Il y a plusieurs types de science-fiction : le space opera à la Star Wars, le post apocalyptique genre La Route, la hard SF bien représentée par la trilogie sur Mars de Stanley Robinson.
« La Zone du Dehors » d’Alain Damasio sera plutôt rangée dans la fiction spéculative (ou anticipation). Grosso modo, le but est de pointer les dangers des sociétés actuelles en imaginant un futur où ce qui est déjà néfaste aujourd’hui sera encore plus poussé demain.
La cible de l’écrivain ? La société de contrôle. Celle de la traçabilité (des objets et des gens), de la transparence (caméras et comportements de consommation), des normes surtout, quand toutes les évidences de « bonne conduite » n’ont plus aucune possibilité de remise en question, sauf à s’opposer à une espèce de bon sens ultra majoritaire qui découle en réalité de la peur.
Car les personnages de Damasio vivent sur un satellite de Saturne. Cerclon, la ville de 7 millions de citoyens, a été créée à la suite d’une guerre qui a ravagé la Terre, rendant l’hémisphère nord en grande partie inhabitable.
Et pour se prémunir d’un tel chaos, les Cercloniens se soumettent à l’organisation du Clastre, un système qui hiérarchise l’ensemble des individus, leur assignant une place et le nom qui va avec : A est le président, P son ministre de l’intérieur etc … Plus vous avez de lettres, plus vous êtes bas. Et quand on change de place, on change de blaze.
Un groupe de résistants a pris pour nom la Volte, ôtant le « ré » de révolte pour montrer que leur but n’est pas de prendre la place du pouvoir en place.
Des inventions de langage, il y en a un bon nombre dans ce roman de 650 pages. Des inventions typographiques aussi, comme le « > » qui permet de changer de narrateur. Intéressant, entre autres, par la possibilté de changer de regard sur les événements, car le noyau dur des Voltés est composé de personnalités bien différentes : de Slift, le plus radical (et efficace dans son genre) à Kamio, l’artiste, en passant par Capt, le personnage principal, le futur condamné.
C’est un roman qui embarque, qui amuse, qui agace, qui questionne, à qui on a envie de répondre.
On a envie de dire à Damasio qu’il se plante de cible parfois. Que l’héroïsme et l’anarchisme, ça ne fait peut-être pas bon ménage. Que c’est bien de citer Nietzsche et Deleuze, mais que visiblement il a beaucoup emprunté à Vaneigem. Livre trop adolescent ou lecteur déjà trop empaté ?
On s’interroge et on s’énerve en tout cas. N’était-ce pas le but ?
Côté polar, la série continue chez Olen Steinhauer. Pas de soucis, vous pouvez débarquer sur ce 4è roman de l’américain vivant à Budapest, vous ne serez pas perdu. Enfin si mais parce que c’est voulu, pas parce que les précédents sont nécessaires.
Ça se passe en Europe de l’est, en 1975. Mais aussi en 1968, à Prague. Et en Turquie, en 75 toujours. « La variante Istanbul » nous fait suivre Libarid, qui quitte sa femme et prend l’avion, Katja, sa collègue très très belle qui a des problèmes de couple, Peter, le Slovaque qui se lie avec le soldat qui est venu « normaliser » son pays, Gavra, qui aime les hommes et apprend à imiter son mentor, Brano Sev.
Ce n’est pourtant pas un livre qui fait dans les sentiments. Si ça doit être sur quelque chose, nous dirons plutôt : le libre-arbitre.
L’avion n’arrivera pas. Enquête. Qui ment ? A qui ? Qui cache quoi ? Qui veut se venger ? Qui est cette fille à côté de Libarid dans l’avion ?
Forcément on aime les puzzles si on aime les polars, non ?
Celui-ci est court : 320 pages. Mais à coup d’avant-arrière et de changements de personnages, on prend son temps pour tout installer.
Du très bon. De l’exotique. Comme quoi il suffit de laisser tomber la Californie et d’aller voir pas loin mais moins connu pour renouveler. Et une société plus ou moins totalitaire dans laquelle bossent des flics-espions, avec un bon écrivain, ça doit faire une bonne histoire.
Livres achetés à la librairie M’enfin, rue Victor Hugo, Rennes