The Patriotic Sunday (le side-project d’Eric Pasquereau de Papier Tigre) revient à Rennes ce samedi 26 septembre pour une super soirée concoctée avec finesse (et diablerie) par l’essentiel Jean-Louis de Musiq’Alambic. Ce sera dans le cadre du chouette festival de la micro-édition manufacturée et indépendante Le Marché Noir (présenté(e) ici il y a quelques jours par l’imparable Mr B) au Jardin Moderne. Accompagnant la sortie d’All I Can’t forget (le 22 septembre, toujours chez Murailles Music), la prestation du Nantais et de ses formidables acolytes devrait très certainement esbaudir les oreilles d’un public tout aussi amateur d’artisanat musical de qualité passé sous le manteau. On avait eu la chance de rencontrer Eric Pasquereau à l’occasion de la sortie de son troisième album (le précédent donc) pour un entretien passionnant. On ne résiste pas au plaisir de le partager à nouveau avec vous.
D’aucuns sont venus à The Patriotic Sunday comme nous, par le biais de Papier Tigre, l’excellent groupe nantais d’obédience math-rock à l’énergie Fugazienne. Eric Pasquereau, le chanteur-guitariste de Papier Tigre, est en effet à l’origine de ce side-project créé pour satisfaire ses aspirations plus mélancoliques, personnelles et pop. Un premier album aux influences mêlées d’indie rock, d’accords jazz et de rythmiques inspirées de la bossa nova voit ainsi le jour en 2005, Lay Your Soul Bare. Mais c’est surtout son second opus, paru quatre ans plus tard, qui fera beaucoup parler du second projet d’Eric Pasquereau. Avec Characters (2009), le Nantais surprend tout le monde et fait un second disque qui n’a pas grand chose à voir avec le premier, si ce n’est peut-être, ces changements de rythmes à l’intérieur d’un même morceau, ces suspensions qui donnent à ses chansons un deuxième, voire un troisième souffle. Car si la musique d’Eric Pasquereau est facile d’accès au premier abord, elle se déguste comme un millefeuilles, en savourant progressivement chacune de ces strates, souvent inédites lors des premières écoutes.
Characters mêle l’évidence des pop songs des sixties et leurs arrangements de cordes, à la pop alambiquée pleine de tiroirs des meilleurs albums de W.H.Y ? Belles critiques, single plébiscité sur le web (l’imparable Jonas) accompagnent alors la sortie de Characters. Pourtant, pour le troisième album qui va suivre, au lieu une nouvelle fois de creuser le sillon du succès public de Characters, Eric Pasquereau lorgne vers des terres encore bien différentes. Pour ce troisième ouvrage, le musicien s’est adjoint les services d’un de nos trios préférés, entendez La Terre Tremble !!! (retrouvez nos interviews de La Terre Tremble !!! ici et là), autres experts des suspensions et des chansons aux mille directions. Le groupe est lui aussi spécialiste de ces carrefours inattendus qui font bifurquer les morceaux, parfois en épingle à cheveux, parfois sur une courbe toute en douceur. Le trio tricote (mais aussi détricote) des mélodies qui vous agrippent l’oreille en quelques répétitions pour vous emmener après quelques mesures sur des rivages insoupçonnés et in-ouïs. On n’était donc qu’à moitié étonné de retrouver ces trois-là avec Eric Pasquereau (leur compagnon sur Effervescence), tant les quatre musiciens semblent avoir des accointances avec une musique exigeante et bourrée de nuances et virages.
C’est toujours avec ces beaux complices (et Léo Prud’homme de Fat Supper en guest de luxe au piano hanté) qu’Eric Pasquereau a enregistré All I Can’t Forget, son quatrième disque sous le patronyme de The Patriotic Sunday. L’album explore cette fois une pop intimiste et doucement retorse où les harmonies vocales ont une place prépondérante. A la première écoute, on est soufflé par la beauté de perles solaires comme A Life Pursuit ou Full moon, mais petit à petit on comprend que le monsieur n’a rien perdu de son art de subtilement poser des pièges, électrifier les ambiances ou poser de délicats décalages dans ses compos pour leur éviter de se perdre dans les sentiers rebattus. Le plaisir n’en est que redoublé. Un des grands disques de cette rentrée assurément et il ne faudra donc louper sous aucun prétexte la chance de découvrir ces merveilles sur scène.
