Retour sur Mythos 2016 : Condor Live trouble le Cabaret Botanique

Condor Live 1

Condor Live est une création musicale issue d’un extrait du dernier roman de Caryl Férey, Condor. Après Mapuche, il livre un nouveau texte sur le Chili. Une vidéaste, Gabriela et un avocat, Esteban, enquêtent sur la mort de jeunes de Santiago dans le Chili Post-Pinochet. Une enquête qui les emmènera vers les heures sombres du pays, au lendemain de la mort d’Allende. Le texte choisi pour cette lecture musicale est un conte poétique dans le roman : « L’infini Cassé » est un long poème en prose d’une vingtaine de pages, écrit bien avant le polar, mais que Caryl Férey souhaitait insérer dans l’un de ses romans, comme pour mieux casser les codes du genre. Le texte évoque Victor Roja, chanteur et musicien : surnommé le Colosse aux mains cassés (les militaires lui ont brisé les doigts avant de le fusiller dans le stade de Santiago), il erre dans le Chili apocalyptique sous la dictature de Pinochet, accompagné de sa jeune compagne Catalina.

Leur histoire est une fuite : « Ils errèrent par la terre désolée, avançaient au hasard, comme si les mines avaient troué leurs pas ». Un texte fort, sombre, difficilement imaginable sous la forme d’une lecture musicale. En préambule de cette performance, l’auteur s’adresse aux spectateurs en leur demandant de lâcher prise et de se laisser embarquer par les mots. Puis il présente les trois musiciens, qu’il a accompagné lors d’une résidence de 5 jours au Florida à Agen fin mars. Et le choix de ce trio n’est pas le fait du hasard puisqu’ils ont déjà jeté des passerelles avec le théâtre : Bertrand Cantat avec Wadji Mouawad, Emmanuel Léonard (Manusound) avec Rodrigo Garcia et Marc Sens avec François Verret.

Condor Live 2

D’entrée, on est saisit par les nappes inquiétantes de Manusound, le lancinant son de guitare jouée avec un archet par Marc Sens, et la diction si particulière de Bertrand Cantat. On se laisse rapidement happer par le flot des mots, dont le rythme s’accélère brusquement lorsque les fuyards sont poursuivis par la junte chilienne. Un texte lourd de sens, glaçant, serpentant entre les charniers, et qui impose un silence assourdissant sous le Cabaret Botanique. Même les moments de répit sont pesants, comme lorsque Catalina et son Colosse font l’amour dans une clairière. Cantat susurre les mots, les martèle, les crie et parfois les chante. Au milieu de la performance, un frisson parcours le public lorsque le chanteur souffle le texte au moment même où le vent glisse sur la toile du chapiteau. On est parfois perdu lorsque le poème évoque les dérives du néolibéralisme, mais on est rapidement repris par la course haletante de Victor et Catalina.

L’un des moments forts de cette lecture musicale se produit dans cette clairière. Tapis dans l’herbe, les deux amoureux voient « une véritable horde, qui très vite envahit la clairière (…) De leur passage, il ne restait plus qu’un sillon de terre brûlée, des manières de bisons » (Caryl Férey est fasciné par les peuples autochtones et notamment les indiens d’Amérique du Nord). Bertrand Cantat se lance alors dans un chant tribal, se martelant la poitrine, pendant que Marc Sens frappe les micros de sa guitare, en parfaite harmonie avec la rythmique sourde des machines de Manusound. On sort éreinté de cette performance, un peu hagard, mais immensément reconnaissant aux quatre complices de nous avoir fait vivre un instant si troublant en ouverture du festival. Les trois musiciens reviennent saluer le public debout, entourant l’écrivain, ému. On quitte le chapiteau avec une furieuse envie de lire Condor, et de redécouvrir ce poème intemporel niché au creux du roman.

Photos : Yann

Caryl Férey sera en dédicaces à la librairie Critic ce samedi 16 avril de 17h30 à 19h.

Chronique de Condor par Fix, à lire ici.

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Mythos-logo_2016Festival Mythos (15-24 avril 2015)

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