Un bon écrivain est un écrivain mort : un pastiche des Dix Petits Nègres

Dix écrivains très en vue rejouent Les Dix Petits Nègres. Voici Un bon écrivain est un écrivain mort par Guillaume Chérel…

Mirobole Editions publie des auteurs encore peu connus, et quelques plumes étrangères comme Marek Hłasko (1934-1969), écrivain polonais au destin brûlé, devenu une légende. Pas de Delphine Végane ni de Christine Ego, et encore moins de Frédéric Belvédère, ces dix écrivains très en vue qui vont devenir les personnages de ce polar décalé.

Ce pastiche des Dix petits nègres est à rapprocher du concentré de Best-Sellers de Pascal Fioretto : on y retrouve nos dix petits nègres dans d’autres pastiches, pastiches des styles et des lubies d’écrivains.

Guillaume Cherel a la dent dure avec ceux qui tiennent le haut du pavé littéraire et le ridicule de leurs crimes est à la hauteur de leur réputation. Jean de Moisson se voit accusé de brassage d’air et Michel Ousbek de paresse, alors que Amélie Latombe est accusée de cupidité mais pas de manque de talent.
Du talent, il en faut pour tenir 243 pages à proférer des propos caustiques sur de pauvres bougres en mal de notoriété, car Guillaume Cherel comme Pascal Fioretto font honneur aux heureux élus :  comme une belle marque de reconnaissance, ils les soignent.

Le livre est dédié notamment à Jean-Claude Izzo, et son immense et discret talent, comme une provocation. Car Cherel nous plonge dans le très people, avec une causticité joyeuse qui nous a dépoussiéré l’esprit quelques heures.

Un débat littéraire doit avoir lieu dans un ancien monastère des Alpes-Maritimes avec dix écrivains très médiatiques qui ont reçu un courrier anonyme les y conviant. Le bal s’ouvre avec un Frédéric Belvédère entre deux rails, et sur la voie du tortillard du « train des merveilles » qui mène à Saorge et son monastère. Il médite déjà sur « Et si les islamistes avaient raison » après son coup d’éclat « touche pas à ma pute » (son objectif étant atteint, faire parler de lui !). Dans le compartiment de tête, Amélie Latombe sirote du champagne, relisant l’invitation « une surprise qui devrait vous donner envie de manger votre chapeau » … Troublant (« C’est… que, je me sens toute nue sans lui ! »). Mais c’est la faune excentrique du village qui intrigue Amélie, « ses spécimens aussi hauts perchés » , « des joyeux babas punk, anarcos libertaires, tendance Béruriers Noirs, ou italiens recyclés » , bref un village Nuit debout, jamais couché. « Elle avait besoin de s’éclater, à défaut, elle éclaterait la tête de cette Christine Légo. »

L’intrigue est connue, mais ce sont les descriptions décalées, acides et absurdes qui donnent tout son piment à ce livre à l’humour noir, qui fait un bien fou. Comme l’acupuncture : piquer là où ça fait mal. On ne vous dévoilera pas sur quels auteurs notre fantaisie du moment s’est délectée. Mais on vous rassure : Amélie est toujours envoûtée.

Oscar Wilde et son neveu Cravan sont appelés à se venger de l’affront subit par Oscar Wilde. Cette voix d’outre-tombe n’est pas celle d’Amélie. Trop tard la messe est dite ! L’agonie de Yann Moite est toute symbolique, mort étouffé par les mots et retrouvé sous un amoncellement de livres. Il était pourtant sur la voie du repentir.

Le titre du livre de Guillaume Chérel, Un bon écrivain est un écrivain mort, la mort de Yann Moite le met de facto au rang des meilleurs. Par contre Pierre-Emmanuel a fait pschitt, ce qui a dû l’ulcérer. Mais toujours plus rapide que son ombre, et s’inspirant du désastre de Saorge, il démoule déjà sa toute nouvelle pièce.

« Mon roman n’est pas toujours bien jointé, mais Baudelaire aurait apprécié » : cette remarque d’autosatisfaction d’Emmanuel Carrère dans Le Royaume lui a sans doute coûté sa place parmi les dix petits nègres.

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Un bon écrivain est un écrivain mort de Guillaume Chérel (Mirobole Editions)

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