Juste avant ça, retour sur une (chouette) rencontre.
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Alter1fo : Si tu devais présenter The Patriotic Sunday en quelques mots, que dirais-tu?
Eric Pasquereau de The Patriotic Sunday : Patriotic Sunday, c’est un projet que j’ai monté quand j’avais 11-12 ans. Quand j’ai eu ma première guitare, j’ai commencé à écrire des chansons. Je m’enregistrais sur un petit radio-cassette et en fait, tous les dimanches, je faisais un album en entier ! C’est-à-dire qu’on avait des cassettes de 90, donc je faisais toute une face de 45 minutes.
Le nom, ça vient d’une photo que mes parents avait prise et dont j’avais fait une petite jaquette. Il y avait un festival d’artistes solo. Un gars a annulé et c’est Pierre-Antoine, le batteur de Papier Tigre, qui a dit : « Mais Eric, il joue tout seul depuis des années, tu n’as qu’à lui demander !» Un peu comme un casse-cou, je me suis dit : « ouais, je vais le faire ! » Donc j’ai fait mon premier concert.
Papier Tigre existait déjà ?
Non, non… On jouait dans un autre groupe ensemble avec Pierrot. Mais bon, c’était un proto Papier Tigre puisqu’il y avait déjà Arthur qui joue dans Papier Tigre.
En gros, le projet, c’est moi qui écris des morceaux. Après, je suis plus ou moins entouré de personnes. Mais à la base, j’écris les chansons et après, on les arrange en fonction des envies.
Cette fois-ci tu as travaillé avec La Terre Tremble !!! qu’on connaît bien par ici. Comment s’est passée la rencontre ? Pourquoi as-tu choisi de travailler avec eux ?
On s’est rencontré sur une tournée de Papier Tigre, avant leur disque Travail, peut-être il y a quatre ou cinq ans. On avait passé une soirée ensemble. Ils avaient un day off. Ils restaient dans l’endroit dans lequel on jouait. C’était à Toulouse. On avait sympathisé. Après on s’est recroisé plusieurs fois. On est devenu copains. Ils ont fini par signer sur Effervescence, notre label de l’époque. On avait plein de références musicales communes. Et puis j’aime beaucoup leur groupe. Et voilà, j’avais envie de bosser avec eux.
Ça s’est fait très naturellement. On n’a pas passé beaucoup de temps à faire le dernier disque. On a dû tout faire en un mois, avec l’enregistrement. C’était comme des vacances. Bon, c’est assez sérieux quand même (rires). Mais on se faisait vraiment plaisir. Et c’était un peu ça le but !
Justement, comment ça s’est passé l’enregistrement ? J’ai lu que vous étiez dans la maison de tes parents, au départ. C’était juste pour composer ?
En fait, on s’est dit : « on va essayer pendant quatre jours. » J’avais préparé quatre morceaux en me disant : « on aura suffisamment de matière pour bosser »… Et puis finalement, c’est allé tellement vite qu’au bout d’un moment, j’ai dû prendre des morceaux qui n’étaient pas tout à fait finis pour qu’on continue à bosser. On avait ces sept morceaux-là au bout de la première session. On s’est dit : « c’est bon, c’est parti, il faut qu’on en fasse d’autres ! » On a enregistré dans la foulée. Et on a fait des concerts après.
C’était un choix au départ de rester avec le même groupe pour faire les concerts ?
C’était surtout beaucoup plus simple (rires).
Vu qu’ils avaient composé leurs parties, autant qu’ils les jouent ! Et puis, il y avait aussi l’idée qu’on avait fait le disque et qu’on voulait proposer autre chose sur scène. Peut-être un truc un peu plus énergique. Enfin en tout cas avec des atmosphères un peu différentes.
Comment est-ce que tu composes ? Parce que là, c’est un projet solo… Comment ça se passe ?
