Nous l’avions subodoré, le prélude sous toit de cette 25ème édition de la route du Rock fut splendide. Le merveilleux numéro d’ours bourru mais ultrasensible de Mark Kozelek et la flamboyante réinterprétation de The Notwist de leur inoxydable album Neon Golden ont embrasé le public conséquent qui avait fait le déplacement ce jeudi 13 août à la Nouvelle Vague.
Pour des histoires d’organisation, de finance ou tout simplement de manque d’enthousiasme artistique, nous avions jusqu’ici manqué la soirée à la Nouvelle Vague qui depuis 2013 donne le signal de départ de chaque nouvelle édition de la Route du Rock. Cette année par contre, Rock Tympans a su faire battre un peu plus fort nos petits indy-cœurs en annonçant la venue groupée jeudi 13 août de Sun Kil Moon et de The Notwist, ces derniers venant réinterpréter leur essentiel Neon Golden. Pas question donc cette année de louper ça.
La soirée débute avec Marc Kozelek et son groupe Sun Kil Moon. L’homme nous avait offert en solo un concert hanté par des arpèges de guitares acoustiques et sa sublime voix grave dans une réverb’ ouatée au Palais du Grand Large pour l’édition de la Route du Rock 2009. Avec un set tout en délicatesse, le leader de Red House Painters (formé en 1989, avec 6 albums de folk hantée à leur actif principalement chez 4AD) et Sun Kil Moon (depuis 2002 avec déjà 7 longs formats si on a bien compté) nous avait laissé des étoiles dans les oreilles. Depuis l’Américain a abandonné la facture classique (couplet/refrain) à l’instrumentation toute acoustique de ses morceaux et s’est tourné vers un songwriting résolument novateur. Révélé par le crépusculaire Benji le nouveau songwriting du natif de l’Ohio lui permettait d’y atteindre des sommets de folk habitée, introspective et déchirante. Mark Kozelek y livrait 11 titres arrangés avec une subtilité désarmante (voix doublée et décalée, cascades d’arpèges de guitare claire, claviers décharnés, chœurs occasionnels, passionnants changements de rythme), narrant aussi bien la perte de deux membres de sa famille victimes d’explosions de bombes aérosols, que les complications de sa vie amoureuse/sexuelle où l’amour de sa mère dont il ne pourrait se passer. Sur Universal Themes sorti en juin (Rough trade, Caldo Verde 2015), le prolifique Kozelek continuait dans la même veine, oubliant les métaphores de ses débuts pour se concentrer sur un parlé/chanté délivrant des textes/journaux intimes/conversations « quasi comme ils viennent », ses titres s’étirant en longueur (9-10 minutes le plus souvent) mais ne perdant en rien leurs arrangements subtils et nuancés. Le musicien se permettant même parfois de durcir le ton. On attendait donc le bonhomme avec une impatience non feinte, d’autant que si l’homme avait été avec nous d’une gentillesse confondante en 2009 au Palais du Grand Large au stand merchandising, les aimants à clics de la blogosphère nous promettaient le retour d’un teigneux, râleur et provocateur. Bigre.
Bon, pour tout vous dire, il ne faut pas le chatouiller le garçon, et surtout pas le photographier comme le comprennent très vite ceux qui dégainent leurs portables, doux inconscients, pour immortaliser l’instant, mais également ce journaliste-photographe qui se fait subtiliser son appareil par le frontman (mais qui le rendra plus tard avec le sourire !), les journalistes en prenant également pour leur grade. Il serait cependant dommage de s’arrêter à ces quelques (gentilles) frasques tant le monsieur est tout simplement l’un des songwriters les plus passionnants de ces deux dernières décennies. Accompagné sur scène par un guitariste-bassiste, un batteur et un clavier, Mark Kozelek se trouve le plus souvent déchargé de l’instrumentation et se concentre sur le chant, arpentant le plus souvent la scène d’un bout à l’autre, mais accompagnant parfois ses camarades en frappant sur un tom d’une baguette, comme sur I love my Dad qui débute le set. Ce premier titre donne tout de suite le ton du concert : instrumentation plutôt épurée, qui sait jouer des silences, marquée par des rythmiques subtiles, une guitare-basse toute en nuances et des notes de claviers qui viennent souligner la voix grave de Kozelek, partie pour un long road-trip verbal (on se demande d’ailleurs comment le leader de Sun Kil Moon fait pour retenir ces longs textes, qui semblent écrits « à sauts et à gambades » -on passe de la mort d’un opossum à un concert de Godflesh dans le même morceau- et les chanter sur scène. Certes, il a bien un pupitre couvert de feuilles qui doivent lui servir d’aide-mémoire, mais il semble plutôt s’en servir comme filet au cas où et ne les regarde quasi pas), avec parfois, des passages plus énervés, sur lesquels les fréquences vocales grattent un peu (on hésite entre saturation du micro et voix de fin de tournée).
