Tous les chevaux du roi – Michèle Bernstein

Quand on est tombé sur le livre, « Tous les chevaux du roi », le nom de l’auteur nous a littéralement sauté au visage. En effet, on venait de trouver le premier roman de Michèle Bernstein, qui était la femme du plus radical penseur de la fin du siècle dernier, Guy Debord. On connaissait un peu la genèse de ce roman que Michèle Bernstein résume en introduction. A la fin des années 50, elle travaillait comme larbin, du Lumpen-sécrétariat selon ses propres mots dans une maison d’édition renommée. Une grande partie de son travail consistait, en plus de faire et servir le café, à lire en quantité des romans d’amourettes. Les finances du couple n’étant pas vraiment au beau fixe, on rappelle que Guy Debord ne se serait jamais abaissé à travailler, il fallait vite trouver de quoi mettre un peu de beurre dans les épinards.

L’idée fut donc, d’écrire un roman qui emprunterait tous les tics du style à la mode (comprendre à la Sagan) et faire une version moderne du roman libertin, Les liaisons dangereuses de Laclos. Le roman était donc un gag qui pouvait ramener un peu d’argent pour permettre de sortir les futurs numéros de « L’internationale situationniste » qui eux, se vendaient à peine et qui étaient le plus souvent offerts aux (bonnes) personnes.

Le roman se déroule en 3 temps. Lors du premier temps, on découvre les 2 principaux protagonistes, Geneviève et Gilles, couple libre vivant à Paris et à la seule écoute de leurs plaisirs. Comme dans le roman de Laclos, ils chassent en duo et séduisent la jolie Carole. Puis vient les vacances, le deuxième temps, où le jeu prédomine, et où le couple se joue de sa proie. Enfin de retour à Paris, vient le temps de la conclusion où le couple se retrouve.

Rétrospectivement, il est impossible de ne pas transposer le couple de Geneviève et de Gilles sous les traits de Michèle Bernstein et de Guy Debord. Loin d’être uniquement une blague de potache, le roman donne une illustration grandeur nature d’un certain nombre de thèses qui seront développées ultérieurement dans l’IS. On passe rapidement sur l’amour libre qui est une évidence. Le jeu est omniprésent aussi, sous de multiples formes, car tout ce qui est vécu est directement amené sous l’angle ludique. On rappelle pour les néophytes que c’est le contenu de la première thèse de « La société du spectacle » : « Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. ». Le principe de la dérive est aussi appliqué à de multiples reprises, avec en autres les déambulations qui mènent les protagonistes de bars en bars.

Le travail, lui est quasi inexistant, tout comme l’argent. De temps en temps Michèle Bernstein, ou plutôt, Geneviève doit aller travailler dans un boulot sans intérêt, mais elle peut s’excuser quand bon lui semble et a des vacances à rendre jaloux un étudiant de fac. Gilles, lui s’occupe de réification (concept qui sera repris sur un tract de l’Internationale Situationniste) :
« – De quoi t’occupes tu exactement ?
– De la réification.
– Je vois, c’est un travail très sérieux avec de gros livres et beaucoup de papiers sur une grande table.
– Non, je me promène principalement. Je me promène ».

Au delà du rejet du travail, souvenez vous du « Ne travaillez jamais ! » de Debord, il y a d’abord un rejet du monde adulte, sérieux celui-là même qui oppose le jeu au travail. Geneviève et Gilles vivent dans un genre de Neverland, le pays imaginaire de JM Barrie. On pourrait presque voir le roman comme un conte … Ou une tragédie si on se place du point de vue de ceux qui approchent le couple.

Une tragédie comme la fin de l’Internationale Situationniste, ou tout le monde où presque fut débarqué après la gueule de bois de 68. Car en substance tout est dit. Gilles (Guy Debord) se lasse et puis jette l’objet du désir sous les raisons les plus futiles. Il n’était peut être pas la peine de se taper la lecture de « La véritable scission de l’internationale situationniste » écrite quasi exclusivement par Debord, car en résumé, il suffisait de relire ce petit ouvrage de moins de 100 pages pour avoir un éclairage neuf sur la fin de l’Internationale Situationniste.

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Tous les chevaux du roi – Michèle Bernstein – Edition Allia – ISBN: 2-84485-166-5
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Liens
Le site des éditions Allia

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