La course à pied serait selon l’imaginaire collectif (des hommes valides, NDLR) le sport le plus simple et facile à pratiquer. Il suffirait de chausser une paire de basket, et zou, c’est parti. Direction l’horizon ! Oui, mais non. Une récente étude anglaise révèle que 44 % des femmes renoncent à cette activité de plein air parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité. Face à cette situation, Vicky, joggeuse rennaise, a créé en septembre dernier Run VNR, un club de course à pied en non-mixité choisie.
Alors que les résultats du deuxième Baromètre Sexisme mené par l’Institut Viavoice pour le HCE (Haut Conseil à l’Égalité, NDLR) démontrent que le sexisme ne recule pas dans notre société, il nous a semblé important de donner un coup de projecteur à cette initiative féministe et citoyenne.
►► ALTER1FO : Bonjour Vicky, peux-tu nous expliquer ce qu’est RUN VNR ?
Vicky : C’est un club de course à pied féministe en non-mixité choisie, c’est-à-dire sans homme cisgenre. Run VNR permet d’apprendre à se réapproprier l’espace public, de créer du lien, et de prendre soin de soi à travers le sport. Ici, il n’y a pas de notion de performance, ou de compétition.
►► Quel a été l’élément déclencheur qui t’a poussée à créer ce club ?
Il y a 2 ans, j’avais pour objectif de participer à un semi-marathon. Je m’entraînais régulièrement, et j’avais décidé cette fois-là de ne pas faire de pause dans ma préparation, même pendant les saisons d’automne et d’hiver où les jours sont les plus courts.
Vers la fin octobre, alors que j’étais en train de courir aux prairies Saint-Martin en début de soirée, j’ai été pris de panique. J’’étais totalement seule, et il faisait déjà nuit noire. C’est à ce moment-là que j’ai pris pleinement conscience que ce n’était ni le froid, ni la flemme qui m’empêchaient de courir certains mois de l’année, mais bien à cause du sentiment d’insécurité.
►► Des travaux sur la mobilité des femmes dans les espaces publics démontrent que ces dernières mettent en place des tactiques d’évitement pour se déplacer. C’était ou c’est aussi ton cas ?
Même sans courir, juste en marchant ! Quand je rentre de soirée, j’ai des stratégies. Je rentre avant une heure bien précise, et généralement accompagnée. J’essaye de choisir un itinéraire avec le plus de terrasses fréquentées, de lieux encore éclairés, ou de commerces ouverts afin d’éviter de passer par des endroits peu fréquentés. Pour la course à pied, c’est pareil. Ce constat est d’ailleurs partagé par toutes les femmes que j’ai pu interroger. J’ai donc eu envie de faire bouger les choses.
►► Que s’est-il passé ?
J’ai d’abord cherché des personnes pour m’accompagner. Des femmes, car je ne voulais pas courir avec des hommes. Généralement, ces derniers ont un côté paternaliste à notre égard, et puis courir avec des inconnus, en termes d’insécurité, cela revient au même. Malheureusement, je n’ai trouvé aucun club satisfaisant. J’ai donc décidé de créer le mien en mettant en avant le côté féministe et revendicatif afin de nous rassembler.
►► On imagine que la création de RUN VNR ne s’est pas faite en un claquement de doigts…
Effectivement, il s’est écoulé plus de 6 mois. En fait, je ne me sentais pas légitime à le faire, fichu patriarcat ! Je me suis donc documentée, longuement et j’ai découvert plein de choses sur l’espace public, et les inégalités liées au genre. Pour le dire vite, l’espace public est majoritairement un espace genré, car « pensé par et pour des hommes ». Intérieurement, je le savais déjà, mais il fallait que je le concrétise à travers ces lectures.
►► Y a-t-il d’autres informations qui t’ont interpellée à travers tes recherches ou lectures ?
J’ai découvert les « marches exploratoires », qui sont des marches réservées aux habitantes d’un même quartier pour analyser le sentiment d’insécurité ressenti en tant que femme. RUN VNR est dans cette démarche-là, même si cela est moins scientifique et plus improvisé. Ce club nous permet en tout cas d’explorer des lieux dans la ville que nous n’aurions jamais traversé seules. Par exemple, on a découvert que le chemin de halage entre le Mabilay et le Jardin Moderne était fréquenté, bizarrement plus vers 20 h que 18 h. Cela nous donne des astuces pour courir seule plus tard si on le souhaite…
►► Quelles ont été les réactions suite à l’annonce de la création du club ?
