Romans en Juillet : Noirs polars

C’est l’été. Voilà quelques polars à se mettre sous la dent, les pieds dans le sable et en éventail, la tête sous un Panama. D’ailleurs, pour cet été, on traverse l’Atlantique, direction le Nouveau Continent. Prêts pour un road-trip entre Mexique, Californie, Uruguay, surf, drogues et trafics en tout genre ?

Surf, vers et pollution… : Tijuana Straits de Kem NUNN

Tijuana-Straits-NunnQuand Kem Nunn sort un bouquin, on attend l’été pour le lire, histoires de surf oblige ! Car Kem Nunn est au polar de surf noir ce que les Beach Boys sont à la glisse musicale : un incontournable…

Avec ce quatrième titre publié en France, on reste en Californie, mais bien plus au sud. Direction la frontière mexicaine et Tijuana. Sam Fahey, surfeur décati ayant hérité d’une ferme vermicole (ah ! la culture du lombric !), vit du bon côté de la frontière. Magdalena, jeune avocate âpre à la bataille pour défendre les victimes mexicaines des industries américaines polluantes, déboule par hasard dans sa vie. Elle vient du Mexique : « Putain de Mexique. Pour certains, ce n’était encore qu’une portion de Far West peuplée de cow-boys et de prostituées. Pour Fahey, c’était un tumulte insondable de peur et de perversité, source d’histoires barbares dont aucune n’égalait la sienne en injustices. » (pp. 16-17)

L’ancien champion de surf, devenu éleveur de lombrics après plusieurs années passées en prison, sauve donc Magdalena, l’activiste mexicaine. Victime de tueurs à gages, elle fuit son pays à travers les dunes de Las Playas, une meute de chiens affamés à ses trousses. Une rencontre inopinée entre deux bêtes sauvages et écorchées qui vont apprendre à se connaître et s’entraider.

Comme à chaque fois, Kem Nunn jongle avec des personnages désabusés, reclus, solitaires et éprouvés par la vie. Des personnages qu’il triture et « déshabille » au fil des pages, nous les rendant ainsi de plus en plus attachants. D’autant que ces personnages sont ici confrontés à des situations de violence assez insoutenables. Dans Tijuana Straits, la chasse à l’homme est cinglante et étouffante. L’âpreté du désert, la violence de l’océan, la folie des hommes : tous les ingrédients d’un cocktail angoissant ! Car chez Kem Nunn, la nature est à la fois piège et refuge…

Et comme dans La Reine de Pomona (1993), Surf City (1995) ou le Sabot du Diable (2004), le surf est libérateur. Dans Tijuana Straits, il devient même Sauveur, avec un grand S, tant on peut y lire une rédemption finale pour Sam Fahey. Rédemption qui égratigne au passage la géopolitique des lieux : Tijuana Straits, c’est à la fois ce cloaque d’eaux polluées qui tuent les mexicains riverains et ce paradis de surfeurs californiens qui viennent dompter des vagues impressionnantes formées par la houle et l’embouchure de la rivière Tijuana où sévissent les Tijuana Straits, courants violents de la Baie éponyme. Tijuana Straits, c’est aussi ce lieu où périssent noyés des candidats mexicains à l’émigration et à l’American dream…

On ne sort jamais indemne de la lecture d’un roman de Kem Nunn. De celui-ci encore moins. Marqué au fer noir, il obscurcira vos plus belles heures de plages ensoleillées. Il vous laissera un goût amer et salé sur la langue, un goût de rivière polluée et d’océan menaçant et déferlant. Un goût de No Man’s Land également. Et le Mystic Peak hantera vos nuits un bon moment, que vous soyiez surfeur ou non…

Tijuana, crime organisé et mondialisation… : Triple Crossing de Sebastian ROTELLA

rotella-triple-crossingTriple Crossing est un polar thriller situé à quelques encablures seulement de Tijuana Straits. Tijuana, frontière entre le Mexique et les Etats-Unis : des migrants ; des agents de la patrouille frontalière mexicaine ; et un flic mexicain incorruptible, Leobardo Mendez, chef du groupe Diogène. Pas de surf mais une infiltration du milieu narcotrafiquant. Avec l’agent US Valentin Pescatore dans le rôle du jeune policier américain infiltré dans la mafia mexicaine, notamment dans le clan Ruiz Caballero, l’unique clan local qui a « décapité et absorbé les cartels du nord-ouest du pays ». Deux hommes pour une femme, Isabel Puente, agent américaine  en lutte contre les mafias et la corruption et qui va tirer les ficelles entre ces deux hommes. Des méchants et des gentils. De la drogue, des armes, du sang, de la sueur. Mais ne vous fiez pas aux ingrédients de la romance ou du simple thriller. Car ce qui pourrait n’être qu’un simple polar romancé sur l’immigration clandestine et la corruption prend, sous la plume de Sebastian Rotella, la forme et la puissance d’un réquisitoire contre la mondialisation du crime organisé.

