Shannon Wright nous a bouleversés, Miossec nous a surpris : une soirée qui paraissait déséquilibrée sur le papier et qui s’est finalement révélée plus homogène que prévu, à grands renforts de déflagrations sonores et de moments touchants.
Lorsque nous avons découvert la présence de Shannon Wright au sein de la programmation du festival Mythos, nous n’avons pas pu nous empêcher de sauter de joie : Shannon Wright est l’une des artistes que nous suivons de très près depuis de longues années, album après album, concert après concert, en étant à chaque fois émerveillés par sa capacité à nous surprendre, à nous émouvoir, à nous chambouler. Et à chacune des interviews qu’elle nous a données (à (re)lire ici), elle s’est livrée de manière touchante, comme lorsqu’elle est sur scène. La dernière fois que nous l’avions vu, c’était à l’occasion de la sortie du très personnel Division en 2017.
Cette fois-ci, pas de nouvel album, et lorsqu’elle débarque avec sa six cordes sur la scène du Cabaret Botanique, on frémit à l’idée de découvrir la setlist de ce live tant attendu. Ca démarre très fort avec Plea et sa ligne de notes jouée sur les cordes basses : la tension est bien là, tout en retenue, mais palpable. Accompagnée de l’excellent Raphaël Séguinier à la batterie, le duo explose sur la redoutable doublette qui suit, extraite du brûlot Secret Blood (2010) : l’enchainement Commoners Saint / Fractured nous laisse sur le carreau, et on se bat comme on peut pour se retenir de remuer frénétiquement la tête tout en essayant de prendre des photos. On est abasourdi par la capacité de Shannon à occuper seule le devant de la scène en défouraillant des éclairs noisy : on écarquille les yeux en se demandant s’il n’y a bien qu’une guitare sur scène, étant donné l’ampleur sonore qui en sort. Le jeu de batterie de Raphaël appuie à merveille l’ensemble, avec une bluffante virtuosité et une parfaite harmonie avec le jeu de guitare.
Lorsqu’on entend les premières notes du bluesy Black Little Stray, on se dit qu’on va pouvoir prendre notre respiration, mais c’était sans compter sur ce final quasi a capella, chanté à deux mètres du micro, comme une prière gospel. Un moment suspendu qui nous colle des frissons dans tout le corps et qui nous rappelle que Shannon Wright peut vous retourner les tripes avec des explosions de pure noise mais aussi avec des mélodies déchirantes. Elle se place d’ailleurs derrière son clavier pour revisiter deux titres du plus apaisé Let In The Light, avec le brillant Defy This Love, et le mélancolique Idle Hands. Le jeu de Raphaël se fait plus jazzy puis on se laisse embarquer par In The Morning, à la guitare cette fois ci, pour clôre cet interlude tout en douceur extrait de Let In The Light.
On imagine forcément que la tornade qui va suivre n’en sera que plus ravageuse et c’est en puisant alternativement dans In Film Sound et Over The Sun que Shannon va définitivement nous mettre à genoux. The Caustic Light et son intro faussement lente qui s’emballe à la moitié du chemin, le délicieusement dissonant If Only We Could, le déchirant Portray, le décadent Who’s Sorry Now, la guitariste nous fait passer par toutes les émotions : elle a beau se cacher derrière ses cheveux, elle nous délivre toute son énergie avec une incroyable intensité, comme sur ce rappel dantesque : elle brûle les planches du Magic Mirror avec l’incandescent With Closed Eyes, qui se termine sur deux phrases (« You Save Me / Won’t You Save Me ? ») qui claquent sèchement, parfait final pour cet intense moment qu’on n’est pas prêt d’oublier. Shannon Wright est immense.
La foule se densifie aux premiers rangs, et on comprend rapidement que les spectateurs présents attendent impatiemment Miossec. Quand on pense à Christophe Miossec, on pense invariablement à la trilogie Boire / Baiser / A Prendre, sortis il y a plus de vingt ans, et qui a largement contribué à définir les contours du renouveau de la nouvelle scène française. Mais le côté brut des textes et le dépouillement musical ont peu à peu laissé place à des arrangements plus étoffés, et nous avons peu à peu décroché de la discographie du brestois. Nous avions eu l’occasion de le voir sur la scène des Vieilles Charrues en 2014, à l’occasion de la tournée Ici-bas, Ici-même : l’orchestration lumineuse et châtoyante de l’album était parfaitement retranscrite sur scène mais on avoue ne pas avoir été complètement emballés à l’époque. On a commencé à raccrocher les wagons à l’écoute de Mammifères (2016), surprenant album mêlant folk et tango, marquant la rencontre avec la violoniste Mirabelle Gillis et le guitariste Leander Lyons. On retrouve ces deux musiciens dans la création de son onzième album, Les Rescapés, paru en septembre 2018, avec un retour aux sources marqué par le minimalisme de certains arrangements.
Pas évident pour nous de s’enflammer après la monumentale dérouillée de cette première partie de soirée, mais on s’est surpris à apprécier cette heure et demie passé en compagnie du quatuor de musiciens, qui nous a offert un concert particulièrement bien construit. N’en déplaise aux habituels spectateurs qui prennent les artistes pour des jukebox (on ne hurle pas pour demander son morceau préféré à un chanteur…), la setlist est plutôt bien pensée : après l’introductif Ainsi Soit Elle extrait de Brûle et Samedi Soir au Vauban (Ici Bas, Ici Même), Miossec présente cinq titres des Rescapés, dont les excellents Je suis Devenu / Les Infidèles, avec quelques surprises dans les arrangements : le final tropical d’On meurt nous amuse beaucoup et on se prend une petite claque en découvrant la version live de La Mer, quand elle mord, c’est méchant. Le morceau, plutôt hypnotique sur album, se révèle être furieusement noisy sur scène, Christophe Miossec terminant même sur un cri.
Un concert finalement beaucoup plus électrique que ce que nous imaginions : des arrangements rock qui collent bien à certains titres, comme A Montmartre, dont l’intensité sonore initiale est décuplée sous les coups de boutoirs des deux guitares, des percussions et des machines (au passage, mention spéciale aux trois jeunes musiciens sacrément talentueux accompagnant Christophe Miossec). Miossec le dit d’ailleurs à un moment, le sourire taquin, « Shannon nous a donné la possibilité de faire du bordel », et les quatre gus prennent un malin plaisir à redoubler d’effort pour ce déluge sonore insoupçonné. Déluge qui entre d’ailleurs en parfait contraste avec les morceaux plus calmes, comme Une Fortune de Mer, La Mélancolie, ou bien aux arrangements plus subtils qu’à l’origine : Les Bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement, électrique sur A Prendre, est présenté ici dans une version acoustique du plus bel effet. Miossec reviendra pour deux rappels de trois titres chacun, avec les inévitables Je m’en Vais et Brest extraits de 1964, donc les refrains sont repris en choeur par le public. Avec en conclusion le merveilleux Nous Sommes, qui ouvre Les Rescapés, et qui clôt là un concert généreux et réussi.
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————————————————————- Festival Mythos (du 29 mars au 07 avril 2019)