En gros, je prends ma guitare, je fais quelques morceaux. Enfin je joue quelques accords, je chantonne et puis je fais un truc… (rires)
Mais du coup comment ça se passe pour les arrangements : vous êtes tous ensemble et vous travaillez tous dessus ou ce sont eux qui arrivent en te disant : « voilà on a pensé à ça » ?
En fait, j’aime bien leur jouer juste une partie du morceau. Ils improvisent dessus et on pose une atmosphère. Après j’arrête quand je trouve ça bien. On en parle beaucoup. Je ne suis pas très directif. Ils apportent pas mal leurs idées et on en parle ensemble… Sur ce qui serait mieux, sur l’interprétation… C’est un processus assez libre en fait. J’ai la structure du morceau. A partir de là, on change et en fonction des harmonies qu’ils trouvent, etc. De mon côté, j’ai toujours les textes et la base harmonique du morceau (c’est-à-dire les accords, les enchaînements).
Ah oui, oui, tout le temps. C’est un peu l’intérêt de travailler avec des gens. Si tu n’es pas trop surpris du résultat, en général, tu rentres chez toi et tu es un peu déçu. Parce que tu te fais toujours une petite idée de « ah, si je le fais avec ces gens-là ça ressemblera à ça » et en fait non… C’est ça qui est marrant. C’était pareil quand j’avais bossé avec Carla [Pallone de Mansfield.TYA] sur le premier disque. Je savais qu’elle était capable de faire plein de choses. Et ça ne ressemblait pas du tout au truc auquel je m’attendais. Et c’était quand même très bien !
Je pense que c’est un peu ça, l’intérêt de collaborer avec des gens, c’est vraiment d’avoir ce rapport-là, de découverte. Et puis quand ce ne sont pas des gens avec qui tu fais de la musique souvent, il n’y a pas trop de routine. Il y a toujours ce truc neuf qui me plaît beaucoup. C’est un peu pour ça que j’aime bien collaborer avec des gens.
Avec des gens en plus différents selon les albums…
Je ne sais pas. C’est un peu des rencontres, des envies, etc. Là, je referai bien un truc tout seul… Et en même temps, on a fait de nouveaux trucs avec les gars de La Terre Tremble !!! et c’était cool aussi. Donc c’est un peu flou.
Et puis j’aime bien me servir de ce projet-là comme un défouloir, un truc où tu t’amuses. Après, c’est très compliqué pour les gens de s’y retrouver réellement parce qu’il y a plein de personnes qui viennent voir le concert et qui disent : « je préfère quand tu es tout seul », ou « je préfère quand tu es avec eux » ou « je préfère quand tu es avec un tel ». Après, tu ne peux pas faire des concerts à la carte non plus, avec 16 musiciens ! Mais, comme il n’y a pas énormément d’enjeu, à part le fait de se faire plaisir, autant en profiter.
Ta musique fonctionne un peu comme des « disques à tiroirs », il y a plein de trucs dedans. Et La Terre Tremble !!! c’est aussi « plus on a des idées, plus on en met dans les morceaux »…
Mouais.
Non, tu n’es pas d’accord ?
Si… Après c’est vrai que sur le dernier album, il y a beaucoup de trucs qui sont à La Terre Tremble !!! Mais même sur l’album précédent, Characters où je n’ai pas du tout travaillé avec les gars de La Terre Tremble !!!, il y a toujours eu un ce côté « écriture à tiroirs ».
Je pense que, je ne sais pas, ce sont des références communes. On veut systématiquement casser un peu les chansons. On aime bien les surprises, en fait, dans les chansons. Donc on essaie de vraiment se rattacher à ça. Et c’est peut être ça qui donne le côté « tiroirs ».
C’est assez compliqué de parler de sa propre musique, pour être honnête. En général, tu as plutôt tendance à la faire et te dire : « bon, ça me plait / ça ne me plait pas ». Et ensuite, si ça ressemble à ça, ou si c’est plus complexe ou facile… Hum… C’est un peu dur parce que des morceaux très faciles à écouter et très simples dans leur construction peuvent être très très durs à réaliser et inversement.
Quand tu composes, tu te dis : ça, ça va être pour Papier Tigre / ça, ça va être pour Patriotic Sunday ?
