Un samedi soir aux IndisciplinéEs : une soirée à l’Espace Cosmao Dumanoir qui affichait complet et une redoutable affiche qui a tenu toutes ses promesses, avec une mention spéciale pour les formidables Alt-J.
Notre soirée débute par un passage aux Studios pour y découvrir le résultat du concours de Nouvelles Rock, organisée par l’association rennaise Le Café Castor, et assister à la rencontre avec les membres du jury (anecdotes savoureuses à l’appui, nous y reviendrons prochainement sur notre site). Et pour découvrir aussi le résultat du concours photographique Jean-Pierre Leloir (le gagnant est Rock is not Dead par Pascale de la Orden) : de magnifiques clichés (portraits, photos de concerts…) comme autant d’instantanés du rock. Une très belle exposition à découvrir aux Studios jusqu’à la fin novembre.
Puis direction l’Espace Cosmao Dumanoir pour une soirée que l’on attendait avec impatience, tant l’affiche semblait diablement excitante. Premier objectif, ne pas rater une seule seconde du premier concert, celui de The Cast of Cheers, l’une des révélations de nos écoutes pré-festival. Le quatuor irlandais mené par les frères Adams nous a scotchés avec l’album Family. Et leur concert s’est révélé largement à la hauteur de nos espérances. Le groupe commence son set avec Human Elevator, l’un des morceaux les plus tranquilles de l’album (tout est relatif), puis accélère le tempo et la déferlante sonore avec le terrible Animals et le chant rageur de Conor et Neil Adams. Des petits riffs de guitares à la Foals, un chant très proche par moments de celui de Kele Okereke de Bloc Party, et des mélodies composées malicieusement, le tout donne des titres sautillants et terriblement addictifs. Et puis il y a le tubesque Family qui a fait rugir de plaisir notre platine et qui se révèle encore plus efficace sur scène : une petite intro math-rock, puis c’est parti pour trois minutes jouissives sur une rythmique infernale menée par le batteur hors-norme Kevin Curran et le bassiste John Higgins.
Seul petit bémol : le set est peut-être un poil répétitif, car le groupe joue massivement un post-punk efficace, certes, mais qui donne parfois le sentiment de déjà-vu. On a clairement préféré les moments plus math, les dissonances des guitares et les choeurs à contre-temps. Leur premier album, Chariot, était dans cette veine : on ne peut pas leur reprocher de viser un plus large public en s’orientant vers des compos plus accessibles. On espère juste qu’ils ne perdront pas leurs petites touches d’originalité qui en font un groupe particulièrement prometteur. A suivre (de très près).
C’est avec un brin de curiosité qu’on attend de découvrir sur scène Mathieu Peudupin, intrigués que nous sommes par la déferlante Lescop qui envahit les colonnes de la presse musicale. Le revival est monnaie courante et celui des années 80 est fortement représenté (sur-représenté ?) ces dernières années. Son premier album éponyme, après nous avoir déçu, commençait à nous convaincre petit à petit. Las, la première partie du concert est désespérément plate : ça débute avec Paris s’endort, mais la ville n’est pas la seule à tomber dans une douce torpeur… La Nuit Américaine, Hypnose, les titres s’enchainent et se révèlent tout aussi soporifiques. Des nappes synthétiques douloureusement eighties, une voix diaphane qu’on entend à peine, une gestuelle caricaturale, des petits riffs de guitare (Los Angeles) qui nous distraient légèrement, on se dit que le concert va nous sembler bien long.
Et là, petit miracle, Lescop lance le tube La Forêt à la moitié du set et nous réveille subitement : ceci est probablement lié au fait que le titre nous est familier, certes, mais aussi parce que le groupe semble enfin prendre possession de la scène. La guitare se fait plus acérée, et la voix de Mathieu prend enfin l’ampleur suffisante pour nous permettre d’accéder au sens de ses textes. Car c’est ce qui fait tout le charme de Lescop : la pop glacé marie habilement la noirceur des textes et le côté dansant. Un jeu de contrastes qui permet au jeune homme de se distinguer des nombreux groupes pillant sans vergogne l’héritage des années 80 : il a su ramener la pop vers des territoires sombres et glacés, dans la droite lignée des Taxi Girl, Marquis de Sade et Daho. La ressemblance vocale avec ce dernier se fait d’ailleurs moins ressentir sur scène, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Une rythmique qui claque sur Un Rêve, une guitare noisy sur Le Vent, le set prend fin sur des touches originales qui réhaussent l’ensemble du set. Un concert poussif au démarrage, mais qui aura su s’électrifier pour nous embarquer sur la fin. On n’est toujours pas pleinement convaincu par Lescop, mais on sort de ce concert persuadés d’avoir découvert un artiste prometteur.
