L’actualité a un côté vulgaire. Pour la musique et la littérature, c’est à peu près la même chose. Il n’y a rien de plus détestable que lorsque on nous vend de la culture prè-machée, pré-digérée. Les seules productions qui méritent notre attention, sont celles, artisanales qui respirent l’authenticité. Une des conséquences fâcheuses de cette tendance négative est d’écrire pour Alter1fo. A contrario, la conséquence positive, est de tomber béat d’admiration sur des petits bouquins qui viennent du fond du coeur et qui illuminent mes longues et humides journées d’hiver.
Le premier de ces livres est « Attendre avant de crever » de Karine Médrano qui nous livre 17 nouvelles cruelles et acerbes. Inutile de plagier Dante, ce n’est pas la porte de l’enfer qui s’ouvre à vous même si l’espérance s’est bel et bien envolée. Le récit débute à l’aube des années 80 près des Halles, haut lieu de villégiature d’une jeunesse parisienne turbulente où il est question d’un ex-petit ami junkie plus obnubilé par le citron de son futur fix que par son ancienne copine. A l’instar de celle qui ouvre le bal, l’action de ces nouvelles se passe principalement à Paris ou dans sa banlieue proche et les protagonistes se situeraient plutôt du mauvais côté de la matraque. Par opposition à leur homologues masculins, les personnages féminins sont des femmes fortes même si elles doivent porter le lourd fardeau de leurs existences sur leurs frêles épaules. Les femmes occupent donc le devant de la scène. Elles se battent mais plus avec leurs tripes qu’avec leurs petits poings. Dans les nouvelles les plus prenantes on y retrouve les tourments typiquement féminins, comme l’arrivée inopinée des menstrues, un accouchement difficile ou encore les tracas d’un périnée paresseux.
Elles sont noires ces nouvelles bien sur mais aussi tendres et drôles. On rit souvent de bon cœur, un peu jaune sans doute, mais sans arrières pensées. La musique et le rock sont omniprésents. Un coup, on se trouve en train de se battre avec les membres des « Vers Solitaires » en pleine zone sur le parking du Plan à Ris-Orangis. Une autre fois, on évite les démêlés avec des skinheads chauffés à blanc par les railleries des copains et des copines. Ici ou là, mêlés dans le récit on peut croiser des bouts de lyrics de certaines chansons qui pourront transformer le lecteur averti en Indiana Jones de la chose Rock. Enfin une mention spéciale à la nouvelle : « Le premier train de la banlieue », je ne verrais plus jamais les chiottes de chantier qui parsèment les festivals de la même manière… Jubilatoire !!
La deuxième perle de cette sélection bi-céphale, est le « Zinédine Spencer » de François Pontonnier. François va devenir père, alors se bouscule en lui une multitude de sentiments contradictoires. Mais François veut bien faire, il veut le meilleur pour son futur fils. Et le meilleur qu’il a à proposer ce sont ces deux grandes passions, le foot et le rock. Il va donc tout mettre en œuvre pour initier et éduquer son fils dans ses deux domaines de prédilection. Cette paternité est bien évidement un prétexte. Dans la vraie vie, il suffit d’essayer d’orienter un de ses enfants vers, disons la boxe, pour qu’il choisisse la danse classique. Les enfants sont des empêcheurs de tourner en rond qui ne se construisent qu’en opposition avec leurs parents. Mais on les aime … enfin je m’égare. Je disais donc, que François Pontonnier joue habilement avec son envie d’éduquer sa progéniture pour nous parler de ses 2 passions avec emphase.
Pourquoi « Zinédine Spencer » me diriez vous ? C’est assez simple, c’est le nom que François veut donner à son fils. Zinédine pour Zinédine Zidane, et Spencer pour Jon Spencer, l’explosif joueur de Blues. Bref, le gamin est salement mal parti dans la vie .. enfin sauf s’il se lance effectivement dans le foot ou dans la musique .. encore que … Bref, je vais passer rapidement sur les conseils footballistiques vu que je n’y comprends que couic .. mais de toute manière l’auteur reconnaît lui même que ce n’est sans doute pas la meilleure voie. Il reste donc le rock, où il y a finalement plus d’élus que chez les sportifs.
Le reste du livre est donc, une succession des ces mille petits riens qui font que les amateurs de rock sont si agaçants et si attachants à la fois. François Pontonnierparle donc de ses artistes préférés (John Spencer Blues Explosion, Pixies, Jesus Lizard, etc.), des meilleures reprises, des concerts fabuleux qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte, avec ici une mention spéciale pour le concert de Jon Spencer à l’Olympic de Nantes : « Ta maman, ravie, vraie gamine, alternait petits cris suraigus et appels désespérés « Jon ! Jon! » Les rappels terminés, ta maman en t-shirt, les joues encore roses d’excitation, me piquait ma bière, prétextant qu’elle en a trop besoin. Croisant à nouveau mon regard, elle déposa sur mes lèvres un baiser furtif et lâcha définitive : « Tu vois, ça c’est un vrai mec ! » …. Jon Spencer :1, papa : 0 ».
Enfin le livre se clôt sur une descente dans un de ces vide grenier où tout amateur de disque vinyle se transforme en chasseur avide. Chaque échoppe peut au détour d’un capharnaüm devenir la caverne d’Ali Baba ! Le coeur s’emballe devant des pépites dont le vendeur ne soupçonne même pas l’importance. Les brocantes, sont encore un bon moyen pour le mélomane de trouver de quoi assouvir ses terribles addictions.
Les amateurs de romans noirs et de musique devraient largement trouver leur compte dans cette superbe sélection hivernale ce qui prouve une nouvelle fois qu’il est tout à fait possible de trouver de la bonne littérature en dehors des rayons des supermarchés. Si les brav’s gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux et que vous refusez néanmoins de vous marginaliser, vous pouvez juste envoyer un mail aux auteurs pour vous procurer ces deux excellents ouvrages.
Karine Médrano : karinemedrano@free.fr
François Pontonnier : pontonnier.francois@orange.fr