Non, parce qu’en fait, pour Papier Tigre, ce n’est pas que je compose rien, mais c’est qu’on ne prépare rien à l’avance. C’est-à-dire qu’on arrive, on se met dans un local. Personne ne sait ce qu’on va jouer. Et à partir d’improvisations, on crée les morceaux. Donc il y a une certaine méthode qui revient puisque j’ai l’habitude de créer comme ça, même tout seul. Mais ce n’est pas du tout la même chose puisqu’on fait un peu l’arrangement, la composition, tout en même temps. C’est vraiment un projet à trois un peu à part. Et je pense que ce serait difficile pour moi de jouer un morceau chez moi en me disant : « tiens, on va s’en servir pour Papier Tigre ».
D’ailleurs, ce n’est arrivé qu’une seule fois. C’est le morceau que je jouais le matin même. Après on a été répéter. Je rejouais le truc comme ça… Si je te fais écouter le pauvre extrait que j’avais enregistré et ce qu’on en a fait avec Papier Tigre, c’est vraiment le jour et la nuit ! Et encore il y a des parties qui ne sont même pas dedans. Ce serait très dur de faire le lien entre les deux. Peut être même, si ça se trouve, les gars, ils ne s’en rendraient même pas compte. (rires)
Sur le dernier album, les chœurs, et notamment les chœurs féminins, nous ont beaucoup plu. Pourquoi cette envie ? Comment ça s’est passé ?
Au moment où on enregistrait le disque, Paul, le batteur de La Terre Tremble !!! avait écrit pas mal de chœurs. Cette idée d’avoir pas mal de chants nous plaisait bien. Au bout d’un moment, on s’est dit : « oui, mais avec nos timbres de voix, ça va être un peu redondant… Il faudrait qu’on ait des filles ». Et ça tombe bien parce qu’on a des bonnes copines qui chantent !
Et quelles chanteuses !
On a demandé à Astrid, qui est dans Mermonte et puis à Caroline, qui est une copine de Nantes qui jouait avec French Cowboy, qui fait aussi des trucs de chorale, etc. Comme c’était deux copines, je leur ai demandé. Ça les branchait. Et c’était chouette ! On a bien rigolé à le faire.
Le résultat est top, en plus
On savait aussi que c’était de bonnes chanteuses, donc on les poussait un peu ! « Va-s-y ! Tente ça » (rires) Non, c’était cool ! C’était agréable en plus parce qu’elles étaient là avec plein de gars dans un studio… Tu vois, ce n’est pas une ambiance très accueillante… Enfin ça s’est bien passé.
J’étais content de le faire et je suis assez content du résultat. Même si, parfois, je pense qu’on en a un peu trop mis. On aurait peut être dû le faire différemment.
Après, c’est toujours ce truc : on voulait faire un disque assez rapide. On a fait des choix assez rapides et quelque part, on se dit : « si j’ai pris cette décision à ce moment-là, c’est que ça devait être bien à ce moment là », donc ça se tient. Il y a des morceaux, qui je pense, sont très réussis sur le dernier disque grâce à ça. Et d’autres qui le sont moins parce qu’il aurait fallu peut être prendre un peu plus le temps.
C’est quoi un bon morceau pour toi ?
C’est juste un morceau que tu as envie de réécouter.
Que tu as envie de rejouer aussi ou ça n’a rien à voir ?
Pas nécessairement. Je parle vraiment d’un morceau enregistré.
Les morceaux que tu as envie de rejouer… Hum… Après quand c’est ta musique, c’est différent. Il y a des morceaux qui sont un peu phares pour toi. Après tu ne sais même pas si c’est vrai pour le public. Mais il y a des morceaux qui sont phares et que tu as envie de rejouer parce que tu les aimes. Tu aimes bien tel truc, tel texte ou telle ligne mélodique. Je ne sais pas vraiment comment ça se passe.