Puis vient le tour d’Alt-J : on n’est pas les seuls à attendre le quatuor, si l’on s’en tient aux triangles formés avec les mains par les spectateurs du premier rang ou par les mêmes triangles qui ornent les bras de nombreux festivaliers : le symbole mathématique delta, que l’on prononce Alt-J (du nom du raccourci clavier). Pas étonnant quand on sait que le groupe a affolé la presse musicale et la blogosphère en sortant en mai dernier le très réussi An Awesome Wave. Les 13 ritournelles tournent en boucle sur notre platine depuis leur concert à la Route du Rock en août dernier. Tout jeunes, les quatre Anglais s’installent en ligne sur la scène. Le batteur tout à droite. Le claviériste tout à gauche. Et le guitariste et le bassiste/guitariste au centre. Dès le début du concert, les mélodies minutieuses et précises nous scotchent à nouveau. Leurs irrésistibles harmonies vocales se contruisent sur le contraste entre la délicieuse voix nasillarde de Joe Newman et les choeurs de Gus Unger-Hamilton et Gwil Sainsbury. Un début de set intelligent qui s’appuie sur les trois premiers titres de l’album (Intro, Interlude I et Tessellate) pour installer leur compositions aux arrangements subtils, mélange sophistiqué de hip hop lancinant et de folk anglais mélancolique.
Le groupe prend ensuite plus de liberté dans l’ordre des titres joués, sans perdre un instant le fil et la cohérence d’ensemble. Avec en point d’orgue les petits bijoux Matilda, Breezeblocks ou encore Taro. La minutie d’Alt-J se loge dans de multiples trouvailles qui font bifurquer leurs compos, mais aussi dans une multitude de détails (comme le rouleau de scotch qu’utilise Gwil pour frapper les cordes de sa guitare). Il y a forcément une sensation de linéarité sur l’ensemble du set, mais c’est ce qu’on apprécie sur album et en live : une espèce de nonchalance non feinte qui leur est propre et qui vous plonge dans une délicieuse sensation d’harmonie musicale. Notre gros coup de coeur du festival.
On s’est interrogé tout au long de la soirée sur la présence d’une étrange structure en fond de scène, plongée dans le noir. Il s’agissait en fait de l’immense décor des Two Door Cinema Club, fait de longues tiges lumineuses réhaussées de projecteurs. Ca démarre fort, visuellement et musicalement, avec le tube Sleep Alone, tiré de leur tout récent album Beacon. Le guitariste Sam Halliday et le bassiste Kevin Baird encadre Alex Trimble chant, guitare, clavier) au centre. L’habituel trio est accompagné d’un batteur, et la rythmique est d’entrée de jeu très discoïde. Alex délaisse sa guitare pour un passage aux claviers (Do you want it All ?), mais la tension énergique ne faiblit pas.
A l’exception notable de l’atmosphérique The World is Watching, le groupe a clairement pris le parti d’un set dansant et punchy, taillé pour le dancefloor d’un grand festival. Le combo puise dans ses deux albums les titres les plus rythmés, tant dans Beacon (Sun, Next Year) que dans leur premier carton, Tourist History (Something Good Can Work, l’imparable I Can Talk). Les guitares furibardes et les beats discoïdes tranchent avec la splendide voix d’Alex, fluide et altière, qui semble planer au-dessus de l’ensemble. Ce contraste entre une musique dansante et énergique et le timbre de voix aérien d’Alex Trimble nous a d’ailleurs légèrement perturbés au début du set. Mais on se laisse finalement convaincre par cette association originale, bien portés il est vrai par une ambiance volcanique dans une salle blindée de spectateurs qui sautent dans tous les sens. L’incroyable ambiance monte encore d’un cran lorsqu’apparaissent d’immenses ballons qui volent au dessus du public, au gré des mains qui les poussent. La salle explose complètement lors du rappel sur l’inévitable What You Know, et clôt un set incroyablement intense, prouvant que les longues tournées qu’ils ont effectuées pendant deux ans n’ont en aucun cas altéré l’enthousiasme des Two Door Cinema Club.
Difficile pour les Dj’s du Secret du son d’Abba d’enchainer après un set aussi bondissant : remplaçant au pied levé College, ils ont permis cependant de finir la soirée en beauté, avec une sélection pointue qui a brillamment marqué les transitions entre les sets.
Ce festival des IndisciplinéEs est une véritable bouffée d’air frais au sein de l’automne : un accueil impeccable, un enthousiasme communicatif, une parfaite organisation, et cerise sur le gâteau, un excellent public ! Un grand merci à Anne, Klervi, Flavie, et à l’ensemble des membres de l’équipe des IndisciplinéEs, qui contribuent à faire de ce festival une vraie réussite.
Photos : Solène
Site du festival : Les IndisciplinéEs
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