[2019] Des bouq’1 sous le sap1 #22 – Petit Lapin Rouge, Rascal

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Pour ce 22ème jour, un merveilleux album pour les minots aux illustrations douces et au texte passionnant qui conduiront le.la petit.e. (et le.la grand.e) lecteur.rice à en reparcourir les pages avec une gourmandise aussi joyeusement inquiète que délicieusement jubilatoire. Toute ressemblance…

Bon autant dire que Petit Lapin Rouge n’est pas tout jeune puisqu’il est paru en 1994 chez Pastel, la griffe belge de l’école des loisirs, mais le plaisir qu’on prend à le faire découvrir aux bambins et eux à le lire et le relire les yeux écarquillés nous conduisent à vous le conseiller ardemment. Il faut voir le sourcil perplexe en accent circonflexe lors des premières lectures sur le visage des minots, l’interrogation un poil stupéfaite, puis le plaisir gourmand de se sentir de connivence avec l’auteur, de s’amuser, même à huit ans, de l’intertextualité et des jeux de miroir en trompe l’œil composés la plume hilare par ce coquin de Rascal. L’histoire de ce Petit Lapin Rouge ressemblant à s’y méprendre à celle du célèbre chaperon de la même couleur. Du moins, c’est ce que souhaite faire croire le facétieux Rascal.

Premier coup de cœur, pour les kids, les illustrations de Claude K. Dubois, qui jouent sur un classicisme revisité parfaitement raccord avec ce conte détourné, tant les dessins de ce lapinou sont craquants et à croquer (hum). Quant à la forêt : pas de crainte de cauchemar, toute en herbes folles, fleurs et branches accueillantes, elle est immensément lumineuse et devrait rassurer même les plus jeunes. Pour les zouzous, c’est bien sûr mieux de connaître le conte du Petit Chaperon Rouge version Perrault (celle qui finit mal -et que Rascal a d’ailleurs incroyablement pixellisée aux éditions Pastel : sans aucune parole, il transcrit l’épouvantable de l’histoire) ou version Grimm (celle qui finit bien) pour encore davantage profiter de l’histoire de ce petit lapin. On peut faire sans. Mais ce serait priver nos petit.e.s lecteur.rice.s du plaisir du jeu avec le conte initial qui les ravit souvent jusqu’aux oreilles.

Petit Lapin Rouge est né blanc comme bien d’autres petits lapins. Oui, mais voilà, un jour, en lapin-sitting chez sa grand-mère, il tombe dans un pot de peinture rouge, et depuis, malgré les nettoyages intempestifs et récurrents (sans jeu de mots), il se promène l’oreille écarlate. La frimousse totalement craquante, il écoute distraitement les recommandations de sa maman avant de partir porter une botte de jeunes carottes à sa grand-mère qui a, on vous le donne en mille, la grippe. Ah ah, rigolent les minots, c’est comme le chaperon, hilares de voir remplacer la galette par les carottes, le loup par les chasseurs et mère-grand par grand-mère. Oui mais voilà, en chemin, notre lapin rencontre… le Petit Chaperon Rouge en personne (annoncé comme une tache rouge dans le lointain, les amateurs de contes sanglants apprécieront). Notre lapin n’en revient bien sûr pas une seconde. Oui, il a son livre au terrier. Mais il ne savait pas qu’elle existait en vrai.

Or le blond chaperon a l’air complètement ignorant de son histoire, surprise qu’est l’enfant d’être en même temps vivante et personnage de livre. Et d’un livre connu en plus. Même par nos minots qui ont le plaisir de partager avec le petit lapin d’en savoir plus que le personnage sur lui-même. Et le lapinou, bien perplexe, d’expliquer que dans le livre, ce n’est pas un lapin qu’elle rencontre (premier trompe l’œil) mais un loup. Et d’essayer de dire le plus délicatement possible à la petite fille que son histoire (il doit avoir la version initiale de Perrault) finit épouvantablement mal. Mais aux petit.e.s lecteur.rice.s alors d’interpréter l’image, puisque rien dans le texte ne dit la fin du chaperon. Seule l’illustration montre un loup repu  se léchant les babines, un chausson rouge et un panier renversé à côté de lui. Les zouzous qui préfèreront ne pas comprendre l’issue fatale auront le choix de décrypter ou non l’image et de s’en tenir là où ils se sentent à l’aise.

La chaperon affolé se dit qu’elle aurait dû écouter les conseils de sa maman et ne pas parler aux inconnus. « Tu n’as rien à craindre, Chaperon, Petit Lapin Rouge est avec toi… » la rassure la boule de poils écarlate, qui pour le coup en est un, d’inconnu. La petite fille n’en revient pas. Petit Lapin Rouge, le vrai ? Celui dont elle a le livre à la maison ? Et les petit.e.s lecteur.rice.s de réfléchir à toute berzingue pour savoir si eux aussi connaissent le livre de Petit Lapin Rouge qui commence bizarrement comme celui qu’ils ont dans les mains. Et la mise en abyme de commencer à les faire froncer l’œil. Le livre dont parle le chaperon est-il un livre qui existe vraiment ? Est-ce que c’est celui qu’ils sont en train de lire ? Mais les fins diffèrent. Car cette histoire, avance délicatement le chaperon finit elle aussi très mal (là encore l’issue fatale n’est qu’abordée par l’illustration). Et nos personnages de tenter de trouver un moyen de renverser le cours de leurs histoires et nos petit.e.s lecteur.rice.s de s’amuser de tous ces trompe-l’œil. On vous laisse le plaisir de la fin. Sachant que l’absence de ponctuation la laisse… ouverte. Au choix horrible ou paisible. A chacun.e, une nouvelle fois de choisir ce qu’il.elle souhaite en comprendre et où il/elle souhaite s’en tenir, selon sa sensibilité. Ou d’en jouer, de s’en amuser, car les contes sont faits pour ça.

Comme Catherine Tauveron, on aime que les livres que l’on propose aux minots soient un tant soit peu résistants. Et que soudain, au détour d’une phrase, d’une illustration, les yeux s’écarquillent d’étonnement. Et du plaisir d’avoir compris quelque chose qui leur avait échappé. Être lecteur.rice., c’est se laisser surprendre. C’est devenir acteur.rice de sa lecture. C’est jouer avec l’auteur des surprises dont il a jalonné son texte et les illustrations à notre intention. Avec ce vieil album, Rascal -comme toujours, c’est merveilleusement habituel avec lui- revendique l’intelligence et la finesse de ses lecteurs loupiots et on ne peut que l’en remercier. Bravo.


Petit Lapin Rouge de Rascal, illustré par Claude K. Dubois, Pastel, L’école des loisirs (1994) en petit format chez Lutins Poche à l’Ecole des Loisirs.


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