Samedi 22 juin 2019, l’association Kfuel organisait une très prometteuse soirée au Mondo Bizarro. Cette proposition hautement volatile a tenu toutes ses explosives promesses. Le synth punk bien sévère de Computerstaat, la no wave épurée et cinglante d’Ex Fulgur et surtout la noise rock dévastateur des monstrueux The Austerity Program nous ont littéralement propulsé en orbite. Retour sur un triple ouragan à la somptueuse fureur.
De STNNNG à Hawks, en passant par Big’N ou Distorted Pony, les concerts de Kfuel au Mondo Bizarro nous ont valu notre lot de souvenirs incendiaires. Un an tout juste après l’inoubliable prestation des derniers de cette somptueuse liste, l’association remettait le couvert le samedi 22 juin pour une soirée qui va désormais pouvoir fièrement s’ajouter à cette prestigieuse série de torgnole mémorable.
Computerstaat avait le redoutable honneur d’ouvrir le bal. Pas facile en effet de se lancer quand le public tarde à arriver et que les gens présents trainent encore au barbecue mais le duo parisien ne va pas s’en laisser compter. Avec une fougue communicative, Computerstaat défouraille pied au plancher et sans retenue les hymnes synth-post-punk vindicatifs et désabusés de leur excellent second album : In The City. Côté cour, Mathieu Rage crache, dents serrées et avec un flegme furibard, ses paroles acides, tout en nous assénant des riffs de guitare savoureusement incisifs. Côté jardin, Natasha Herzock alterne d’irrésistibles décharges synthétiques arc-boutées sur ses claviers et ballades sautillantes au cours desquelles elle hurle à tout rompre sa part des paroles. La combinaison des deux se révèle hautement euphorisante et nous colle d’emblée une bonne bouffée d’énergie qui s’avérera précieuse pour la suite. Cette excellente prestation fait encore monter d’un cran dans notre estime leur dernier album pourtant déjà fort apprécié par nos platines. Si ce n’est déjà fait, nous vous invitons fortement à y jeter vos deux oreilles.
C’est ensuite aux locaux de l’étape de monter sur scène. Le trio Ex Fulgur est en effet composé de têtes bien connues des amateurs rennais de musiques frondeuses. On y retrouve ainsi Odilon Violet au chant, Saitam aux machines et la Mistress Bomb H à la guitare. La bande enchaine parfaitement dans le ton de leurs prédécesseurs (et de la soirée). Leur post punk/cold wave cinglant et vénéneux est donc joué fort, vite et sans trop de fioritures. Ça bidouille forcément un peu du côté des synthés et de la six-cordes (on ne se refait pas ) mais on s’en tient majoritairement à l’essentiel. Menée par un Odilon Violet déchainé et très en verve, le trio enchaine sans faiblir les morceaux dans un savoureux crescendo. Leur irrésistible association de textes toujours aussi subversivement surréalistes et de spirales rythmiques vertigineuses fait encore monter une température déjà calée sur des standards tropicaux. Leur excellent premier disque Noires sont les galaxies (sorti en 2017 chez Kerviniou Recordz, Detonic Recordings et Le Secret) commence un peu à dater et la prestation proposera donc une pelletée de nouveaux titres fort prometteurs à l’exception des indispensables : Tentative de restitution de l’existence de tous ceux morts avant l’an 2133 et Nous sommes des dieux, repris à tue-tête par un public clairement très fan.
Après deux concerts de cette qualité, nous sommes donc dans les meilleures des conditions pour accueillir les très attendus The Austerity Program. En grands fans de ce duo new-yorkais formé dans les années 90 par le guitariste Justin Foley et le bassiste Thad Calabrese, nous nous sommes effectivement pincé lors de l’annonce inespérée de leur venue sur Rennes. Pour la petite histoire sachez que le groupe accompagnait Sumac pour une tournée européenne mais que le Hellfest accueillait bien ces derniers mais n’a pas souhaité programmé le duo les libérant pour une date sur Rennes. Tans pis pour Clisson et tant mieux pour nous.
Avec une telle attente, nous ne pouvons réprimer un léger sentiment de crainte de déception. Il va vite disparaître dans la tornade de feu qui s’abat sur le Mondo Bizarro. Ce qui frappe dès le premier riff, c’est le son énorme du groupe. Chaque ligne de basse, chaque riffs ou larsen de la guitare, chaque coup de boutoir de la véloce boîte à rythme est magnifié par ce son à la fois férocement surpuissant et subtilement abrasif. Ce magma sonore ultra jouissif et pourtant d’une précision chirurgical dans l’agressivité vous choppe à la gorge, vous met à terre avant de vous relever d’un vivifiant uppercut; une bastonnade musicale comme on aimerait en prendre plus souvent. Rien que ce travail sur le son est donc déjà une véritable expérience sensorielle remarquablement euphorisante. Sauf que le duo ne s’en contente pas. Dès le premier morceau Justin Foley fend la foule pour un prêche dément et vindicatif. Le charmant universitaire qui devisait tranquillement en début de soirée se transforme sous nos yeux ébahis en un prédicateur possédé hurlant à plein poumons de sa voix éraillée comme un dernier souffle une prière qui, comme l’annonce la note d’intention de leur dernier disque, n’a pas grand chose à voir avec le salut mais tout à voir avec la colère divine. Le set se déroule comme une trainée de poudre dont le seul court moment de répit viendra d’une brève défaillance de pédale. Ce petit instant de flottement nous vaudra d’ailleurs une reprise d’accélération digne d’un décollage de fusée. Le set joue beaucoup du contraste entre l’agitation frénétique du chanteur/guitariste et le calme impérial avec lequel le bassiste Thad Calabrese nous assène des rythmiques d’une puissance tellurique. Devant un public littéralement embrasé, le duo déroule un set monumental de bout en bout, que seul l’épuisement des morceaux programmés sur la boîte à rythme a pu arrêter. On en ressort essoré et conquis, heureux d’avoir participé au plus près à ce qui va sans aucun doute rester comme une des apothéoses dans la longue liste des mémorables dérouillées généreusement offerte par l’association Kfuel.
Nous n’avons jamais vu Big Black en concert, mais nous avons vu The Austerity Program. Pas sûr que nous ayons perdu au change. De nouveau, nous vous conseillons impérativement d’écouter leur monstrueux nouvel album Bible Songs 1, sorti chez Controlled Burn, encore plus radical et abrasif que ses prédécesseurs.