Mais il y a de vieux morceaux de Papier Tigre qu’on joue assez régulièrement. Et il y a des vieux morceaux de Patriotic (…), que j’aime bien jouer aussi, même s’ils n’ont pas tant évolué que ça au niveau du jeu. Je ne sais pas… Il y a juste un truc qui est encore d’actualité. Je pense que c’est plus ça : un sentiment que c’est encore d’actualité, que ça a encore du sens pour toi de le chanter. Tu le fais parce que ça te paraît naturel. Aller chercher des vieux morceaux, pour essayer de les retravailler alors que tu n’es pas dedans, que tu n’es plus dans le même état d’esprit, ça doit être assez compliqué.
Pour ce qui est d’écouter de la musique, pour moi, un bon morceau, c’est un morceau que tu as envie de réécouter, peu importe quel genre ou quelle approche musicale il peut avoir.
Pour les textes, comment est-ce que tu écris ? Je ne sais pas si c’est « autobiographique ». Ce sont comme des petites histoires… Est-ce que tu peux nous expliquer comment ça se passe et ce que tu as envie de faire avec tes textes. Tu parlais d’ « actualité » justement, de textes qui restaient actuels…
Chaque fois, sur chacun des disques, il y a toujours une approche des textes un peu différente. Sur le premier disque, il y a un côté très narratif, très personnel. C’est toute une histoire d’amour. Il y a tous ces trucs entremêlés. Sur le deuxième, il y a un côté très écrit, avec plein de trucs poétiques, etc… Et sur le dernier, c’est plus épuré.
A chaque fois c’est juste une volonté d’essayer d’écrire différemment, d’essayer d’avoir une approche différente. Parce que quand tu écris (je pense que c’est quasiment pareil pour tous les gens qui écrivent, peu importe ce qu’ils font), tu ne peux pas nécessairement changer de personnalité, même si tu fais de la fiction. Tel ou tel auteur finit toujours par revenir un peu sur ses domaines. Tu prends quelqu’un comme Philip Roth par exemple. Il écrit toujours sur les Juifs dans la région du New Jersey. Il ne va pas écrire sur l’Inde ou un truc comme ça… Enfin, il pourrait. Il l’a peut-être déjà fait d’ailleurs, je n’en sais rien (rires). Mais voilà, c’est un peu ça son domaine de prédilection.
J’essaie. Je continue à écrire sur moi, sur la même chose, sur les gens qui m’entourent, sur mes ressentis personnels, la famille, ce que tout le monde vit. Il n’y a rien d’exceptionnel. Sauf que j’essaie juste de le travailler un peu différemment. Sur le dernier album, c’est un peu plus épuré.
Tu as les mêmes idées avec la musique ? Te dire sur cet album-là, je vais travailler différemment.
En fait, c’est un peu moins réfléchi que ça. Je me dis cette phrase sonne bien dans le morceau. J’aime bien son sens. J’aime bien la manière dont tu peux l’interpréter. Donc je pars là-dessus. Et puis je fais un morceau. Je fais un deuxième morceau, etc… Je vois… Et au bout d’un moment, je me dis : « ah, je vais plus dans cette direction-là, naturellement ». J’apprends ensuite à faire consciemment ce que je faisais un peu inconsciemment.
La question qui tue : trois disques sans lesquels tu ne pourrais pas vivre ?
Wahou, ce n’est pas beaucoup. Je ne sais pas trop, c’est compliqué. (Il hésite) Plutôt le tourner en « les trois disques qui font que… » (Il reprend) En gros, je suis de la génération des gens qui ont grandi avec des trucs comme Nirvana. Donc c’est assez important pour moi. In Utero, peut-être pas parce que j’aurais envie de le réécouter maintenant. Mais parce que c’est un disque qui a fait qu’on fait Papier Tigre aujourd’hui, ou même que je fais Patriotic, qu’on fait de la musique. Après…
C’est chaud, hein (soupirs). Je prendrais peut être Pet Sounds des Beach Boys. Parce que c’est un disque assez riche et qu’il y a toujours de la matière à écouter même si je l’ai écouté beaucoup de fois. Et puis, j’aime bien ce côté pop.
Et puis après… Prendre un truc un peu plus récent quand même. Hum… Je prendrais un disque de cette année. Je prendrais bien le disque de Chris Cohen. Un joli disque de 9 morceaux, avec une écriture assez pop. C‘est un mec que j’aime beaucoup, dans tous ses groupes : ce qu’il a fait avec Deerhoof, ce qu’il a fait avec les Curtains… Même son tout dernier disque est vraiment génial ! Donc je prendrai un truc comme ça.
