Route du Rock 2014 : Compte-rendu du Samedi – Apologie des branleurs

L’ultime soirée de cette 24ème Route du Rock aura été ensoleillée, inégale et odorante. Retour sur un samedi dominé par la classe indolente et insolente de magnifiques branquignoles.

Les mots sont écrits à 6 mains, 6 oreilles, 3 cœurs et 6 bottes par Isa, Yann et Mr B.
Les images sont photographiées à 4 yeux, dans et derrière la fosse aux lions à gros zoom, par So et Mr B.

Après deux jours aussi intenses musicalement que météorologiquement, forcément la tête bourdonne un peu et les jambes sont bien lourdes. Le Fort Saint-Père n’est d’ailleurs guère en meilleur état que nous. La paille dispersée a bien rendu le terrain beaucoup plus praticable hier mais elle a aussi doucement commencé à fermenter. Le plus éprouvant reste cependant l’état méphitique des sanitaires. On préférera en épargner le descriptif à nos lecteurs les plus sensibles, mais la combinaison de leur parcimonie et des 14 000 spectateurs d’hier, nous vaut une véritable Bérézina urinaire fort peu ragoûtante (on ne parlera même pas de l’usage de l’ensemble des barrières du site par la gent masculine). Passées ces prosaïques considérations, le soleil est au rendez-vous et les ponchos resteront bien rangés au fond des sacs.

Petite tentative originale des programmateurs, le bal de cette soirée s’ouvre dans le bruit et la fureur avec Perfect Pussy. Du bon gros hardcore des familles, soit une série de déflagrations soniques punk et dissonantes dont la brièveté n’a d’égal que la hargne. Le plus du groupe, c’est Meredith Graves. Une bombe hurlante au fort joli minois, aussi souriante que tatouée, dont les bondissements et la robe friponne émeuvent l’audience masculine aussi sûrement que le déferlement de décibels. Plutôt vivifiant au départ, mais on avoue que la fatigue aidant, un début de mal de crâne nous prend. Nous battons donc légèrement en retraite pour assister au joyeux bordel une médication houblonnée à la main.

On attendait avec une jubilation non feinte le concert de Mac DeMarco, et bien que programmé en ouverture de la Grande Scène du Fort, nous n’étions pas les seuls. Une foule dense accueille le quatuor à peine réveillé, qui effectue les balances pendant le concert des Perfect Pussy. Il faut dire aussi qu’ils enchaînent frénétiquement les dates estivales, la faute à deux excellents albums, 2 et Salad Days, qui affolent à juste titre la sphère indé depuis quelques mois. On pouvait s’attendre à tout avec eux, et on a eu le meilleur. Un mélange de compos lo-fi subtilement ensoleillées et parfois mélancoliques avec un humour potache mais savamment dosé. On s’est suffisamment plaint d’assister à des concerts parfois trop ternes lors de cette édition pour bouder notre plaisir lorsqu’il se passe quelque chose sur scène. Speech d’introduction au second degré du batteur, jet de canette et de bouteille d’eau dans le public, blagues entre musiciens, les quatre garçons s’amusent comme des sales gosses sur scène. Le bassiste drague la caméraman, Mac recrache sa bière sur les premiers rangs, bref, ils cultivent cette image de branleurs qui leur sied si bien. Une décontraction naturelle qui permet à Mac de changer une corde en laissant le reste du groupe massacrer Yellow de Coldplay. Mais réduire le concert du groupe à ces facéties très souvent irrésistibles serait une erreur. Parce que cette nonchalance est particulièrement travaillée (casquette Viceroy vissée sur la tête (Ode to Viceroy) et tee-shirt de la famille Simpson (clip de Chamber of Reflection)). Et parce que les blagues entre les morceaux n’affectent en rien les magnifiques compos jouées avec beaucoup de sérieux. Des morceaux qui célèbrent une cool attitude (Salad Days, mais aussi Blue Boy et son savoureux riff de guitare claire), l’enlevé The Stars Keep On Calling My Name, mais aussi le mélancolique Brother qui finit dans un déluge sonore dissonant qui tranche avec la version studio. Un subtil équilibre entre les titres de 2 (avec le désormais classique Ode To Viceroy), et les explorations sonores de Salad Days (claviers aux sonorités vintage de Chamber of Reflection). Mac DeMarco s’offre un long slam sur le dernier titre Still Together et son refrain entêtant, trouvant même le moyen de finir une bière et un clope en surfant sur les mains des festivaliers. Quatre magnifiques slackers pour un concert jouissif de bout en bout.

