Plus de 2000 personnes s’étaient pressées au Parlement de Bretagne en octobre dernier durant le festival Maintenant pour découvrir le délirant et stakhanoviste projet d’Antoine Martinet et Elsa Quintin, le Projet Pilot. Et on comprend pourquoi. L’association Electroni[k] et les Champs Libres vous offrent l’occasion de vous rattraper ce dimanche 1er février, si vous n’avez pu vous y rendre en octobre : le Projet Pilot sera à (re)découvrir pendant ce Premier Dimanche aux Champs Libres. Chouette !
Terminé 15 jours avant sa première exposition, encadré environ 10 jours seulement avant, le deuxième volet du projet Pilot est venu compléter le premier volet réalisé et exposé (entre autres) en 2012 pour Cultures Electroni[k]. Le principe est resté le même : réaliser un dessin collectif (à deux, donc) sous la forme d’un polyptyque de 8 panneaux de 180cm x 50cm uniquement dessiné avec le stylo pilot. Inutile d’y chercher un hommage à la marque ou un partenariat financier, la marque n’a rien à voir là-dedans. Le titre est plutôt un emprunt pop de l’outil qu’ils utilisent, et s’ils l’ont choisi, c’est d’abord pour la couleur de son encre un peu particulière (un peu violette, bordeaux) qui, utilisée sur le support qu’ils ont adopté sans trop y réfléchir (une sorte de papier aggloméré, cartonné, un peu robuste, légèrement jaune), offre un effet esthétique intéressant et permet de sortir de la dualité noir et blanc qu’on retrouve assez fréquemment avec le dessin.
Le dessin, donc. C’est d’abord lui qui est mis en valeur par ces deux impressionnants polyptyques. Le geste, minutieux, précis, appuyé ou non, dont la rigueur et l’application nous laissent sans voix. On n’imagine pas le nombre d’heures passées à la réalisation de ce projet, commencé en mai 2009 et terminé il y a quelques jours à peine avant l’exposition (un an et demi pour le premier polyptyque, plus de deux ans pour le second). « La notion de temps long est centrale » expliquent d’ailleurs les deux artistes. « La beauté du geste appliqué et du temps passé « à faire » renouent avec des temporalités de fabrication proche de l’artisanat d’art ou des vieux métiers d’art » dont les deux jeunes gens se revendiquent. L’écho aux gravures anciennes nous saute également aux yeux.
On est stupéfait par le jeu d’échelle entre la minutie du dessin se jouant au millimètre et la cohérence d’un ensemble de grande dimension. On s’étonne que les deux artistes soient parvenus à travailler en « local » , sur de petits espaces, des morceaux de panneau avec cette précision infime et cela, sans jamais voir réellement la globalité totale de l’œuvre avant l’accrochage.
Ce qui nous avait également frappé dans l’imposante et majestueuse Salle des Pas Perdus du Parlement de Bretagne où étaient exposés les 16 panneaux de l’œuvre (le dialogue entre l’architecture institutionnelle du lieu d’exposition et l’œuvre est d’ailleurs intéressant, on a hâte d’observer celui qui se nouera avec le Musée de Bretagne), c’est à la fois l’unité et les différences qui émanent des deux polyptyques. Si l’utilisation du même matériau, des mêmes stylos et de la même forme (huit panneaux aux mêmes tailles) font immédiatement apparaître chaque polyptyque comme deux volets d’une même œuvre, la différence entre les deux parties est également immédiatement saisissante.
Sur le premier volet, un foisonnant ensemble de figures, de traits, de milliers de personnages s’imbriquaient (on ne voudrait pas se tromper mais l’influence de Brugel ou de Bosch est encore une fois perceptible), allant de dinosaures et autres créatures fantasmagoriques à St Agnès portant ses seins coupés sur un plateau, sombres Anubis (?) infernaux côtoyant de cruels jeux du cirque hippie, modernité urbaine des affichages lumineux du début du 20ème siècle faisant suite à de terribles octopus marins, une mention de Melancholia renvoyant plus loin aux gravures de Dürer. Pleine de détails, fourmillante d’idées et d’apparente spontanéité, collant et imbriquant ensemble des univers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres : scènes bibliques, médiévales, batailles navales, végétation luxuriante et fantasmagorique, références mythologiques (« c’est de la « fausse » mythologie. On reprend surtout des formes qui nous intéressent et on les vide un peu de leur sens » expliquaient les deux artistes en interview), la première partie de l’œuvre se distingue également par sa forme, l’espace occupé par le dessin jouant de courbes et d’espaces laissés blancs, mais rappelant également les vignettes/cadres de la bande dessinée (on soupçonne d’ailleurs un intérêt égal pour les œuvres de Burns ou Clowes cette précision du trait et dans les figures fantastiques qui prennent vie sous nos yeux).