Après, c’est aujourd’hui… Demain, je peux te dire je prendrai un Fugazi, un album des Beatles ! Je prendrai bien un album de Dylan aussi… Je ne sais pas, un album de Leonard Cohen… Pfff, il y a plein de trucs… Il y aurait peut être des truc un peu plus fun aussi. Parce que si je suis tout seul sur une île déserte, il va peut-être falloir que je me marre un peu. (rires)
J’ai lu dans une interview qu’il y avait un moment qui était important dans ton parcours musical : la première partie d’un concert de Shipping News. Tu peux nous en parler un petit peu ?
On jouait dans un groupe [(Il voit mon t-shirt des Shipping News) ah oui, d’accord.] qui s’appelait Seymour avec Pierre-Antoine le batteur de Papier Tigre, Arthur le guitariste de Papier Tigre et deux autres copains. Ce sont les gens d’une asso qui s’appelait PAM, petit air musical, qui nous avaient invités à faire la première partie de Shipping News. On ne connaissait pas bien Shipping News à l’époque. On était surtout des fans de June of 44, en fait. Mais on s’est dit que comme il y avait un mec de June of 44 dans le groupe, c’était forcément génial.
Et puis, à cette époque-là, on faisait deux concerts par an. On ne pouvait pas se permettre d’en refuser un ! On était tous au lycée. On devait avoir 16-17 ans.
Et je ne sais pas pour quelle raison, le concert a commencé tard. On parlait avec les mecs de Shipping News. On était trop content. On buvait des bières et tout… On ne se rendait pas compte, en plus… Donc, au bout d’un moment, on arrive sur scène et on s’aperçoit qu’on est tous à moitié bourrés (plus ou moins)… Et on fait un concert de merde (rires). Mais vraiment, le concert où tout ce que tu as prévu ne se passe pas… (rires) C’est une catastrophe ! Et puis, tu n’as pas d’expérience. Donc ça se voit. Tu ne peux pas te rattraper. Parce que même quand tu fais un concert de merde aujourd’hui, je pense que les gens s’en rendent un peu compte mais tu vois, tu as une certaine maîtrise de ce que tu fais, donc ça passe…
Mais c’est un excellent souvenir parce qu’eux ont joué après. Donc on a regardé. On a arrêté de faire les cons. On était bien déçu de notre concert… Et le fait de regarder le concert après, et d’avoir discuté avec eux et tout. Je ne sais pas, il y avait un truc. Comme quoi tu te disais : « j’ai 17 ans, je veux faire de la musique. C’est CA, la musique. C’est comme ça ». Ils avaient un super son alors que nous on avait un son dégueulasse. Enfin tout. Tu sentais qu’ils maîtrisaient tout. Tout ce qui se passait. Pour moi, c’était important.
Et aussi parce que c’était peut-être une des premières fois qu’on jouait dans un réseau vraiment indé, DIY, avec des gens qu’on avait déjà vus et qui organisaient des concerts. Ça paraissait un peu fou. Maintenant, ça me paraît totalement normal.
Mais tu vois, par exemple, on voit des gamins à des concerts de Papier Tigre, enfin des gamins, des ados de 15-16-17 ans… Ils viennent nous parler comme si on était ces mecs-là. Ça me fait toujours marrer ! Je suis là : « ouais, ouais » (rires) Ils demandent : « comment on fait pour faire des concerts ? » Tu réponds : « ben, t’envoies des mails, tu cherches des contacts, je ne sais pas, tu fais le truc, quoi… »
Je ne sais pas si ça paraît aussi évident aujourd’hui qu’à l’époque, ce serait intéressant à voir… Mais nous, une fois qu’on a pu rentrer dans ce réseau-là, on ne l’a jamais quitté. Que ce soit pour ce que je faisais tout seul ou pour Papier Tigre ou les autres groupes qui gravitent, des copains, etc… Et puis, il y avait toute une génération à Nantes, une génération de musiciens qui ont commencé à la même époque. Il y a plusieurs projets qui ont splitté. Mais il y en a peut être trois-quatre qui restent et qui sont devenus des groupes connus… Plus ou moins connus nationalement, plus ou moins connus internationalement, en fonction des réseaux…
Mais oui, c’est un chouette souvenir. C’est un groupe que j’adore. En plus, dans Shipping News, il y avait Jason Noble qui est mort il n’y a pas longtemps. Après, de fil en aiguille, on les a revus. On est devenu potes avec d’autres mecs de Chicago, qui sont potes avec eux… Enfin, bref, on a été enregistrer avec Albini. Du coup, on connaît machin, qui connaît machin, donc voilà…
Belle famille.