Dès la fin de ce titre inaugural, Mark Kozelek s’illustre en leader charismatique, multipliant les adresses au public, les plaisanteries et mises en boîtes, jouant, goguenard, de son image (commentaires sur l’annulation de Björk pour commencer), l’interaction avec la salle, d’abord intimidée, se faisant de plus en plus directe au fil du set (d’une fan lui offrant sa serviette de plage sur scène parce qu’il a trop chaud au début de Dogs recommencé pour ponctuer le titre des cris de la salle). Plus tard, sur Carissa, Mark Kozelek fera même chanter le public de la Nouvelle Vague, aidé par son excellent bassiste qui assure brillamment les chœurs, qu’il soient simultanés ou décalés, avant que le tempo ne s’emballe et que le quatuor ne durcisse le ton (le groupe démontre une aussi belle maîtrise des montées que des accalmies). Ca se confirme sur Richard Ramirez Died Today of Natural Causes, qui débute par une intro batterie/tom/arpèges, à la fois rythmique et épurée, puis creuse profond, s’énervant davantage, le timbre voilé de Kozelek pénétrant profond sous les épidermes. Plus tard, Dogs verra (enfin) Kozelek se saisir de sa guitare pour une version en même temps poignante et amusée du titre narrant ses déboires amoureux/sexuels. Si le passage au live met moins en valeur la subtilité et la finesse des arrangements, il permet néanmoins aux morceaux de gagner en énergie et de profiter davantage du charisme de leur compositeur.
Majoritairement composé de titres de Benji (I love my Dad, Micheline, Carissa, Richard Ramirez Died Today of Natural Causes, Dogs, notamment) le set s’autorise quelques écarts. Notamment avec un tribute à Nick Cave et son fils de 15 ans (décédé accidentellement d’une chute de falaise cet été), bouleversant, avec la reprise de The Weeping Song, particulièrement classe et déchirante « O father tell me, are you weeping? / Your face seems wet to touch /O then I’m so sorry, father« . Plus tard, deux très longs titres d’Universal Themes clôtureront le set, The Possum d’abord, tout en tiroirs, enchaînant montées/accalmies et marqué par un break plongeant le parlé de Kozelek dans un écrin épuré avant un dialogue à deux guitares rivalisant de dextérité. This Is My First Day And I’m An Indian And I Work At A Gas Station enfin, dont les digressions se révèlent étonnamment hypnotiques, invite l’un des musiciens de Notwist, Karl Ivar Refseth, à venir jouer du vibraphone sur la (fausse) fin du titre, avant un numéro d’équilibriste d’abord poignant puis désopilant de Mark Kozelek.
Le leader poursuit en effet les digressions d’origine du morceau par la narration de ce qui a précédé le concert, commençant par le récit de son voyage en avion aux côtés d’une jeune femme pleurant au téléphone parce qu’elle apprend que sa mère souffre d’un cancer. La jeune femme répétant sa frustration de ne pouvoir rien faire. L’instrumentation décharnée et subtile ajoutant fortement à l’émotion, nos gorges se serrent. Puis le récit se mue en quelques phrases en délire burlesque, nous faisant passer de la tristesse au rire, entre jeunes femmes ivres hurlant de rire dans l’avion, mac do ouvert la nuit, hilarant passage sur une (fausse) jambe de bois et narration de son premier passage à la Route du Rock (« quand je mourrai, je voudrais me réincarner en musicien de Tortoise pour pouvoir jouer dans tous les festivals, rock, jazz, fusion… ») entre ballade sur la plage (on y apprend que la photo de Mark Kozelek & Desertshore, 2013 y a été prise à St Malo), amour pour sa girlfriend et pluie malouine. En définitive, Mark Kozelek en fait trop, mais le sait, et s’en amuse avec le public (et non contre). Mais surtout, le musicien continue de creuser le sillon d’un songwriting jusque-boutiste, certes tendu entre moments sublimes et d’autres forcément plus irritants, mais avec une persistance qui force le respect. Au final, un bon concert, qu’on aurait même pu qualifier de très bon si la tornade allemande qui allait suivre, n’avait pas mis la Nouvelle Vague sens dessus dessous juste après l’Américain et ses comparses.
Tout en savourant une indispensable pause désaltérante, nous surveillons du coin de l’œil l’installation des allemands de The Notwist. L’imposant dispositif scénique semble identique à celui des concerts de leur tournée de l’an dernier pour la sortie de leur huitième album Come To The Glass. C’est rassurant puisque leur impressionnante prestation au Lieu Unique à Nantes nous avait laissé des souvenirs étoilés. La bande monte enfin sur scène et l’on retrouve presque la même formation qui nous avait enchantés en 2014 : bien entendu les deux frères Markus (guitare/chant) et Michael Acher (basse) mais aussi Andi Haberl (batterie), Max Punktezahl (guitare, clavier) et enfin Karl Ivar Refseth (vibraphone). Par contre pas de Martin Gretschmann remplacé ce soir là au claviers et autres bidouille électro (On espère bien que ce n’est que temporaire ?). Markus Acher annonce comme prévu qu’ils vont jouer les dix titres de leur album « d’il y a quelques années » (2002 déjà !) mais prévient que l’ordre ne sera pas tout à fait le même et que, comme ils en ont l’habitude, les versions live s’éloigneront volontiers de celles gravées sur le disque.
