Le label rennais Inmybed s’est, une fois de plus, bien décarcassé pour offrir au tout récent album Finished de Thomas Le Corre, une release party à la hauteur de la délicatesse infinie du disque. C’était à la Chapelle du Conservatoire de Rennes le samedi 29 juin. Le lieu fut effectivement l’écrin parfait pour les arpèges frondeurs et délicats du monsieur mais également les aériennes et indociles mélopées de [kataplismik] et les expérimentations classieuses et cosmiques de Thomas Poli. Retour sur une soirée parfaitement fraternelle et sensible.
Cela faisait un petit moment que nous n’étions pas retourné à la Chapelle du Conservatoire. C’est d’autant plus dommage que nous apprécions tout particulièrement l’acoustique subtile et l’ambiance feutrée du lieu. Ces deux qualités étaient d’ailleurs particulièrement adaptées pour célébrer la sortie de Finished, merveilleux premier album de Thomas Le Corre en solo, dont on vous a déjà largement vanté les qualités dans ces colonnes. Les finauds du label Inmybed avaient donc déniché l’endroit parfait pour cette release party du samedi 29 juin. Ils ont également été tout aussi inspiré dans leur choix des autres artistes partageant la scène ce soir là.
Retrouver le duo [kataplismik] à l’affiche de cette release party de l’album de Thomas Le Corre résonne en effet comme une évidence : les trois compères ont partagé une tournée en 2015, et se retrouvent régulièrement ensemble (notamment lors de la soirée de sortie de Tarantula de [kataplismik] au Marquis de Sade). Ils partagent de surcroit la même passion pour la six-cordes classique, avec ce goût pour les méandres mélodiques. On ne compte plus le nombre de leurs concerts auxquels on a assisté, mais on les retrouve ce soir avec un bonheur identique, tant leurs mélodies faites de somptueuses harmonies font désormais partie intégrante de notre quotidien.
Le début du set permet la découverte de deux nouveaux titres de leur futur album Memento Mori (Marion Boulland, Mickaël Roger) qui empruntent avec délice les chemins de traverse tout en conservant cette évidence mélodique qui leur est propre. Le duo revisite naturellement son dernier EP, Tarantula, du morriconiesque Acanthoscurria Geniculata à la ballade pop Kukulcania Hibernalis en passant par le redoutable Atrax Robustus, petite pépite de rock acoustique, avec son lot de chausses-trappes et de réjouissantes accélérations.
La moiteur du moment rend les mains glissantes mais ils alternent arpèges et envolées rythmiques avec une complicité de jeu désarmante. Le triptyque final, emprunté aux enregistrements des débuts (l’EP Tendre Mort et l’album Apparence) finit de convaincre les non initiés : on redécouvre l’enivrant Virus et le chant final de Flavien, Cauchemar, petit bijou de composition retorse, et on frémit sur Ecoute, qui se conclut en déluge sonore sous les doigts de Franck, penché sur ses pédales. Avec un petit débranché final de micros qui fait son effet, et qui prouve que [kataplismik] s’apprécie tout autant sur galette qu’en live. Merci messieurs pour la parfaite ouverture de cette mémorable soirée.
Pas de hasard non plus dans la présence d’un autre bel explorateur musical ce soir là : Thomas Poli. Le monsieur est en effet responsable du son somptueux de l’album Finished. L’album a, de plus, été enregistré dans la Chapelle du Conservatoire. La boucle est donc bouclée. On connait d’abord le bonhomme pour sa science consommée d’un jeu de guitare fiévreux, atmosphérique et minutieux en compagnie de Laetitia Schériff, Dominique A ou Montgomery mais, pour l’occasion, il présentait un set en solo à base de synthétiseurs analogiques dans la lignée de son très spatial album Candor Chasma, sorti en octobre 2017 sur son propre label Inpersonnal Freedom. Il joue ce soir là plongé dans une obscurité quasi-totale. Seules quelques lampes éclairent chichement son étonnant amoncellement de machines mystérieuses bardées de fils multicolores et de potards.
Thomas Poli nous avait déjà récemment offert un splendide voyage sonore lors de la dernière édition du Spring Rec au Jardin Moderne. Cette nouvelle étape va s’avérer tout aussi dépaysante. Ce qui est assez merveilleux dans ce projet, c’est la façon dont le bonhomme arrive à refaçonner sa musique à chaque concert. Nous avons eu la chance de le voir à moult reprises et, à chaque fois, il a autant réussi à nous enchanter qu’à nous surprendre. Cette nouvelle étape de ces explorations cosmiques ne fera pas exception. Pour rester dans le ton intimiste de la soirée, les nappes synthétiques du monsieur se font particulièrement éthérées et langoureuses. On sent qu’il met aussi la pédale douce sur les rythmiques pour garder ses auditeurs dans un très agréable cocon sonore. Quelques petites sonorités bruitistes et autres craquements statiques viennent tout de même nous taquiner subtilement (on ne se refait pas) mais la bulle fascinante dans lequel il nous a enveloppé n’éclatera qu’au final d’un set une fois de plus riche et inspiré.
C’est donc enfin à Thomas Le Corre de venir conclure cette soirée tout à la gloire de son album qui figure d’ores et déjà en très bonne place parmi les plus belles choses que nous ayons écoutées cette année.
Seul sur sa petite chaise sur la scène de la Chapelle, il nous semble de prime abord bien éloigné. Ce sentiment d’isolement ne dure fort heureusement pas. Dès que ses doigts parcourent les six cordes de la première de ses guitares, le charme si particulier de sa musique nous rapproche instantanément. Dans le vaste espace du lieu, nous sommes à la fois ensemble et seuls avec Thomas Le Corre et c’est beau. On chavire sous l’élégance dégingandée de ses arpèges à la fois fragiles et virtuoses. On se laisse emporter par ses lignes de basse impérieuses mais jamais autoritaires. Nous ne comptons plus les concerts où le souffle de liberté et la délicate poésie de ses compostions nous ont transportés mais il faut avouer que le concert de ce soir là fut tout particulièrement touchant. La grande réussite du disque, le caractère un peu solennel de l’endroit et la présence nombreuse de camarades de l’artiste (et de la famille) ne sont sans doute pas pour rien dans le petit supplément d’émotion qui fait vibrer la salle encore un peu plus fort que d’habitude.
Le monsieur a beau pester contre la chaleur qui rend les frettes traitresses et les accordages encore plus improbables, rien ne vient rompre le plaisir et la magie d’un concert parfait. Car oui, même les pains (tellement nombreux pour l’occasion au goût du musicien qu’il proposera malicieusement d’ouvrir une boulangerie) sont parfaits chez Thomas Le Corre. L’art de l’accident n’est pas la moindre des qualités du bonhomme. Le set nous laisse en suspension totale d’un bout à l’autre et se termine sur l’épatante reprise de Boys Don’t Cry dans une version particulièrement débridée qui nous rend particulièrement difficile la tâche de rester fidèle au titre de la chanson de The Cure.
Bravo à Thomas Le Corre d’avoir terminé en beauté une soirée qui n’en manquait pas. On remercie également très chaleureusement Inmybed, le Conservatoire de Rennes, [kataplismik] et Thomas Poli, pour avoir permis que cette fête soit largement à la hauteur d’un disque qui tient désormais une place toute particulière dans notre discothèque comme dans nos petits cœurs.