épisode de parcours. Les défunts parés de leur plus beaux atours étaient « couchés » sur papier glacé pour l’éternité.

Ce livre constitue un travail remarquable : 9000 photos ont été identifiées et sont un témoignage direct de la vie du Trégor. Pour le reste, les bénévoles poursuivent leur recherches. Si vous êtes originaires du Tregor et avez encore des grands-parents en vie, ces derniers pourront peut-être aider la Cie à identifier les photos encore inconnu.e.s : http://yvonnekerdudo.fr/photos-a-identifier/

Un beau livre à feuilleter, à lire, à examiner et à glisser sous le sapin pour fans de photos, d’Histoire(s) et de Bretagne. (Et un grand merci à la directrice de la Médiathèque Robert Badinter de Clohars-Carnoët qui a glissé ce trésor entre mes mains…).

Pour en savoir plus :

Madame Yvonne / Yvonne Kerdudo – Pascale Laronze
Filigranes Editions
Co-production : Compagnie Papier Théâtre
Parution : 15/05/2020
264 pages
ISBN : 978-2-35046-488-6
40,00€

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires