« En Mai, fais ce qu’il te plaît… » Il faut croire que certains ont pris au pied de la lettre ce dicton météorologique quand d’autres l’ont reçu en pleine tête. Petit rappel des faits.
En ce 5 mai 2017, pendant que la France peine à se remettre d’une gueule de bois aux relents nauséabonds (Macron et Le Pen sont qualifiés pour le second tour des présidentielles), l’interpellation d’un jeune homme, soupçonné de trafic de stupéfiants, par le chef de la BAC de l’époque de Rennes va mal se passer. Puisque tout a déjà été écrit ici, là et encore là, on vous la fait courte : une résistance passive, un doigt dans l’œil, une clé d’étranglement(1), un coup de genou en pleine tête et un visage qui embrasse – non pas un flic – mais un poteau(1) et puis une fois au poste, un dépôt de plainte pour des présumés coups et enfin, un procès-verbal totalement farfelu. L’énumération factuelle des événements, les uns à la suite des autres, nous pousserait presque à nous demander s’il ne régnait pas comme un sentiment d’impunité chez quelques-uns… Mais manque de bol ou coup de chance – rayez la mention inutile – une partie de la scène est filmée et enregistrée. Comme quoi, on est mauvaise langue ! La vidéosurveillance a parfois du bon. (Relire notre article : Vidéosurveillance à Rennes : un rapport démontre son inefficacité !).
Résultat des courses, fin juillet 2017, quand Bison Futé voit noir en plein chassé-croisé estival, les magistrats voient rouge et déclarent l’ex-patron de la BAC coupable de faits de violence, faux en écriture publique et dénonciation calomnieuse. Gwendoline Tenier (Relire notre article : « La justice est une machine à broyer les gens » ) était alors l’avocate de la victime, Christopher (*). A quelques jours du procès en appel, retour in-situ sur l’affaire.
D’une banale interpellation aux assises ?
Christopher va dénoncer les violences dont il a été victime au cours de sa garde à vue. Afin de prouver sa bonne foi, une arcade ouverte et un nez qui saigne n’étant pas des preuves infaillibles(2), il indique lui-même la présence de caméras de vidéosurveillance. Les images ne laissent planer aucun doute. Les supérieurs hiérarchiques puis le procureur de la République sont prévenus. Ce dernier ouvre une enquête préliminaire à l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale ) qui va conduire à la saisie des enregistrements et à plusieurs auditions de témoins.
C’est après avoir été interrogé par les bœufs-carottes et grâce au conseil d’un de ses proches que Christopher appelle Gwendoline Tenier. Après leur premier entretien, elle nous avoue avec un naturel désarmant sa réaction. « Je vais vous dire quelque chose de simple. Cela faisait longtemps que j’attendais ce moment. D’autres clients m’ont déjà témoigné des agissements de la BAC sans qu’ils puissent faire quoique ce soit, sans qu’ils aient le courage d’aller jusque là(1bis) alors même qu’ils avaient la tête en vrac… » Pour elle, ce procès doit briser l’omerta qui règne sur ces violences(2). Du moins, auprès du grand public…
Un peu perdu, désemparé presque, Christopher ne sait même pas s’il peut se considérer comme une victime dans l’histoire. « Dans sa tête, c’était clair. Porter plainte contre le chef de la BAC n’aurait servi à rien. » Et pour cause ! Il faut rappeler l’ambiance poisseuse qui existait à l’époque dans notre capitale Bretonne. Serge Bourgin, militant Sud PTT 35, l’explique clairement(4). « A la suite de plusieurs plaintes déposées contre les violences policières seulement une seule n’a pas été classée sans suite : celle de l’étudiant qui a perdu un œil à cause d’un tir de LBD(+d1fos) […] Toutes les autres ont été classées sans suite, notamment la plainte déposée par un des responsables de Sud-PTT victime de coups de poing d’un membre de la BAC, visible très facilement sur un reportage de TVRennes… » Et surtout, personne n’a oublié Babacar Gueye, ce jeune homme tué le 3 décembre 2015 de cinq balles tirées par un policier de la BAC(+d1fos) dans le quartier de Maurepas.(+d1fos)
Du côté de l’institution judiciaire, l’enquête avance. On se rend compte des nombreuses incohérences dans les procès-verbaux. Ça ne colle pas, ça sonne faux. L’affaire prend une dimension tragi-comique puisqu’un ′faux en écriture publique′ peut aussi être considéré comme un crime et jugé aux assises, avec quinze ans de réclusion encourus, voir l’article 441-1(+d1fos). Au vu des éléments, Nicolas jacquet, le procureur de Rennes lui-même, décide d’entamer des poursuites judiciaires contre l’ex-chef de la BAC.