Pourtant c’est bien, comme sur l’album, sur le délicat et mélancolique One Step Inside Doesn’t Mean You Understand que démarre en douceur le set. Décollage en finesse donc avant la seule entorse au tracklisting original. L’imparable Pilot est gardé sous le coude pour plus tard au profit d’un redoutable enchaînement avec une version plus musclée de Pick Up the Phone donnant la part belle aux beats lourds et aux décharges bruitistes de guitares. Une version que l’on a déjà pu apprécier lors de concerts précédents des Allemands et qui s’avère toujours aussi efficace. Ils enchainent tout en fluidité avec un Trashing Days dont la rythmique hip hop concassée et les bidouilles sonores sont là encore accentuées. Même traitement pour le break final qui prend sur scène une intensité sonore saisissante. Les teutons donnent alors une éclatante nouvelle preuve de leur redoutable science de l’enchainement avec une splendide intro dissonante annonçant le bondissant This Room. Là encore, ils amplifient et complexifient avec une classe folle l’aspect rythmique de leur compos en réussissant à ne pas perdre en chemin la sensibilité de l’ensemble. L’exaltante montée en force avec comme climax un réjouissant duel de claviers entre Markus Acher et Martin Gretschmann colle des frissons à un public d’ores et déjà conquis. Pourtant, les briscards choisissent de retenir encore un peu leurs effets avec un Solitaire en suspension et aux rythmiques tendues. C’est donc sur un One with the Freaks branché sur 10 000 volts qu’ils vont enfin lâcher les chevaux pour le plus grand bonheur des spectateurs qui leur sont désormais acquis corps et âme. Nous ne sommes pourtant encore qu’à peine à la moitié du concert. Ils démarrent alors un Neon Golden en poussant l’aspect cinématographique western à son paroxysme avant de glisser imperceptiblement vers une étonnante transe house qui transforme irrésistiblement la Nouvelle Vague en club berlinois. On connait la difficulté qu’ont rencontrée certains groupes à faire danser le public de la Route du Rock et voilà que nos six allemands collent des fourmis de feu dans les jambes des festivaliers pourtant déjà copieusement en nage. Ils n’ont donc plus qu’à enfoncer le clou dans le dancefloor avec une version survitaminée du redoutable Pilot pour finir d’embraser totalement la salle. Retour ensuite à un calme relatif avec une intro aux violoncelles très Steve Reich d’Off The Rail avant de conclure le premier round avec l’ultime morceau du disque : le délicat Consequence qui clôt en beauté cette première partie.
Vu les réactions enflammées de la salle, il est en effet hors de question d’en rester là. Après un temps d’appel au rappel qui doit pouvoir entrer dans le Guiness book pour sa brièveté, le groupe au complet retrouve sa place. Ils décochent alors pour notre plus grand plaisir l’imparable riff de Kong dans une version très krautrock dont l’implacable rythmique motorik déclenche une joyeuse nouvelle crise d’hystérie collective. Ils vont ensuite alterner des morceaux de leur deux derniers albums (The Devil, You + Me et Close To The Glass) et enchainent l’hypnotique Boneless, les redoutables rythmiques electro-tribales tout en ascension d’In Another Tune avant de conclure toutes guitares dehors avec Gravity.
La générosité de la bande semblant inépuisable, ils grattent encore un peu de temps pour revenir une troisième et dernière fois boucler le set avec une classe impériale sur l’électro étourdissante de Run Run Run enchainée avec le sublime et brise cœur Gone Gone Gone.
On avoue avoir été un peu inquiet de voir une de nos formations favorites se plier à l’exercice délicat et un peu étrange du retour dans la rétro sur l’album « phare » de leur discographie. The Notwist aura fait la démonstration qu’en n’hésitant pas à bousculer le passé, on pouvait non seulement aller plus loin que l’effet madeleine mais aussi offrir des passionnants éclairages sur les différentes influences plus ou moins visibles qui parcourent un album. Chapeau bas à eux et à la bande de Mark Kozelek pour nous avoir fait de si brillantes démonstrations de prestance scénique.
La barre est donc désormais placée très très haute. Gare à toi Fort Saint Père, nous arrivons et cette superbe mise en jambe nous a remontés comme des coucous suisses sous méthamphétamines.
Retrouvez tous nos articles sur La Route du Rock, avant, pendant et après le festival ici.
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La Route du Rock Collection Eté 2015 du jeudi 13 août au dimanche 16 août.
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Bonjour
Sympathique et réaliste article sur cette Superbe introduction et préambule du meilleur festival…
Parfait sauf qu’il y avait un Grand Absent, un des créateurs et créatif de Notwist avec les frères Acher : Martin Greschmann !!!
J’espère que celà ne présage rien d’alarmant pour la suite de ce groupe Fantastique.
Bien à vous et merci pour vos résumés
Damned, ça confirme le doute que j’avais sur la présence du monsieur. Je corrige l’article et j’espère comme vous que ce n’est que temporaire.