Retour sur la conférence de presse de la CIMADE Rennes

C’est trempé, et à vélo, mais à l’heure que nous arrivons devant l’hôtel-Dieu. En cette fin d’après-midi pluvieuse, à l’occasion de la parution du dernier rapport rétention 2023, l’antenne locale de la CIMADE qui intervient au centre de rétention administrative de Rennes, situé près de l’aéroport de Saint-Jacques, présente le bilan de son activité. Mais avant le début de la conférence de presse, Hélène D. et Coline G., les deux intervenantes juridiques de la CIMADE, prennent le temps de nous présenter l’exposition « À l’intérieur, c’est l’enfer », une série de photographies tendant à voir et à entendre les témoignages de personnes enfermées en centre de rétention administrative.

Cimade Rennes
Cimade Rennes

Évolution du nombre de personnes enfermées

Bien que le nombre de personnes placées en rétention en France ait continué d’augmenter de façon constante au cours des dernières années, le CRA de Rennes, qui dispose de 56 places pour tout le Grand-Ouest, a connu une tendance opposée. En effet, en 2023, 565 individus ont été incarcérés (exclusivement des hommes, NDLR) contre 745 en 2022. Cette baisse significative s’explique principalement par la réduction de moitié de la capacité d’accueil due aux travaux d’aménagement réalisés dans le bâtiment au cours du premier semestre 2023.

+ d’1fos : De nouveaux travaux ont contraint le CRA à fermer ses portes pendant plus d’un mois et demi en 2024, et se poursuivront jusqu’en novembre prochain. Sur ce sujet, le collectif de soutien aux personnes sans-papiers (CSPSP35) a lancé une action contre l’une des agences de Bouygues en avril dernier pour dénoncer l’implication active du groupe, à travers ses diverses succursales, dans la construction ou l’extension d’environ une quinzaine de CRA.

Cimade Rennes

Une durée de rétention qui ne cesse de s’allonger

En 2023, la moyenne d’une période de rétention culmine à 28,5 jours, représentant une hausse d’environ sept jours par rapport à l’année antérieure. Le délai maximal de rétention, tel que stipulé par la loi actuelle, s’élève à 90 jours. Il a constamment augmenté au fil des réformes puisqu’il fut initialement fixé à 7 jours en 1981.

À Rennes, on atteint une moyenne de 18 jours en 2023 contre 16,5 jours en 2022. Une intervenante juridique de la CIMADE dénonce cette tendance. « Les individus demeurent incarcérés pour des périodes plus longues alors que les expulsions connaissent une baisse ». Selon les données récemment compilées, il ressort que 74,5 % des personnes placées en détention ont été remises en liberté par décision judiciaire, un chiffre dépassant le taux moyen observé à l’échelle nationale. Ainsi, seuls 23,5 % des individus ont été éloignés, contre 34,2 % en 2022, ce qui témoigne d’une utilisation détournée de la rétention à des fins répressives.

La CIMADE rappelle dans son rapport que « d’après l’article L741-3 du CESEDA, la rétention doit être la plus courte possible et l’administration doit exercer toutes les diligences à cet effet. Il paraît donc logique que les personnes dont les perspectives d’éloignement sont inexistantes ou très faibles soient libérées. Pourtant, au CRA de Rennes, les préfectures continuent d’enfermer des personnes en l’absence de perspective raisonnable d’éloignement, preuve de l’absurdité de la machine à enfermer. »

La récente réforme de la loi sur l’immigration adoptée en décembre dernier n’a certes pas modifié la période maximale de rétention, mais elle a introduit, selon une représentante de la CIMADE, des mesures très répressives susceptibles d’encourager l’administration à recourir davantage à la rétention tout en assouplissant « les conditions selon lesquelles les préfectures peuvent maintenir les personnes enfermées. » Depuis la réouverture du centre de rétention en avril 2024, les effets de cette loi sont observés depuis quelques semaines. Sa mise en application devrait vraisemblablement entraîner une prolongation supplémentaire de la durée moyenne de rétention.