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Procès en catimini ?
Quelques jours avant l’ouverture du procès, une confiance toute relative règne dans le bureau de l’avocate. « Je suis confiante sur une déclaration de culpabilité. Par contre, j’ai plus de craintes sur la sanction. » D’autant plus que la date n’est pas anodine. Elle tombe – comme par hasard – en plein mois de juillet quand les Français·e·s décrochent des actualités, la tête tournée vers les vacances et les yeux dans l’eau. C’est d’ailleurs bien pour cela que nos politiques aiment cyniquement cette période pour faire passer en douce leurs lois impopulaires. A l’heure où les journaux ouvrent leur ′Une′ sur la météo des plages polluées par le tourisme de masse et sur le drogué vainqueur d’étape du Tour de France, Gwendoline Tenier n’est pas dupe. Avec l’accord de son client, elle va prendre le taureau par les cornes et alerter la presse. Il faut MÉ-DIA-TI-SER. « Il est important que les citoyen·ne·s puissent être les témoins directs d’un dossier tel que celui-ci. Il faut aussi que le ministère public qui va demander une peine ainsi que le président qui la prononce sachent qu’ils sont regardés. »
Comme un coup de pression finalement. Une vidéo comme preuve n’est pas une fin en soi pour obtenir une légitime réparation. On a encore en mémoire ce point presse ubuesque du préfet d’Ille-et-Vilaine venu contesté toute volonté d’agressivité malgré des images tournées par France Télévisions(+d1fos) montrant des manifestants et des journalistes victimes de violences policières(+d1fos) sur la rocade.
Y a de la rumba dans l’air…
20 juillet 2017. L’été bat son plein. Un tremblement de terre secoue le monde musical prépubère, Linkin Park(+d1fos) vient de perdre son frontman tandis qu’un vrai séisme tue deux personnes sur l’île grecque de Kos. Plus près de nous, c’est le jour J ou le jour P du procès. Tout le monde est convoqué à 14h au tribunal. Mais comme dans une salle d’attente d’un médecin généraliste, on ne sait jamais trop quand viendra notre tour. Il faudra attendre plus de 5 heures avant le début des hostilités. Christopher est accompagné de sa sœur et quelques syndicalistes sont venus lui prêter main forte. Dans le camp d’en face, une trentaine de policiers en civil, de différentes unités rennaises, notamment des sections d’intervention, assistent à l’audience. Le rapport de force semble déloyal. « Ils occupaient pratiquement toute la grande salle d’audience. Ils étaient venus avec leurs armes de service, ce qui est assez… particulier. » En attendant, on sent des regards qui intimident, qui toisent, qui fixent et qui défient.
