Littérature : Percin, Trouillot, Tesson

Article par Annop

Le premier été, l’été originel. A quel été, quel commencement Anne Percin nous convie-t-elle ? Le mystère est dans le titre et s’épaissit au fur et à mesure des pages. Mieux, elle nous mène avec intrigue vers un dénouement étrange et insoupçonné.

« Tu ne te souviens sûrement pas de cet été-là. Il n’y a pas de raison pour que tu t’en souviennes, je suppose. C’était un été comme tous ceux que nous avons passé à Sainte-Marie depuis notre enfance, du moins depuis l’âge des premiers souvenirs. »

Catherine est une jeune femme de trente ans qui vit à la ville, est devenue solitaire, pas bavarde et s’adresse à sa sœur aînée qui, elle, a fondé une famille. A la mort du grand-père, elles retournent dans cette maison de Haute-Saône où elles passèrent tous leurs étés d’enfants avec leurs grands-parents. Vider la maison des affaires des disparus est l’occasion pour Catherine de l’aveu de ce avec quoi elle vit depuis l’adolescence.

C’est avec brio que l’auteur pose les briques d’un mystère insondable (cf son blog « Another brick in the wall »). Aux troubles de l’adolescence, Anne Percin répond par une écriture pas bavarde, droite, honnête. Si certains connaissent Anne Percin grâce à ses romans pour les adolescents, ils lui reconnaissent peut-être ce verbe précis, le style concis et la narration qui balade son lecteur.

Anne Percin
Le premier été
Editions du Rouergue, coll. La brune
16 €

LyonelTrouillot

Tout chez Lyonel Trouillot est mystère et invitation. Je ne crains pas les reproches des lecteurs avisés à l’idée d’avouer que je ne comprends pas tout dans les livres de Lyonel Trouillot.

Le Y de Lyonel et les noms de ses personnages, les lieux peu décrits qui, s’ils l’étaient, n’évoqueraient rien de connu de moi, les ressorts narratifs qui paraissent des soubresauts ou des fins et n’en sont pas. Alors pourquoi lire pas un, mais plusieurs livres de cet écrivain haïtien bien connu des lecteurs habitués du festival Etonnants voyageurs de Saint Malo ? Pour entrer dans un territoire étranger sans certitudes, ni au début, ni à la fin. J’ai lu la belle aventure humaine comme on lit une langue étrangère. On boit sa poésie, on entend de beaux sons et on devine les beaux sentiments. D’aucuns trouveront, c’est certain, un sens précis, une interprétation. Je continue à lire non pas une, mais des interprétations, une porte ouverte.

La belle amour humaine est aussi une invitation. « La mer avait été plus généreuse que d’ordinaire, et les pêcheurs avaient fait dans la journée une telle provision de sardes et de langoustes que, le soir venu, de retour au village, après avoir rangé leurs barques et rassuré leurs compagnes, ils consacrèrent leur temps à des chansons de mer, et, le regard levé vers les constellations, ils ne virent pas brûler les flammes de l’incendie. ». Lyonel Trouillot est Haïtien, et comme les grands Caribéens de sa génération et de la précédente, le papa incontesté Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, nourri par un créole sempiternel et poétique. Pas d’exotisme ou de catastrophisme en ce qui concerne Haïti, mais une force tellurique des personnages et de la langue.

Les personnages ouvrent les deux chapitres du roman, comme pour Yanvalou pour Charlie, Anaïse et Thomas. Comme deux monologues, des dialogues à contretemps, Thomas raconte la vie sur l’île et ce pour quoi Anaïse est venue sur l’île, dans ce port de pêche haïtien où la voiture de Thomas l’emmène. Elle tient à en découdre avec l’histoire familiale, le mystère qui plane sur un incendie et la disparition de deux hommes.

Pas de réponses toutes faites aux questions du monde, mais un formidable récit où plane l’amour du prochain, la complexité des sentiments, la tolérance, des mots parfois galvaudés, ici au service de la belle amour humaine.

Lyonel Trouillot
La belle amour humaine
Actes Sud
170p, 17 €

sylvain-tesson

Quel beau projet que celui de l’écrivain voyageur Sylvain Tesson ! Auteur de plusieurs ouvrages d’aventures, un écrivain voyageur (à vélo, à cheval, à pied, sédentarisé) qui s’est spécialisé dans le récit de ses pérégrinations. Il en a fait un métier, il est entré en écriture, ambition littéraire consacrée par la publication de son dernier ouvrage dans la mythique collection blanche des éditions Gallimard. Fort de son expérience de la Russie (Nouvelles de Sibérie, Phébus), du lac Baïkal (Lac Baïkal : visions de coureurs de taïga, Transboréales), des grands espaces (La chevauchée des steppes: 3000 km à cheval à travers l’Asie centrale, Laffont), il décide en 2010 de réaliser un voyage immobile qui durera 6 mois, de février à juillet dans une cabane de 9m² au bord du gigantesque lac Baïkal. Son projet : mesurer le temps qui passe à l’aube de ses quarante ans.

Le halo de médiatisation qui entourait ce journal, Dans les forêts de Sibérie, n’est pas étranger au choix de cette lecture. L’envie d’aventures aussi, l’éloignement, l’extraction du quotidien, le retour à la nature. Et c’est bien à partir de ce mythe, séduisant comme il peut être factice, que j’ai entrepris avec une vraie délectation la lecture de ce texte en savourant les listes dressées dès le début. Les vivres qu’il emporte avec lui. Le matériel qui lui est nécessaire au fil des changements de saison. Les livres, nombreux, qu’il emporte pour son ermitage.

L’ambition littéraire et la morale de l’absolu sont vite apparues dans le texte. Les pesanteurs des phrases sous forme de poncifs, parfois contradictoires, la vanité que l’auteur a de se décrire plus que de décrire l’autre, ce qui l’entoure, et cette nature censée être omniprésente m’ont lassée. Je lis au fil de l’eau la volonté littéraire de s’inscrire dans la grande tradition à grands coups de citations. Le besoin de s’affilier à l’ « ermite » qui vit dans sa « cabane » à force de répétitions.

Si la lecture de certaines situations, l’humour et la distance dont l’auteur fait preuve en de nombreux endroits ont rendu le tout plaisant malgré tout, j’ai tendance à lui préférer un autre type d’écrits. L’apologie de la nature du humble et merveilleux Almanach d’un comté des sables qu’Aldo Leopold, employé du service forestier américain, a tenu durant une partie de ses 19 ans d’exercice. L’apologie de la pêche et de la proximité avec la forêt, des nature writers américains ou même dans les romans de Jim Harrison, mais plus encore dans le bijou de délicatesse de Richard Brautigan : Mémoires sauvés du vent. La nature naturellement omniprésente.

Sylvain Tesson
Dans les forêts de Sibérie
Gallimard
267p, 17.90 €

3 commentaires sur “Littérature : Percin, Trouillot, Tesson

  1. Caro

    Merci Annop!!! Tout ça donne très envie, je vais commencer par me jeter sur le nouveau Tesson dans sa cabane, dont j avais suivi avec délectation la chevauchée de pipeline en vélo dans son « Éloge de l’énergie vagabonde ».

  2. Julien

    pour le Tesson, il y avait le documentaire qui a été diffusé sur France 5, qui m’a permis de mettre des images sur l’écrit, splendide !

  3. Fix

    Pas de Goncourt mais un Médicis.

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