Oui, c’est une belle famille. Mais après c’est drôle. Je ne peux pas m’empêcher d’être un gamin. Ça ne me paraît pas réel. C’est marrant. Tu te dis : « ouais, j’ai 30 ans » , mais quand tu arrives au studio, quand c’est Albini qui est là, tu dis : « euh salut euh… ça va… euh… » Alors qu’Albini, il s’en branle, quoi (rires)… Il n’en a rien à foutre total. Que ce soit toi ou Jésus en face, ce serait pareil !
Surtout Albini, je pense !
Mais même les autres. Ce sont des gens qui ont aussi des… Tu prends Kyle, le batteur des Shipping News, il est charpentier. Ce n’est pas David Bowie. Il n’a rien d’exceptionnel. Absolument rien. Sauf que ce sont de supers musiciens.
Mine de rien, je pense, il y avait ce côté-là aussi : ce modèle. Quand tu es jeune, tu ne perçois pas nécessairement que tu n’es pas obligé d’être une star pour faire de la musique… Et du coup, c’est cool, tu te dis : « je ne suis pas obligé de monter à Paris, ou de faire du show business, ou je ne sais pas quoi » ! Tu peux juste faire ton groupe.
En parlant de bons musiciens, ce soir tu joues avec La Terre Tremble !!! Là, en plus, tu vas aussi jouer une partie en solo. Comment vous faites pour articuler ce qui est sur l’album et le passage au live ?
Sur le live, on s’est dit qu’il fallait qu’on s’amuse. Là, tu ne vas pas le voir ce soir, mais normalement, il y a des morceaux du premier et du second Patriotic qu’on a repris, qu’on a rendus un peu plus dynamiques. En suivant le truc, l’instinct qui nous faisait marrer sur le moment. L’idée, c’est surtout de se faire plaisir, de jouer. Il y a plein de trucs du disque qu’on ne fait pas, comme tous les claviers. Il y a plein de chœurs qu’on ne fait pas. Mais je ne vais pas trop chercher ça dans un concert. Je ne vais pas chercher le truc parfait.
Vous vous permettez d’aller dans des directions un peu différentes ?
Ce serait un peu prétentieux de dire qu’on va dans des directions différentes. Je pense que c’est à peu près la même chose. C’est basse, deux guitares, la batterie de Paul et puis on chante. Mais ça reste un truc un peu pop-rock. Bon, ce n’est peut être pas RTL2. Mais ça reste quand même un truc avec pas mal d’influences pop, sixties, Beatles etc… Et puis toutes les petites références de chacun : krautrock, des trucs plus ou moins indie, etc… Peut-être que c’est un peu plus brut et que ça se lâche un peu plus que sur le disque. Qui est quand même assez doux et coulant…
Il y a aussi autre chose. J’ai l’impression que c’est la même chose pour pas mal de musiciens. J’en parlais avec Eric d’Electric Electric l’autre jour. On se disait que par rapport à l’envie… Entre ce qu’on a envie de faire en concert et ce qu’on a envie d’écouter, ou d’enregistrer, c’est vraiment très différent.
On se disait justement qu’en concert on avait vraiment envie que ce soit très énergique, fort et puissant. Alors que ce qu’on écoute chez nous, justement, ce n’est pas du tout ça. On a vraiment envie d’écouter des trucs limite ambient, des trucs plus intéressants qui ne sont pas nécessairement des concerts que j’ai envie d’aller voir. Ou alors il faut vraiment les voir dans un théâtre assis, etc… Ce n’est pas le même délire.
