Belle affluence ce jeudi 5 mars à l’Antipode MJC pour cette seconde soirée des Embellies avec Chapelier Fou, Mina Tindle et Gérald Kurdian. Il y a du monde pour découvrir la programmation éclectique concoctée par le festival, et c’est tant mieux. Pour notre part, on retiendra particulièrement l’excellente prestation de Chapelier Fou à la fois bigrement efficace et tout en finesse. Compte-rendu.
Une entrée en matière facétieuse avec Gérald Kurdian
Ça commence avec le trublion Gérald Kurdian qui a transformé la scène en jungle d’appartement en affublant tous ses instruments de plantes vertes pour un effet visuel des plus étonnants, un ananas en plastique surmontant même le clavier à gauche de la scène. Plantes grimpantes de micro et palmiers de cymbale nous plongent illico dans l’univers décalé du musicien. Celui-ci arrive dans son long manteau de scène et commence immédiatement au micro son électro-pop en français « De jour j’assure, la nuit je fais l’amour » avant d’être rejoint un peu plus tard par un batteur, casquette, baskets, montre casio et chemise à palmiers colorés qui arrive en sautillant sur scène, prend en charge les maracas et la seconde voix. Sur la plupart des titres suivants, c’est toute la batterie qu’il va utiliser pour accompagner les notes au clavier ou les boucles lancées par son comparse.
On entend parler de mer du nord, de ping pong, sans vraiment complètement saisir l’intégralité des textes, mais cette entrée en matière est plutôt énergique. Le duo calme un peu les choses sur un titre plus mid-tempo avant de parvenir à emporter progressivement le public avec ses interventions désopilantes. Ça commence par un problème technique que le musicien résout en faisant faussement voter le public (vous préférez vivre un moment unique avec une version inédite du morceau sans l’instrumentation habituelle ou un moment relou où on attend 3 minutes le redémarrage de l’ordi). Ça se poursuit avec l’effet « vocoder/sous hélium » que Gérald Kurdian conserve pour nous parler à la fin du morceau et nous expliquer l’audiorama qui suit, dans un échange plein d’humour avec la salle… et on en passe.
Chaque fin de morceau va ainsi être ponctuée de moments parfois hilarants, parfois juste drôles, pleins de dilemmes à résoudre (galipettes vocales en anglais amputées par une rhino-pharyngite versus morceau aux accointances brésiliennes), de surprenants remerciements (à l’Antipode M Ji Ci, au copain Chapelier Fou qui « n’est pas qu’un beau gosse ; c’est important ce qu’il fait pour la musique. C’est un peu comme le dalaï lama ») qui créent une réelle connivence avec le public.
Au final un concert avec de beaux moments (notamment les boucles de voix qui s’entremêlent sur le dernier morceau ou le refrain plaisant poursuivant l’audiorama) qui met un avant un artiste (enfin un duo) avec une vraie personnalité. On n’est pas forcément complètement conquis par la musique, mais on l’est totalement par la prestation. Tout ceci nous met donc d’excellente disposition pour la suite et on ne va pas être déçu.
Superbe prestation de Chapelier Fou
On était pour notre part carrément impatient de retrouver Louis Warynski aka Chapelier Fou. Après deux albums au compteur, le poétique 613 en 2011 puis Invisible en 2012, ainsi que quatre eps tout aussi recommandables, l’homme au pseudonyme Lewis Carollien a cristallisé son approche sur un troisième album particulièrement réussi, Deltas, sur lequel les sonorités organiques et électroniques continuent de se télescoper mais semblent trouver leur plein équilibre. Le jongleur de samples au violon semble encore avoir franchi un pas dans la maîtrise de ses explorations. Et cela va se révéler particulièrement vrai ce soir sur la scène de l’Antipode.
En fond de scène quatre tables sont disposées en arc de cercle, recouvertes, laquelle de claviers, laquelle de sampler, de station de mixage ou autres machines qui seront simultanément joués par les quatre instrumentistes qui alterneront instruments « classiques » et électroniques pendant tout le set. Coiffé de son couvre-chef de rigueur, Chapelier Fou au violon/machines/joystick est ce soir accompagné d’une violoncelliste aux claviers et au sampler (à laquelle le batteur de Gérald Kurdian a offert sa chemise à palmiers), d’un clarinettiste au sourire indéfectible qui alterne entre clarinette soprano ou basse, clavier et sampler, ainsi que par un altiste à la mèche et à la barbe blondes, tout aussi souriant, qui s’amuse aussi à triturer les potards.
