On avait malheureusement manqué Tim Dup lors de son passage aux Bars en Trans en décembre dernier : les échos du concert de ce jeune étudiant parisien étant excellents, nous avions hâte de découvrir le piano-voix de Timothée lors du festival Mythos. Nous arrivons donc très tôt à l’Antipode, fort heureusement, car le concert débute tôt et se révèle être très court (une demie-heure). Logique puisque le projet de Timothée en est à ses débuts : aucun EP ou album à se mettre entre les esgourdes, si ce n’est le (très) prometteur TER Centre, qui ouvre le set : un texte d’une rare élégance à l’écriture soignée et chanté avec une diction remarquable. Pianiste de formation, puis choriste, il écume depuis 4 ans les petites salles : on comprend mieux l’incroyable aisance dont il fait preuve sur scène, seul derrière son piano. Passé récemment au français, Timothée raconte des histoires non dénuées d’humour, comme sa rencontre avec une étudiante qu’il aimerait séduire dans la bibliothèque universitaire. Des chansons plus mélancoliques aussi, lorsqu’il traine son Spleen dans les rues de Paris après les attentats. Sa voix légèrement éraillée, au timbre si particulier, s’envole souvent en fin de titre, et l’on prend alors conscience du potentiel vocal du jeune homme (Les Ours Polaires). Et avec cette aptitude à faire résonner les mots en parfaite symbiose avec le rythme de ses compositions : tantôt ballade, tantôt dansante, ses chansons, mâtinées de pop-electro, réussissent à captiver des spectateurs qui, pour la plupart, le découvrent. On espère le revoir rapidement avec un EP ou un album, histoire de prolonger le plaisir de la scène. A suivre de très près.
On trépignait à l’idée de revoir l’un de nos musiciens préférés, François-Régis Croisier. Son précédent projet, St Augustine, nous avait offert de somptueux moments de grâce, au Sambre, au Dejazey mais aussi lors de cette incroyable Carte Blanche au label Kütu Folk (Transmusicales 2011). Son tout nouveau projet s’appelle Pain-Noir et il hante notre platine depuis sa réédition en octobre dernier. Réédition puisqu’un premier vinyle en édition limité est sorti sur Microcultures en janvier 2015. L’album, enrichi de trois nouveaux titres, est paru sur le prometteur label Tomboy Lab il y a quelques semaines : on connaissait le talent de mélodiste du clermontois mais nous n’avions pas perçu la richesse de ses textes (pour les moins anglophiles d’entre nous). François-Régis chante exclusivement en français avec Pain-Noir, et la beauté des paroles, riches de double sens, résonne comme une évidence. Leur concert lors des Bars en Trans en décembre dernier s’était révélé largement à la hauteur de nos attentes : le quatuor nous a offert un sublime set, déroulant les merveilleuses pépites nichées dans ce somptueux album, avec quelques moments de grâce pure, comme ce mariage bouleversant des voix sur Le Jour Point.
Point de Jour Point ce mercredi soir à l’Antipode, pour un set (malheureusement) beaucoup plus court, mais qui aura le mérite de nous apporter son lot de surprises. La première, et de taille, concerne le line-up : la section rythmique est toute nouvelle mais Antoine Pinet (basse, claviers) et Yann Clavaizolle (batterie) ne sont pas des novices, puisque les deux officient au sein des trop sous-estimés H-Burns. François-Régis est bien entendu accompagné de l’indispensable Zacharie Boisseau à la guitare (ex-Zak Laughed). Le set est habilement construit, entre morceaux rythmés (Sterne en ouverture, Passer les Chaines) et titres plus lents (Requin-Baleine, les Sablières). Et puis il y a bien sûr La Retenue, emplie de douce mélancolie et Jamais l’or ne dure (en duo avec Mina Tindle sur album), avec sa petite ritournelle entrainante et ses choeurs diablement addictifs. Des compositions pleines de trouvailles rythmiques et mélodiques, sublimées par la voix exceptionnelle de François-Régis et les choeurs magnifiquement assurés par Zacharie et Antoine (le refrain choral sur Paredolia, sublime…).
Le set s’achève avec le merveilleux enchainement De l’île / Pain-Noir (Le soir), et sa délicate saturation finale. Dommage qu’il y ait eu des petits soucis avec le son, préjudiciable pour apprécier pleinement la finesse des compositions. Ce petit bémol ne gâchera pas le plaisir d’avoir revu ce groupe, qui nous a offert l’un des meilleurs albums de l’année 2015.
La salle ne se désemplit pas pour accueillir le très attendu trio Radio Elvis. A l’origine projet solo de Pierre Guénard, Radio Elvis est devenu trio : rejoint par Manu Ralambo (guitare) et Colin Russeil (batterie, claviers), Pierre a pour particularité d’être un ancien slameur, ce qui lui permet d’avoir une diction impeccable, le chant oscillant entre scansion et lyrisme. Diction qui nous offre la possibilité d’apprécier ses textes, largement inspirés par de nombreux auteurs comme Saint-Exupéry, Camus ou encore London. Fortement influencé par Dominique A sur les deux premiers EP, le trio parisien a élargit la palette de ses influences, de Bashung à Arcade Fire. Mais si leur premier EP, Juste avant la ruée, avait agréablement titillé nos oreilles, on n’a pas été complètement emballé par leur tout premier album, Les Conquêtes (qui vient tout juste de paraître) : les arrangements sont un peu trop léchés à notre goût, notamment le tube Les Moissons et son refrain calibré pour les radios.
Mais on va pourtant se laisser progressivement cueillir par ce trio énergique, disposé en front de scène (batterie incluse), et qui ne va pas ménager ses efforts pour faire monter l’ambiance. Le set débute par le dansant Caravansérail et ses touches tropicales et le percutant La Route. Puis le rythme s’apaise avec La Traversée et Solarium, mais en apparence seulement : le groupe joue habilement sur les variations d’intensité au sein de chacun des morceaux, avec des montées savamment orchestrées. Pierre joue également avec la puissance et le magnétisme dégagés par sa voix : la musique s’arrête souvent afin de laisser le chant résonner, pour mieux reprendre ensuite (Passé, Le Fleuve). La similitude avec le timbre de Dominique A peut perturber un peu, mais beaucoup moins sur scène que sur leurs enregistrements (Demande à la poussière). Les rythmiques sont variées, parfois singulières : ample sur Juste avant la ruée, discoïde sur Bleu nuit / Synésthésie, elles apportent leur couleur aux morceaux. Et même si le tubesque Les Moissons ne nous emballe toujours pas, il aura eu le mérite de faire monter la température d’un cran.
Et puis il y a ce morceau épique (de près de 14 minutes à la fin de l’album), Au Large du Brésil / Le Continent, aux accents post-rock, qui sera joué dans un long rappel, comme d’interminables mais délicieuses montagnes russes. Un groupe qui mérite largement d’être découvert sur scène.
Diaporama de la soirée (photos : Yann)