Quand on interroge Antoine sur les difficultés que les deux artistes ont peut-être pu rencontrer pour imbriquer leurs deux univers graphiques, il nous explique que chacun s’est autorisé à repasser sur le dessin de l’autre pour donner davantage de cohérence à l’œuvre. Selon Elsa d’ailleurs, sur le premier volet notamment, les deux jeunes gens n’avaient pas la même iconographie, le même univers ou les mêmes techniques : Elsa aérienne, appuie peu sur le papier et intègre l’inachevé à son dessin – en laissant des parties non terminées pour leur apport esthétique- tandis qu’Antoine travaille davantage sur le volume, les matières. Pourtant force est de constater que déjà, sur le premier volet, la cohérence est là encore saisissante.
Pour le second volet, nous explique Antoine, « la question ne se pose pas vraiment » , du fait de la technique différente utilisée. Car si les deux artistes ont choisi de garder le même procédé (le dessin au stylo pilot sur un même matériau et dans un même format), ils n’ont pas eu envie de faire la même chose et ont été bien plus excités par l’idée de faire évoluer leur pratique. Pour le second volet du projet Pilot, les deux jeunes gens sont donc partis d’un « photo-montage » : ils ont récolté plusieurs photographies et en ont fait un collage numérique qu’ils ont ensuite imprimé en très grand format. Ce photo-montage, cette construction préalable leur a permis de dessiner tout d’abord les lignes directrices de leur dessin afin de rester le plus fidèles possible à l’image sans distorsions involontaires (un peu comme une reproduction finalement, renvoyant le dessin à son essence d’avant l’apparition de la photographie).
Sur le second volet, c’est donc une seule et même image qui nous est donnée à voir, un univers tout aussi étrange, mais fait d’une seule et même pièce, sans le fourmillement infernal des figures du premier volet : un lac paisible (somme toute un peu inquiétant) sur le bord duquel rochers, cabane ou forêt-cathédrale donnent une profondeur insondable à l’ensemble. La lumière glissant entre les troncs comme à travers des vitraux vient mourir dans les reflets sombres du lac où deux créatures, l’une lippue, l’autre nymphe prépubère renforcent l’anxiété froide qui se dégage du paysage. Là encore, on reste sans voix. Et on ose espérer qu’il sera question un jour d’un troisième volet. En attendant, rendez-vous aux Champs Libres pour s’y replonger avec délectation.
Photo chapô : Elsa Quintin/Antoine Martinet – Autres photos : Caro
Le Projet Pilot d’Elsa Quintin et Antoine Martinet sera exposé pour le Premier dimanche aux Champs Libres par l’association Electroni[k] le dimanche 1er février de 14h à 19h (entrée libre). Musée de Bretagne, mur Bleu – 1er étage.
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Pour en savoir plus sur le Projet Pilot, on vous conseille d’aller faire un tour sur le site du projet où vous pourrez découvrir le premier volet en détail, le tumblr du projet qui reprend une partie de la genèse de l’œuvre mais aussi une excellente interview d’Elsa Quintin dans l’émission TrackNarre (d’autant que l’émission donne la parole avec le même talent à Herman Kolgen, Robert Henke ou Gaétan Naël pour cette édition de Maintenant : passionnant !), une autre un peu plus ancienne de Manon/La vie rennaise des deux artistes ici ou encore celle réalisée par alter1fo de Mioshe (aka Antoine Martinet). Et si vous voulez en voir encore plus, jetez un oeil à la grande fresque murale de Mioshe avec Benoît Leray commandée par l’Antipode MJC (voir là).
Le site de Maintenant : http://www.maintenant-festival.fr/