La plupart d’entre elles ont été très encourageantes. Lorsque j’ai communiqué via mes réseaux sociaux, j’ai eu beaucoup de partages, de retours positifs, et de messages encourageants, notamment de femmes qui voulaient se remettre au sport. Après, quelques hommes ont critiqué le choix de la non-mixité. C’est assez bizarre puisqu’elle a toujours existé dans le sport sans que cela ne dérange personne. Mais bon, cela pose problème uniquement quand l’initiative vient des femmes elles-mêmes apparemment… On nous ressort souvent ce truc de vouloir « scinder la société en deux ». Ce n’est absolument pas vrai. On n’est pas « contre », on réclame juste le droit d’avoir un espace entre nous. Moi, clairement, cela me fait un bien fou de ne pas avoir à me justifier tout le temps sur ce sentiment d’insécurité quand je marche dans la rue.
►► Concrètement, RUN VNR, comment ça court marche ?
Au fur et à mesure que j’apprends à gérer le club, c’est aussi nouveau pour moi, j’ai la volonté d’en faire un vecteur de rencontres, qu’il devienne un « safer place » pour tout le monde, comme une sorte de petit cocon. Actuellement, nous sommes une vingtaine. J’anime un groupe privé Facebook, et je gère le compte Instagram. On définit entre nous la date des prochaines sessions, je relance, j’essaye de caler des dates et des lieux à travers les échanges. Ensuite, viens qui veut et qui peut. Ce que je trouve chouette, c’est qu’il y a des sessions qui se créent aussi en petit comité sans passer toujours par moi.
►► Au bout de quelques mois, quel premier-mini bilan ferais-tu ?
Je n’ai jamais fait autant le tour de la ville de Rennes que depuis que je suis dans RUN VNR. Avant, j’allais toujours courir aux mêmes endroits, aux mêmes horaires. Là, on habite toutes dans des quartiers différents, on connaît des coins que l’on fait découvrir aux autres, et ensemble, on tente de nouveaux parcours.
De plus, je suis persuadée que plus nous nous montrons dehors, plus cela donnera de la motivation aux femmes de le faire aussi. C’est un cercle vertueux. On le voit parfois, quand on court, et quand on croise des femmes, il y a toujours un sourire, ou un regard. Ce n’est pas anodin.
►► Et personnellement, cela doit forcément bousculer un peu, non ?
Ce qui a changé chez moi, c’est que j’ai découvert qu’il existait plein de manières de militer, de lutter afin de se réapproprier l’espace public. Cela nous fait toujours plaisir d’observer lors de nos sorties les collages féministes, ceux de Zone_de_confort, ou bien les tags de Nous Toutes (35) Tout se recroise finalement, et c’est chouette.
Zone de Confort : « Inconsciemment, il fallait que je me réapproprie l’espace public. »
Et puis, je rencontre de plus en plus de monde, en dehors du club parfois. On se donne quelques conseils de sorties, « y a tel film à l’Arvor ou telle expo ou conférence à voir à Rennes 2». Et puis on commence à se croiser aussi lors d’événements plus revendicatifs, dans des cortèges ou des rassemblements. Finalement, on crée beaucoup plus de liens qu’on ne fait de sport (rires…), et c’est très bien ainsi !
►► Merci !
Pour avoir des infos sur le club, on vous conseille d’envoyer un message privé depuis la page Instagram ici → https://www.instagram.com/run.vnr/
En tant que femme et que pratiquante de longue date de la course à pied, ce genre de démarche m’interpelle et me laisse perplexe. Mon sentiment est que ces personnes doivent surtout faire un travail sur elles-mêmes et sur leurs peurs imaginaires : en quoi se retrouver à courir seule dans le noir aux Prairies Saint-Martin est-il effrayant ? Elle ne dit pas qu’elle s’est fait agresser mais qu’elle a subitement eu peur, pourquoi ? Pourquoi ce serait plus effrayant pour une femme que pour un homme ? D’où vient cette peur ? Pourquoi passer par des zones fréquentées, qui concentrent donc les personnes mal intentionnées, en rentrant le soir serait plus sûr ? Etc.
Je pense qu’il faut déconstruire ses peurs, les analyser et les objectiver au lieu de s’enfermer dans un microcosme et dans des schémas qui ne permettent pas de les dépasser mais plutôt de les renforcer, ce qui est l’impression que me donne leur démarche. Je trouve ça dommage.