Je pense qu’au fur et à mesure, les gens vont commencer à faire des disques de plus en plus différents. Après peut-être que ce n’est pas vrai du tout ! (rires) On va peut être continuer à faire la même chose, je n’en sais rien. J’ai un petit peu cette envie-là. Quand tu es sur scène, tu as cette envie de projeter quelque chose. Et il faut vraiment être très fort pour ne pas y aller comme un bourrin. Des fois, on a tendance à être un peu sur-agressifs ; mais parce qu’on veut créer cette dynamique-là. C’est peut-être de l’auto-critique, je ne sais pas.
En résumé, tu essaies de faire le meilleur truc. Le truc qui sonne bien à tes oreilles. Et que tu penses avoir envie d’écouter.
[On est alors en février 2013] On ne va pas t’embêter plus longtemps. Juste : quels sont les projets à venir et y a-t-il quelque chose que tu voudrais particulièrement souligner ?
On va faire pas mal de concerts avec Papier Tigre à l’étranger. Normalement, on se fait un petite tournée en Espagne avec un groupe espagnol qui s’appelle Betunizer et qui est un très bon groupe. Ce sont des copains à nous. On devrait aussi aller dans le sud de la France et en Italie avec eux.
Après, on fait la colo avec tous les copains. C’est le projet La Colonie de Vacances avec Pneu, Marvin, Electric Electric et Papier Tigre. Ça repart en mars-avril, un truc comme ça. Il y a pas mal de dates jusqu’à la fin l’année. On va aller jouer à la Réunion avec ce projet-là, ça promet d’être rigolo.
Sinon, je vais essayer de finir les nombreux morceaux que j’ai en cours tout seul. Et peut-être essayer d’en faire quelque chose. Cette année, ce serait bien. Soit tout seul, soit avec d’autres gens, soit… On parlait de faire un autre morceau avec Carla [Pallone, toujours de Mansfield.TYA] il n’y a pas longtemps. On parlait de faire je ne sais pas quoi avec je ne sais pas qui, tu vois… Un morceau avec Vincent d’Electric Electric. Après, je ne sais pas, c’est des trucs, si ça trouve, je ne les ferai jamais.
Et puis ce serait marrant de refaire un truc avec La Terre Tremble !!! Après il faut trouver le temps. Ils ont sorti un excellent disque il n’y a pas longtemps. Donc c’est cool, ils ont pas mal de dates. Ils vont défendre ça. Ils le font très bien en plus, donc autant qu’ils continuent (rires). Il faut aussi que les gens soient disponibles pour faire ça.
Le truc important, c’est aussi de faire de la nouvelle musique avec Papier Tigre, je pense. Et puis la colo, c’est quand même un truc assez marrant à faire ! Il y a plein d’excellents musiciens aussi. C’est vraiment un grand grand truc de copains. C’est toujours exaltant de voir que des gens veulent bien nous installer quatre scènes et quatre sonos pour qu’on fasse les cons, c’est quand même super.
C’est sûr, et puis le résultat est quand même à la hauteur des efforts.
Oui, on aime bien bien faire les cons, c’est sûr. (rires).
Merci beaucoup !!
Merci à vous.
A noter, Eric Pasquereau sera aussi présent à Rennes le jeudi 8 octobre à l’Antipode MJC avec Papier Tigre pour le projet La Colonie de vacances. Re-chouette !
Photos interview, Prise de son, Montage son : Caro
Photos live : Papier Tigre, La Colonie de Vacances, La Terre Tremble !!!, Mansfield.TYA, Mermonte : Caro, Solène, Yann, Mr B.
Un grand merci à Guillaume Banche également, qui a rendu tout cela possible.
The Patriotic Sunday sera en concert avec Gregaldur et Eshôl Pamtais samedi 26 septembre au Jardin Moderne (11 Rue du Manoir de Servigné, Rennes) dans le cadre du Marché Noir. 20h30 – 6€
The Patriotic Sunday : http://www.muraillesmusic.com/artistes/the-patriotic-sunday/
Papier Tigre : http://www.muraillesmusic.com/#/artistes/papier-tigre/