Selon Gwendoline Tenier, la présidente du tribunal, Véronique Lanneau, mène l’audience d’une main de maître. Cette dernière connait le dossier dans les moindres détails. Pendant plus de deux heures, elle « va reprendre chaque élément, un à un, afin de mettre le policier en face de ses contradictions. » Quand la pénaliste évoque à son tour sa confrontation avec ce dernier, l’image d’un combat de boxe nous saute aux yeux. « Il ne fallait pas jouer petit bras, c’était impossible. Quand je me levais pour aller poser des questions, j’étais là pour en découdre. »
Gwendoline Tenier se retrouve ainsi à tenir le rôle de l’avocate de la Défense. Alors que l’on diffuse les images de la vidéosurveillance, un malaise s’installe dans la salle. « Je pense que beaucoup de ses collègues ont découvert à ce moment-là la réalité du dossier. » Mais malgré l’évidence, l’ex-chef de la BAC est « incapable de reconnaître les faits qu’on lui reproche ». Il a sa vérité et tente de légitimer un comportement adéquat(3). « Habituellement, on exige du moindre prévenu une reconnaissance de culpabilité, un aveu. Là, on n’a rien obtenu. De la part d’un homme dépositaire de l’autorité publique et censé assurer notre sécurité, il y a de quoi s’inquiéter… » Pendant sa plaidoirie, Gwendoline Tenier assène son dernier coup. « J’ai alors demandé en me tournant vers les policiers venus en nombre s’il fallait avoir des doutes sur la manière dont avaient été rédigées toutes les autres procédures… »
De son côté, le procureur de la république de Rennes martèle à qui veut l’entendre que ce « dérapage n’est pas un dysfonctionnement institutionnel, mais individuel » et que « tous les acteurs de la chaîne pénale ont assumé leurs responsabilités ». Bref, dormez tranquille, braves gens, il ne s’agirait que d’un acte isolé. Ouf, nous voilà rassurés ! Il requiert dix mois de prison avec sursis.
Épilogue
Conformément au réquisitoire, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné l’ex-patron de la Bac à une peine de prison de dix mois avec sursis pour violences volontaires, faux en écriture et fausse dénonciation. Le policier devra également verser 1800 euros d’amende à la victime au titre du préjudice moral. Cette condamnation laisse malgré tout un goût d’inachevé pour Gwendoline Tenier. « J‘aurais plutôt voulu entendre une interdiction d’exercer. On l’a relégué au service de nuit. Vous savez, là où on ne voit plus rien, quand plus personne ne vous surveille. Personnellement, cela ne me rassure pas… »
MISE A JOUR du 21/03/2018 : Le chef de la Brigade anti-criminalité (Bac) de Rennes s’est désisté de sa procédure d’appel après sa condamnation, en première instance, le 20 juillet dernier, à 10 mois de prison avec sursis pour des « violences », « faux en écriture publique » et « dénonciation calomnieuse »(+d1fos).
Condamnation de 10 mois de prison avec sursis et 1800€ d’amende pour le chef de la BAC #Rennes, service de police qui règne par la violence. pic.twitter.com/VmRdTZPbRm
— Jim (@Jim_DV) 28 juillet 2017
(*) : Prénom d’emprunt.
(1) : Propos rapportés par Coup de genou et faux PV à Rennes : « Un deuxième agent arrive, aide Philippe J. à écarter sans ménagement un client qui faisait mine d’approcher, puis à redresser Benjamin grâce à une « clé d’étranglement » pour le tirer hors du PMU […] Deux témoins ont raconté aux enquêteurs que Philippe J. avait frappé la tête de Benjamin dans un poteau. Le policier, lui, soutient qu’il « s’est jeté contre le réverbère »
(1bis) : Propos rapportés par Coup de genou et faux PV à Rennes : « « Des clients ont pu me dire que les choses ne se passaient pas bien » avec la BAC, raconte-t-elle, sans qu’ils aient « le courage d’aller jusque là ».
(2) : Propos rapportés par l’Humanitié : « le jeune qu’il vient d’interpeller a l’arcade ouverte et saigne du nez. »
(3) : Propos rapportés par OF : Rennes. 10 mois de prison avec sursis requis contre un policier : « Le policier parle de sa vérité, légitime un comportement adéquat. »
(4) : Propos de Serge Bourgin, publiés en juillet 2017 dans la tribune « 10 mois avec sursis contre le chef de la BAC de Rennes. Une condamnation très… politique ! »
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Un peu d’humour dans la rédaction de ce monde de brute. Bien bien mais la sanction est un peu légère vu les faits reprochés. Quel aurait été le verdict dans le cas inverse??????