Cimade Rennes

Les deux principales circonstances conduisant à une interpellation demeurent les contrôles d’identité et les libérations de prison. Une représentante de la CIMADE souligne l’augmentation significative du nombre de personnes conduites au Centre de Rétention Administrative (CRA) immédiatement après leur sortie de détention (40,9 % en 2023 contre 34,5 % en 2022).

L’enfermement des étrangers malades

Les deux intervenantes juridiques de la CIMADE mettent ensuite l’accent sur les problématiques liées à l’enfermement des personnes malades. Dans de nombreux centres de rétention administrative (CRA), il est fréquent que les autorités préfectorales ordonnent l’incarcération de personnes souffrant de graves problèmes de santé, tant physiques que mentaux, sans que leur état médical ne fasse l’objet d’une évaluation ou ne soit pris en considération par l’administration.

En 2023, plusieurs individus présentant des pathologies sévères (telles que le VIH, la schizophrénie, le diabète, l’épilepsie, ainsi que des handicaps moteurs, NDLR) ont été maintenus au CRA de Rennes. La prise en charge des troubles mentaux dans ces centres fait souvent l’objet de signalements et de condamnations de la part des organisations intervenant dans ce domaine. Même pour les problèmes de santé physique, les individus rencontrent fréquemment des interruptions de traitement, temporaires ou permanentes. Ils sont alors tributaires de la police pour accéder à leurs médicaments en l’absence de personnel médical. Pour illustrer ces propos, une intervenante de la CIMADE nous donne l’exemple de cette personne qui se déplace en fauteuil roulant électrique et détenue à quatre reprises en 2023 au CRA de Rennes. Privée de son équipement, elle a dû se déplacer avec des béquilles pendant la durée de sa rétention. Autre situation marquante, celle de cet individu atteint d’un cancer en phase terminale. Malgré un certificat médical indiquant l’inaptitude à la rétention délivré par l’Unité Médicale en CRA (UMCRA), la préfecture a insisté pour prolonger sa détention. Finalement, il sera libéré par le juge des libertés et de la détention (JLD).

+ d’1fos : 4 décès recensés en centre de rétention administrative en 2023.

Expulsions illégales

Pour conclure cette conférence de presse, la CIMADE dénonce une évolution significative qui se dessine en 2023 concernant le non-respect des règles encadrant les expulsions. Par exemple, certaines préfectures ont procédé à des expulsions, alors que la décision du juge administratif n’était pas encore rendue, que la demande d’asile était toujours en cours, ou bien que la Cour européenne des droits de l’homme avait suspendu l’éloignement. À Rennes, « cette pratique était quasiment inexistante jusqu’à présent, mais nous avons constaté plusieurs tentatives d’expulsions illégales », remarque une intervenante juridique de la CIMADE. Il s’agit par exemple d’une personne qui a été escortée jusqu’à l’aéroport pour une expulsion vers l’Algérie alors que son recours contre l’OQTF était toujours en cours devant le tribunal administratif. Son vol le a été annulé in extremis. Autre exemple, un Égyptien a été avisé de son départ forcé alors que sa demande d’asile était toujours en cours d’instruction. Plus de la moitié des personnes ont été libérées par un juge au cours de cette année, illustrant ainsi le non-respect généralisé par l’administration des procédures garantissant les droits des individus, des détentions injustifiées et des mesures d’expulsion illégales.

+ d’1fos : La Cimade appelle à la fermeture de tous les centres et locaux de rétention administrative, un changement de paradigme des politiques migratoires, axée sur le respect absolu des droits et libertés fondamentales des personnes étrangères. En outre, La Cimade insiste sur la nécessité impérieuse d’assurer un accueil digne à toutes et à tous

Rapport Cimade Rennes
Rapport Cimade Rennes

[06 mai 2024] – Un jour, une photo : « À l’intérieur, c’est l’enfer »

[CIMADE] : 2023, UNE ANNÉE MARQUÉE PAR UNE UTILISATION ABUSIVE DES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE ET PAR LA RÉDUCTION DES DROITS DES PERSONNES ENFERMÉES

 

 

 

 

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