Dès le préambule, vous êtes prévenus : Sebastian Rotella, grand reporter spécialiste des questions de terrorisme international et de crime organisé, signe un premier roman fictionnel, certes. Mais tout ce qu’on y trouve est vrai et provient de ses nombreuses années de reportages pour le Los Angeles Times.

Triple Crossing, c’est une plongée vertigineuse et assurée vers  la Triple Frontière : « A l’intersection du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine. C’est un peu le Tijuana de l’Amérique du Sud. Le cœur du plan des Ruiz Caballero ». Elle abrite ce que Rotella appelle les United Nations of Crime, les « Nations unies du crime » : une nouvelle pieuvre qui mélange sans vergogne les cartels sans scrupules aux politiciens costard-cravates situés aux plus hauts échelons de l’état, que ce soit au Mexique, en Amérique du sud mais aussi aux États-Unis. Un pamphlet politique donc. Plus question ici du trafic écolo-luxueux de marijuana évoqué par Don Winslow dans Savages (cf Romans en juillet : polars à la plage du 21 juillet 2011) !

Un texte vivant, miné de dialogues et d’expressions en espagnol volontairement non traduites. On entre avec peine dans les premiers chapitres, tant le tissage de l’intrigue et du background est complexe. Mais on dévore ensuite avidement les 439 pages… Un premier roman explosif pour un auteur dont il faudra surveiller les prochains écrits.

Des 4×4, un passeport et Hamlet… : Trois vautours de Henry TRUJILLO

Trois-Vautours-TrujilloOn ne trouve pas tous les quatre matins des polars uruguayens… Alors quand on en trouve un, on ne le lâche pas ! Henry Trujillo signe là un roman noir minimaliste mais déconcertant.

Tous les ingrédients du roman noir sont réunis dans les Trois vautours : Javier Michel veut quitter l’Uruguay. Pour cela, il va tremper dans une combine illégale de revente de voitures volées. Mais il doit gagner la Bolivie pour revendre son 4×4 volé à Buenos Aires, plus précisément Santa Cruz. Où il se fait voler son passeport par une beauté vénéneuse. Qui est elle-même à la recherche de son frère, alcoolique patenté… Au beau milieu d’eux rôdent une série de personnages escrocs et poisseux, un climat de grève générale et une mini-guerre de succession des narco-trafiquants locaux. Des références à Shakespeare et on peut presque lire ce roman noir comme une pièce de théâtre en quatre actes. Où les gentils restent de grands naïfs et se font avoir par des gentils qui sont en fait des méchants, où les histoires de famille et d’amour fleurent bon l’inceste et le sang versé, où les unités de temps, de lieux et d’action sont proposées en version minimaliste.

Un style dépouillé pour un univers désolé. Des personnages paumés pour un roman vaguement initiatique : “Oui, il y a aussi beaucoup de paumés qui débarquent ici… Mais c’est une autre sorte de paumés. Des gens qui ont perdu leur âme et sont partis à sa recherche. Vous n’êtes pas de ceux-là…”. Un roman court que l’on lit en deux heures à peine, pour un dépaysement assuré : « Tu ne risques pas d’avoir froid. Je vais te laisser ici avec une seule balle dans le crâne ».

Un écrivain qui s’amuse. Avec une jolie épanadiplose narrative (NDLR : L’épanadiplose narrative est une figure de style littéraire qui consiste à reprendre la scène initiale ou un motif initial dans l’incipit du roman et le replacer à la fin de l’intrigue) : « Trois vautours, ça commence avec trois vautours ». Et une brebis morte. Sombre présage assurément… Mais également avec une mise en abyme où le personnage raconte son histoire à un journaliste ou écrivain qui se chargera de la retranscrire. Tel ce vieil homme vendeur de journaux croisé par le personnage principal dans la ville de Güemes : « Il a ri. Il avait le rire cristallin de ceux qui ne cherchent rien à soutirer aux autres hormis trois minutes de leur vie pour se tisser avec eux une nouvelle histoire à raconter à leurs petits enfants ou à leurs amis, au bar le soir. Parce que c’est à ça que ça se résume le temps qui passe, à raconter des histoires. » (p.140)

Un roman à lire à la tombée de la nuit, quand il n’y a plus d’espoir ni de lueurs… Un roman dont il ne faut rien attendre. Sinon un voyage surréaliste dans le monde de la littérature noire uruguayenne.

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Tijuana Straits / Kem NUNN – Ed. Sonatine (janvier 2011) – 21,30 euros / version poche chez 10/18 (mars 2012) – 8,10 euros

Triple Crossing / Sebastian ROTELLA – Ed. Liana Levi (avril 2012) – 22,50 euros

Trois Vautours / Henry TRUJILLO – Ed. Actes Sud (mars 2012) – 19,00 euros

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