Dur d’enchaîner après les frasques et facéties de Mac DeMarco et sa bande. Fort heureusement, une pause suffisamment longue précède l’entrée en scène du dandy britannique qui arrive sur l’intro déjà entamée d’Isabel, hit du troisième album qui lui apporta la reconnaissance tardive du public (Happy Soup, 2011). Costume gris, chemise blanche, l’homme porte beau au milieu de ses musiciens, également tous en costume, rayés ou non. Les deux choristes sur la droite de la scène jouent les rebelles, l’une en jean-perfecto, l’autre avec parure de chef indien et robe rayée derrière ses claviers. Baxter Dury chante d’une voix grave avec une classe nonchalante tandis que ses choristes répondent en écho sur la mélodie jouée à la basse. L’homme se trémousse ensuite pour remercier le public (« merci merci, merci, merci ») avant d’enchaîner sur Claire, second tube attendu par le public, prenant parfois en charge quelques lignes de claviers. Pourtant l’habitué des éditions hiver ne se contente pas de reprendre l’essentiel d’Happy Soup (Leak on the disco, bien sympathique notamment, sur lequel les voix des autres musiciens rejoignent celles des choristes) mais propose également des nouveaux titres de son quatrième album à venir en octobre (Palm trees, et on en passe), plutôt bien troussés. Bon, on doit l’avouer, si l’ensemble est agréable, on ne rentre pas vraiment dedans. On reste un peu de marbre devant les « 15 heures de voyage pour arriver jusque là mais chaque heure passée à voyager, aussi désagréable qu’elle soit, signifie une heure passée en votre compagnie » (en gros) ou autre intervention un brin racoleuse, même si (bien sûr) l’attitude du bonhomme fait pencher pour le second degré. Le Fort s’en fout et danse, tape des mains en rythme et ne boude pas son plaisir, un soutien-gorge atterrissant même sur la scène (après une culotte pour Mac DeMarco). Sympathique, certes, mais la formule (alternance de la voix flegmatique de l’élégant Britannique avec celle des choristes) lasse un peu sur la longueur. Au final, un set qui manque un brin de relief pour nous convaincre totalement. Le public en revanche semble ravi et obtiendra The Sun en rappel avec un Baxter Dury mimant le chialeur invétéré. Soit.

On avait jeté une oreille distraite sur Toy, pas forcément convaincu par cette pop psychée et un peu trop étirée. On rejoint tout de même la petite Scène des Remparts (réorientée et beaucoup plus facilement accessible), et on est agréablement surpris par le premier titre Conductor, qui ouvre leur deuxième album Join The Dots. Un long morceau instrumental, dark à souhait, qui monte progressivement et reste tendu jusqu’à la fin. Las, ce titre krautrock est une exception dans la setlist du groupe puisque le Colours Running Out qui suit reflète malheureusement la coloration sans saveur du quintet, à base de pop-rock tendance psychée : chant inutilement torturé de Tom Dougall, nappes de synthés un peu pénibles, le tout noyé dans une mélasse sonore difficilement supportable (Globalement, le son de la Scène des Remparts aura été une catastrophe auriculaire sur les trois jours. Ce n’est pas parce que les groupes y jouent fort qu’il faut nécessairement mettre tout à bloc !). Lorsqu’à la moitié du set, notre regard commence à se perdre sur un pneu gonflable qui navigue au-dessus des festivaliers, on comprend qu’on a eu notre dose et on prend du recul pour ne pas manquer le très attendu quatuor britannique sur la Grande Scène.

Plongée encore quelques décennies en arrière avec l’arrivée sur scène des quatre minots de Temples, dont les tenues (veste à franges, pendentif indien -avec autant de franges-…) et les épaisses chevelures sont raccord avec les influences musicales (mais n’est-ce pas un poil trop ?). Ces gamins ont néanmoins un talent ineffable pour trousser de petites bombes de pop kaléidoscopique inspirées et racées comme le démontre leur premier album Sun Structures (2013) en 12 titres, certes référencés, mais bluffants. Avec leurs allures de Marc Bolan Byrdsien, les gamins de Kettering ont un sens inné de la mélodie qui tourne et vous kidnappe l’oreille (oui, The Golden Throne en est le parfait exemple). Sans compter une sacrée habileté à fomenter des arrangements aussi ambitieux que malins, qui certes, doivent beaucoup à leurs glorieux aînés (oui, il y a du Beatles chez les Temples, mais aussi du Syd Barett, du Byrds ou du T-Rex), mais avec talent. On aurait juste aimé que sur scène, le quatuor britannique salisse un peu la production élégante et lissée de ses (belles) chansons et mette davantage les doigts dans la prise. Malgré cela, la prestation est fort honnête, notamment lorsque les garçons allient leurs voix à la Fleet Foxes (A question isn’t answered, Move with the season), mais surtout, est balancée avec une épatante maîtrise, notamment sur de jolis passages à la douze cordes pailletée (comme les yeux de James Edward Bagshaw). Alors certes, c’est un peu jeune (pas besoin de demander au public de taper dans ses mains sur l’intro d’A question isn’t answered, Messieurs, vos chansons sont assez bonnes pour parler d’elles-même). Et on aurait aimé davantage de sueur et de stupre (voire de poils, osons le mot). Mais les Temples s’imposent déjà comme de sacrés fieffés songwriters (on n’en croise pas si souvent, d’aussi bons mélodistes – pensez au pont/refrain éclairant de mille étincelles -malheureusement ce soir au sens propre et figuré- la facture classique de Keep in the Dark ou plus tard Mesmerise), déjà bigrement efficaces (Shelter Song, notamment pour finir le set) et parfaitement en place (il manque juste un chouïa de justesse). Vivement Temples avec quelques années de plus. Les gamins nous colleront alors sûrement la dérouillée que leur talent laisse présager.

