Elle s’appelle Eva-Lena. Elle aura bientôt 40 ans. Elle est prof. De suédois et d’anglais, dans un collège, elle est même professeur-principale de la troisième A. Elle est enfermée. Dans une petite pièce, où personne ne sait qu’elle est. Ni son mari Erik, ni ses enfants-ados, ni sa petite dernière.
« Hors-service » raconte le « avant » et le présent. Les retrouvailles avec Aurora, qu’elle connaissait enfant et qui est maintenant sa collègue de dessin.
Aurora est spontanée, attire les regards et les attentions, elle est pleine de vie. Elle est le contraire d’Eva-Lena.
C’est là qu’on trouve que ça coince dans un premier temps. Dans ces personnages qui ne sont pas des caricatures mais peuvent faire penser à des clichés. On imagine rapidement que son mari la trompe, que ses élèves et ses gosses sont au moins en manque de repères éducatifs …
Le tour de force est peut-être dans l’impossibilité de décrocher du récit malgré la supposée banalité de cette vie-là.
Vous n’êtes peut-être pas une femme, ni proche du milieu de votre existence, mais vous pouvez être touché par l’expérience de cette personne qui se libère en étant captive.
Les chapitres sont courts, le rythme donc enlevé même si les variations dans le temps et le côté « par petites touches » freinent de manière heureuse juste ce qu’il faut pour qu’on passe, comme Eva-Lena, d’une sensation de ridicule et de résolution rapide à une inquiétude qui gagnera enfin son pataud de mari.
Si l’histoire se passe en Suède et principalement avec des fonctionnaires du système éducatif, la description de la vie commune où les activités de chacun ont remplacé les échanges réels devraient parler à plus d’un lecteur. Sujet petit-bourgeois ? Certainement. Puisqu’on est dans les reproches, on évoquera aussi cette impression de flirt avec la démagogie dans le personnage du prof qui travaille « à l’ancienne » et est doté d’un charisme qui touche les ados avec qui il exerce. Mais si ça démange, c’est que ça touche, non ? Et on ne peut pas dire que Solja Krapu assène. C’est plutôt des interrogations qu’elle amène : Elle vous plaît votre vie à vous ?
Question commune ? Peut-être. Quand est-ce qu’on y répond ?
Hors-Service
Solja Krapu
Gaïa Editions
271p 21 €
Chez Andreï Makine, l’Histoire traverse les récits. Le grand effondrement de la société soviétique renvoie les souvenirs qui précèdent celui-ci à une époque qui semble alors antédiluvienne. « Le livre des brèves amours éternelles » est une suite de moments regardés du présent, moments courts qui durent toujours, dans la mémoire et leurs inflexions sur le flot des évènements. Les amours marquent.
L’auteur, né en Sibérie en 57, écrit en français. Sa langue a l’air facile, dans tout ce qu’elle dit sans gonflement. C’est l’apanage, sans doute, des gens doués. C’est ce qui rend du bonheur dans la lecture de choses finalement assez tristes.
L’Histoire est forcément présente en Russie, et en France où se retrouvent les Russes. Assisté à la disparition d’un régime totalitaire qui a imprimé jusqu’à votre vie d’adulte donne un point de vue qui pourrait être vertigineux. Mais ce qu’observe Makine ne paraît pas très grand, à première vue. Sauf que tout est là : dans cet homme brisé par les camps qui attend une femme mariée pour la voir passer, dans cet enfant coincé dans des gradins qui en voit une autre pleurer, dans cette jeune fille qui cherche sa grand-mère qui a connu Lénine et qui vit dans la misère, dans ce moment dans un verger stérile au milieu des pommiers tout en fleurs blanches …
C’est court. Comme l’amour parfois. Mais est-ce ce qui compte ?
Le livre des brèves amours éternelles
Andreï Makine
Seuil
195p, 18,50 €