C’est par un coup de poing que le festival Mythos version théâtre démarre ce samedi 06 avril 2024. La performance Nous ne sommes plus… de la compagnie russe Théâtre KnaM et de sa metteuse en scène Tatiana Frolova n’aura laissé personne indifférent. Une proposition remarquable sur les ravages de la guerre et de l’exil, sur l’histoire d’une nation violente et meurtrie et d’un peuple sous emprise. Mais avec toute la lumière et l’espoir qu’il faut savoir garder. On vous raconte. 

мир мирy : « la paix dans le monde », traduction proposée par Bleuenn Isambard, traductrice présente sur scène : deux mots que l’on trouvait partout en URSS sur les frontons des bâtiments. Deux mots qui s’affichent en fond de scène sur l’écran noir et devant lesquels les cinq acteurs vêtus de blanc poseront. Mais aujourd’hui en Russie, qui parle de paix est un ennemi.

De la lumière à l’obscurité ou de l’ombre à la clarté : on passe d’un état à l’autre durant toute la performance du théâtre KnaM : les cinq acteurs de cette compagnie exilée racontent leurs zones d’ombre et de lumières. A l’aide de simples lampes torches et d’un dispositif vidéo, ils vont dérouler durant 1h20 leurs vies d’avant, leurs souvenirs, leurs déchirements. Ils vont aussi raconter l’histoire mouvementée de cette mère-terre-Patrie aux plusieurs noms. Celle qui les a vus naître, eux et leurs ancêtres, qui les a affamés, violentés, oppressés, emprisonnés. Et qui les a forcés à s’exiler.

C’est l’histoire d’une vie, de plusieurs vies mais aussi l’histoire de leur théâtre, contraint à la fermeture. Exilés en France au printemps 2022, quand la Russie a envahi l’Ukraine, les acteurs de ce théâtre, fondé en 1985, ont quitté Komsomolsk-sur-L’amour avec une valise de 23 kilos, poids autorisé par les compagnies aériennes. Qui avec un ours en peluche, qui avec un carnet de chansons, qui avec un châle en crochet, qui avec une figurine de Grand-père Gel.

Tour à tour, les acteurs évoquent l’objet-vestige de leur vie d’avant, de leurs familles, de leurs histoires et de l’Histoire de leur pays. Un pays en proie à des respirations chaotiques, un pays irradié par la violence et l’irrépressible besoin de conquérir toujours plus de terres. Un pays sous l’égide du livre noir du communisme diront les acteurs, aux 20 millions de victimes entre 1917 et 1991. Des chiffres qui donnent le vertige, une terre qui se décompose, une liberté qui n’en est plus une et des coeurs qu’on gèle pour pouvoir survivre. Le mythe de la grande Russie se fait exploser de toutes parts : les comédiens tancent cette patrie qui les a emprisonnés et les a empêchés de respirer.

La symbolique est puissante, les témoignages sont fracassants, l’obscurité est totale. Mais humour et lumière sont toujours là, nichés au fond du coeur des comédiens. « Ce sont les autres qui font sens » dira Bleuenn Isambard. C’est « Une histoire d’amour » qui sauvera l’un des comédiens en exil et c’est la voix de Mireille Mathieu qui se met à résonner dans la nef du Vieux St Etienne…

1h20 de souvenirs, d’images, de récits de guerre, d’oppression et de conflits, de valises de 23 kilos éventrées. La scène est un champ de ruines, un spectacle de désolation à l’image de cette Russie exsangue et qui fait couler le sang. Les acteurs explosent le coeur de glace suspendu sur scène et replongent dans la terre-mère refaisant ainsi corps, momentanément, avec leur patrie. Celle qu’ils ont quitté pour retrouver la liberté.

On ne sort pas indemnes de cette performance. Et la standing ovation vient saluer le courage de ces acteurs, leur sincérité et leur dénonciation politique ô combien théâtrale et salutaire. Les yeux rougis, on sort de l’obscurité et de la fraîcheur du Vieux St Etienne pour gagner la chaleur et la lumière. Tout comme nous l’avait demandé Tatiana Frolova au début de la pièce…

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Mythos 2024

En savoir plus sur le Théâtre Knam : www.tatianafrolova.com/knam
Un grand merci à Elodie Le Gall pour le partage des photos : https://www.instagram.com/elodinosaur/
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