Un techno-thriller qui se déroule en Antarctique, un roman noir en Amérique du Sud et un autre du côté de la Normandie. C’est la sélection du trimestre.
Point Zéro – Antoine Tracqui
Une date indéterminée. Un type saute en parachute d’un avion. Il veut faire croire à sa disparition.
Italie, 1938. Ettore Majorana tente l’exfiltration. La police de Mussolini veut l’intercepter. Les travaux du scientifique intéressent les nazis.
Février 2018. Poppy Borghese travaille pour la K2, une multinationale. On l’a chargé de récupérer Caleb McKay, ancien SAS. Le patron a besoin de lui pour une expédition en Antarctique. Sur le continent gelé, un mystérieux bâtiment vient d’apparaître sur les photos satellites. Les Russes se préparent aussi.
Des équipes de super-balèzes (en tir, langues, explosif, survie …), avec des membres en dehors de la normalité. De la très haute technologie fournie par le type le plus riche du monde. Beaucoup de détails techniques, historiques, scientifiques. Un affrontement qui se prépare longuement : 1/3 du roman avant les premiers combats. Des rêves, des trahisons, des menaces, des mystères. En près de 1150 pages, Antoine Tracqui n’ennuie jamais. Il met en place, fait flipper. De quoi anticiper assez pour vouloir continuellement tourner les pages.
On avait loupé ce titre quand il était sorti chez Critic. Maintenant, il n’est peut-être pas nécessaire d’attendre sa sortie en poche pour se jeter sur la suite : Mausolée. Même sans les surprises du premier tome, l’écriture du médecin légiste (le premier boulot de Tracqui), si elle est aussi affûtée que dans Point Zéro, vaut largement le temps de lecture.
Condor – Caryl Ferey
Gabriela est mapuche, et vidéaste. Elle vit chez Stefano, c’est-à-dire dans le cinéma qu’il a repris quand il est revenu de France, vingt ans après le coup d’état de Pinochet, le 11 septembre 1973.
Leur ami Cristian dirige une télé communautaire. C’est son fils, Enrique, qui est retrouvé mort. D’overdose semble-t-il. C’est arrivé à trois autres jeunes dans le quartier en quelques jours.
Gabriela cherche un avocat pour représenter leurs familles. Elle tombe sur Esteban Roz-Tagle, avocat des causes perdues, fils de riche, et écrivain pour personne.
C’est le cinquième roman de Caryl Férey dans la Série Noire. Après la Nouvelle-Zélande (Utu, 2005), l’Afrique du Sud (Zulu, 2008, adapté au cinéma en 2013) et l’Argentine (Mapuche, 2012), le gars de Monfort-sur-Meu raconte le Chili, à sa manière : historique, politique, violente et désespérée. Il faut dire que les endroits qu’il choisit ont de la matière.
L’opération Condor consistait à éliminer les opposants des dictatures sud-américaines. Les assassinats ont eu lieu non seulement sur le sous-continent latin mais aussi en Europe et aux États-Unis. Les victimes ont disparu, certaines ont été balancées par avion dans la mer, vivantes.
Mais il ne suffit pas d’avoir du fond pour faire des bons romans. Férey en fait d’excellents en plaçant ses personnages en équilibre, parfois en les faisant tomber. Beau spécimen que cet avocat poète qui permet à l’auteur de se lâcher. On connaissait cette écriture :
« L’écrivain échappe rarement aux clichés. Si Esteban s’était regardé dans une glace, il aurait croisé un visage ravagé par le manque de sommeil, ses pupilles dilatées ne distinguant plus le jour de la nuit, une chimie de chien ou de fauve aux abois pourvu qu’il y ait la chasse, celle qu’il menait contre les formes d’un bonheur général réservé aux particuliers. »
On ne savait pas ses envies d’exploser les cadres, comme dans les pages du manuscrit du fracassé.
Férey vieillit. Il parle d’adultère, de séparation. Il cite plus de films que de groupes de rock, dit de mieux en mieux l’amour, et personne cette fois n’est mangé. Il paraît que l’accouchement de Condor a été difficile. Tant mieux. Caryl vieillit très bien.
Ce qu’il nous faut, c’est un mort – Hervé Commère
12 juillet 98. Jour de finale de Coupe du monde. Marie Damrémont est violée chez elle par un collègue. William rencontre celle qui va devenir sa femme. Mélie vient au monde. Vincent, Patrick et Maxime roulent en 205. Et écrasent Fanny.
18 ans plus tard, ils sont tous à Vrainville, Normandie. La (petite) ville des Ateliers Cybelle, créés par Gaston Lecourt après la Grande Guerre. En 2016, c’est son petit-fils qui dirige l’entreprise. Il veut vendre, il doit se débarrasser du Comité d’Entreprise.
Dans « Ce qu’il nous faut c’est un mort », le crime qu’un flic doit élucider n’arrive qu’à la moitié du livre. Car le propos ici, c’est de raconter les gens. La fierté de fabriquer un produit d’une telle qualité. Les souvenirs de la création, qu’on célèbre tous les ans au café du village. Les marins au chômage. Les primes qui baissent. L’atelier de découpe qui est transféré en Tunisie. On pense à François Ruffin.
Hervé Commère dit ce qu’il se passe entre nous. Il y a ces dialogues qui indiquent une direction (rancune, violence, mépris…), contredite par le narrateur : on énonce, on constate, on s’aime. On culpabilise, on apprend à se connaître, on fait des choix.
Le Normand écrit au futur. Il trace les trajectoires. Les vies défilent. Des vies d’ici. De maintenant.
Caryl Férey sera en dédicaces à la librairie Critic le samedi 16 avril de 17h30 à 19h.
Et le vendredi 15, dans le cadre de Mythos, une création à partir de Condor aura lieu au Cabaret Botanique.