Car sur scène le quatuor semble prendre un plaisir fou et s’amuser tout ensemble : des sourires pendant tout le set, des yeux pleins d’étincelles et de complicité accompagnent chaque changement de rythme, chaque retournement de cordes. Les coups d’œil fréquents imposés par la complexité et les chausse-trappes des morceaux y sont sûrement pour quelque chose mais il y a bien autre chose que de la technique qui passe entre ces gens-là ce soir. C’est particulièrement visible sur la longue improvisation particulièrement réussie que nous offre le quatuor pendant la première partie du set. Dans la salle, le bonheur semble tout autant partagé. Il faut dire qu’on en a plein les oreilles : compositions à tiroirs et inventives, complexité de l’entremêlement des timbres, chaleur organique, extrême finesse portée à la richesse des textures : de bout en bout du set on écarquille les oreilles de plaisir.
Le Messin construit ses morceaux à coups de boucles superposées, judicieux mélange de samples rythmiques aux reflets presque organiques, de nappes de synthé, de mélodies tout aussi accrocheuses que raffinées, de riffs à l’alto, au violon, au violoncelle, à la clarinette ou plus rarement à la guitare électrique… L’utilisation de sonorités acoustiques donne à la fois à ses morceaux une atmosphère onirique et un sentiment de proximité totale. Ajoutez à cela l’efficacité des textures électroniques qui emballent la tête et les pieds et une réelle capacité à vous émouvoir en quelques mesures (les cordes sur Grand Artica nous font frissonner l’épiderme). Bref : on assiste à tout ça, béat d’admiration, enchanté par la richesse et la classe des compositions. D’autant que celles-ci font toujours l’effort de ne jamais perdre l’auditeur en route.
Aussi sur l’irrésistible Tea Tea Tea, la foule, totalement enthousiaste, ondule d’un seul homme, passant avec délectation des basses addictives en diable, aux riffs de cordes aériens, de pizzicati greffés sur des crépitements électroniques aux cordes virevoltantes. Les morceaux plus calmes (les belles harmonies tournantes de La guerre des Nombres) font tout autant mouche (notamment le facétieux « refrain » de Triads for Two). Et lorsque le quatuor s’engage sur de longs développements (les quasi dix minutes -ou plus ?- de Cyclope & Othello qui nous emportent progressivement dans leur long et passionnant dédale), la salle est tout aussi enthousiaste.
On se souviendra également en frissonnant d’un Polish Lullaby réorchestré en version totalement acoustique et non amplifiée, pour lequel les quatre musiciens abandonnent leurs machines et débranchent violon, alto, clarinette et violoncelle. Les quatre viennent s’installer debout sur le devant de la scène face à un public ravi. La salle devient totalement silencieuse, retenant quasi son souffle pour entendre mieux les envoûtantes sonorités organiques et l’émouvante mélancolie qui sourd de la mélodie. Magique.
On s’excuse d’avance pour Mina Tindle. On ne se permettra pas de parler longuement de sa prestation car à la vue de l’heure avancée (y a école le lendemain et le festival n’est pas fini), on n’en entendra que les premiers morceaux. Sur scène avec un bassiste, un guitariste/claviériste et un batteur, la jeune femme s’accompagne parfois à la guitare électrique. Guitare claire, ambiance mid-tempo, couplets en anglais et refrain en français : Mina Tindle commence par Je sais, un morceau de son second album sorti l’an dernier, Parades. Avant d’enchaîner sur l’anglophone I Command, plus varié dans sa composition : intro délicate à la jolie mélodie, montée progressive plus rythmée, pont à virage et refrain à l’énergie Blondie-sque (malheureusement sur une mélodie qui hérisse). Premier constat : la jeune femme a une très belle voix. Second constat : pour ce qu’on a pu en entendre (ça a très bien pu être bien plus intéressant après, on le souhaite en tout cas), les compos ne sont pas aussi envoûtantes que la voix de la jeune femme. Pas facile cela dit, de passer après les passionnants méandres mélodiques et rythmiques de Chapelier Fou.
Sur le titre suivant, elle revient à son premier album Taranta (2012) pour lequel elle avait confié les manettes à JP Nataf, avec Lovely Day. On l’avouera sans snobisme déplacé, on préfère quand la jeune femme chante en anglais. Non pas qu’elle n’assure pas dans la langue d’Apollinaire, au contraire. Aussi sur Séville, qui suit, on s’en va sur la pointe des pieds. On laissera à d’autres, qui sont restés jusqu’au bout et pour qui les albums de la jeune femme sont davantage la came, de jauger la prestation de ce soir. Nous, on préfère s’en aller discrètement.
Photos (avec avis de brume) par l’indispensable Mr B