Naître en Irlande, Donal Ryan raconte les 9 mois d’une vie à venir

Donal Ryan nous parle de l’enfantement dans son dernier roman paru chez Albin Michel, Tout ce que nous allons savoir.

De semaines en semaines se déroule le scénario de Tout ce que nous allons savoir, dernier roman de l’Irlandais Donal Ryan. C’est le scénario le plus simple de la vie : il commence le premier jour de la conception d’un bébé, il se termine le jour de l’enfantement.

Paradoxalement existe-t-il dans la nature un scénario plus complexe, plus délicat à conter que celui d’une femme, qui à la septième semaine va sentir quelque chose d’imperceptible, un mouvement, un léger déplacement, le poids de l’ombre.

Cette ombre va bousculer toute une vie, celle de Melody la future maman, mais il faudra attendre le terme du neuvième mois pour célébrer sa naissance.

Dans ce roman, une autre ombre plane, celle des gens du voyage. Martin Toppy a dix sept ans, il est le père de l’enfant à naître, et son propre père est une personnalité reconnue de la communauté du voyage. Les tensions sont palpables dans la petite cité irlandaise. Que s’est-il passé entre Melody Shee, et Pat son mari ? L’ombre de la maman de Mélody affleure aussi, cette parole s’est tue quand elle avait 14 ans.

Donal Ryan s’est emparé de ce scénario, pour parler aux femmes, à deux femmes, l’une Mary, essayant désespérément de concevoir, et de sentir s’arrimer le fœtus, comme après une délicate couvaison, puis une autre femme Melody qui après deux fausses couches a senti son ventre se réveiller.

Donal Ryan

Dans la plupart des romans on identifie facilement les bons des méchants, on les suit, on les traque, jusqu’à leur faire avouer leurs dernières lubies, perverses ou miraculeuses. Avec sa voix de stentor Ryan réveille l’humanité de chaque personne, mêle et entrelace leur histoire familiale, dans sa multiplicité douce ou orageuse. Les coups de sang en majuscule dans le texte, frémissent de cris et de jurons comme ceux de vieux routiers. Dans le cœur de chacun de ses personnages qui tour à tour sera cruel ou généreux, sourd ou attentif, fidèle ou infidèle, la complexité des sentiments des femmes et des hommes est restituée. Leurs capacités aussi d’être des hommes justes ou de piètres parents. Ryan ne fait pas de cadeaux lorsqu’il fait dire à Melody : « j’ai toujours été une salope mais maintenant je suis une salope cinglée. Une vraie salope devenue folle. Et aussi une pute, au fait.« 

Il ne fait pas non plus de cadeaux à l’entourage familial, quand il se fait l’écho des non-dits. « Le soupçon courait, elle le savait au fond de son cœur et de son âme, selon lequel elle aurait été flétrie de l’intérieur par un autre homme et les Clothery auraient été au courant depuis le début qu’elle ne pouvait pas accueillir la vie dans son ventre et ils auraient dupé tout le monde. » Donal Ryan anime au diapason du récit, la langue anglaise avec une dextérité d’acrobate et de jongleur, passant de la boutade (« Tout ce qu’il a rapporté de l’école, c’est des poux ») à de la tendre ironie (celle du père moqueur qui tendrement s’amuse à dire à sa fille « tu as failli pleurer devant tant de gentillesse, tu as la vessie près des yeux. »)

Deux histoires qui se nouent et se dénouent avec justesse, comme une délicieuse façon de tendre la main pour caresser le ventre qui s’arrondit pour apaiser une blessure qui n’en finit pas de sourdre. Les affres que suscitent la désintégration du couple de Mary, comme les rapports devenus difficiles de Melody avec Martin Toppy le futur père de l’enfant, sont vécus à travers des mots où s’impriment la délicatesse de Donal Ryan.

La joie, peut-être le bonheur, la vie sûrement s’imposent avec une clarté bleutée que nous parcourons les yeux écarquillés, parfois un peu chiffonnés d’avoir trop lu. On ne saura jamais tout, ni tout ce qu’il fallait savoir, car l’essentiel nous échappe, l’émotion est si dense et si intense que les mots nous fuient, mais le plaisir du lecteur nous le portons très haut, le cœur meurtri et l’esprit conquis.

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