Comme la veille avec le combo Portishead/METZ, les organisateurs ont opté pour la rupture explosive derrière la tête d’affiche. Les furieux Cheveu enquillent donc à 1 000 à l’heure derrière les chevelus de Temples. Le contraste va à nouveau fonctionner à merveille. Après le rock un peu trop lisse des Britanniques, le déferlement de beats crasseux de l’infernal trio parisien fait l’effet d’une bombe atomique. En live, la formule est simple et foutrement efficace : une boîte à rythme diabolique qui vous martèle comme une bagarre avec un XV de France sous acide, des riffs de guitare d’Étienne Nicolas tournant comme des manèges détraqués et rappelant les Bérus des grandes heures, les lignes de synthés d’Olivier Demeaux vicelardes comme un défenseur argentin et pour achever de rendre le tout irrésistible, le chant joyeusement détraqué du formidable David Lemoine. Ça démarre par un monstrueux doublé Slap & Shot / la fin au début joué à fond les ballons, qui crée un appel d’air aspirant un public déchaîné et déraisonnablement dense. La suite ne faiblit guère d’intensité et l’on savoure avec délectation la version sous stéroïdes du déjà bien sévère Charlie Sheen ou du virevoltant Quattro Staggioni et ses étonnantes cordes. L’ambiance est punk à souhait : bond au travers des photographes, lancer des canettes, douche de whisky au premier rang et slam de poubelle. Au moins, le son répugnant de la Scène des Remparts est totalement raccord même si on peut avoir des craintes pour le prochain bilan auditif des spectateurs les plus proches. Les gusses s’offrent un petit pont plus calme de trois petits morceaux (légèrement) et puis c’est reparti pour tous les potards dans le rouge. C’est si bon que même si Lemoine annonce que Polonia sera le dernier morceau, ils enchaînent direct avec un autre pour achever le tout dans un chaos hurlant. Un grand moment de port-nawak sublimement rock’n’roll.

Cheveu nous a fait du bien aux bottes et nous repartons vers la grande scène en version haut voltage. Ça tombe bien parce que c’est Jamie XX, aka Jamie Smith, membre essentiel de The XX, qui prend les platines, après nous avoir fait faux bond en 2012 en annulant son dj set à l’Escalier pendant la Route du Rock. Des lumières embrumées, une longue silhouette toute de noire vêtue et l’ombre enfumée des vinyles placés sur les platines captivent nos regards quelques secondes avant qu’on ne se laisse emporter, les bottes rendues soudain légères par la fluidité du mix. Un début de set tout en finesse aux beats racés, d’abord mental juste ce qu’il faut, puis commençant à prendre la tangente avec un Detroit Grand Pubahs désopilant (I know you wanna do it / You know I wanna do it too / Out here on the dance floor /We can make … sandwiches) bientôt lui même court-circuité par les rotatives rythmiques à la manière d’un Helikopter /Plastikman. Autour de nous, la foule est dense et le Fort suit comme un seul homme le four on the floor, les bras levés sur les montées, la botte agile et l’œil (d’accord, plus ou moins) vif. Jamie XX sait varier les ambiances à l’intérieur d’un même set et ne pas perdre son public, l’emmenant des voix éthérées des XX aux cuivres disco, des percussions caribéennes à des lignes plus mentales, avec tout autant de fluidité qu’un bel art des relances. Efficace.

Même si une foule conséquente est encore présente pour osciller au son de Todd Terje, nous lâchons l’affaire à ce moment là. Nous préférons rester sur notre sentiment que, ce jour là, c’est la nonchalance iconoclaste qui avait la main. Nous reviendrons très vite plus en détail sur le bilan artistique et logistique de ce 24ème festival, notamment en vous parlant de ce qui s’est raconté lors de la conférence de presse donnée par les trois principaux organisateurs le dernier jour.

Retrouvez tous nos articles sur La Route du Rock, avant, pendant et après le festival ici.

______________________________

La Route du Rock Collection Eté 2014 a eu lieu du mercredi 13 août au samedi 16 août.

Plus d’1fos : http://www.laroutedurock.com/

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires